Intervention de Yves Bertoncini

Réunion du 16 janvier 2015 à 9h00
Groupe de travail sur l'avenir des institutions

Yves Bertoncini :

L'Europe fait barrage, dites-vous, monsieur le président. Mais il faut mettre des visages sur ces clivages, qui sont politiques. Vous avez fait référence aux discussions en cours au Conseil des ministres et au Parlement européen sur la directive dite « PNR » – pour passenger name record. Certains groupes politiques au Parlement européen n'y sont guère favorables : le groupe socialiste et les Verts, ainsi que les libéraux ; il y a au Conseil des représentants d'États qui partagent cette position. Eh bien, il faut les convaincre : l'Union européenne est un combat, un combat politique, partisan. Du reste, quelle autre option avons-nous ? Des accords bilatéraux ? Mais il faudra toujours bien convaincre quelqu'un.

Il convient donc de distinguer, aujourd'hui plus que jamais, le projet européen des institutions européennes. Celles-ci sont utilisées par des acteurs politiques et produisent des résultats rarement satisfaisants – c'est un europhile qui vous le dit –, ce qui est logique dès lors qu'ils sont issus d'un compromis à vingt-huit.

En ce qui concerne la manière dont Jean-Claude Juncker s'est mêlé des élections grecques, je serai un peu moins conciliant que Jean Quatremer. La Commission ne peut pas être à la fois joueuse et arbitre sur les sujets qui concernent la zone euro. Jean-Claude Juncker aurait donc mieux fait de s'abstenir et d'adopter la même position que Pierre Moscovici ou Benoît Coeuré : laissons les Grecs voter, on discutera ensuite avec leur gouvernement.

Ce qui rejoint la question qui nous a été posée à propos des possibilités de sortie de la zone euro. L'Union européenne n'est pas une prison. On doit d'ailleurs au Traité constitutionnel l'existence d'une clause de sortie, reprise par le traité de Lisbonne en son article 50. Si les Britanniques veulent sortir de l'Union européenne, ils n'ont même pas besoin d'organiser un référendum, il suffit que leur Parlement en décide ainsi. Il en va de même pour les Grecs. Quant à la zone euro, personne ne veut en sortir. C'est un aspect assez frappant de la période récente : la volonté d'y rester en dépit de ses défauts a été majoritairement réaffirmée dans tous les pays. La zone euro, ce n'est pas « tu l'aimes ou tu la quittes » : peu de pays l'aiment, peu goûtent ses contraintes, notamment l'obligation de solidarité, mais on ne la quitte pas. Nous verrons bien si les Grecs votent pour des partis qui souhaitent sortir de la zone euro ; il reste que ceux-ci sont très minoritaires dans le pays.

On persiste à considérer que cette adhésion quelque peu négative au projet européen n'est pas une bonne chose. Il s'agit à mon sens d'une erreur politique. Car l'Europe, ce n'est pas seulement l'Hymne à la joie, c'est aussi l'hymne à la peur. C'est la peur qui a motivé la construction européenne à ses débuts : la peur de la menace stalinienne, la peur de retomber dans nos anciens travers et de nous refaire la guerre. C'est aussi sous cet angle qu'il faudrait raconter cette histoire. Si la plupart des Européens ne veulent pas quitter la zone euro, c'est parce qu'ils ont peur, peur que le retour aux monnaies nationales les expose au grand vent de la folie spéculative mondiale. L'Europe est à la fois une terre d'opportunités, un outil qui peut devenir une menace – c'est le cas de l'Europe-FMI, ce « monstre » selon Jean Pisani-Ferry – et une réponse aux menaces.

Encore faut-il l'incarner dans un projet, au-delà de la nécessité de respecter les règles que les États ont adoptées. Cette incarnation suppose des visages. Lesquels ? D'abord ceux des chefs d'État et de gouvernement, d'ailleurs plutôt bien identifiés – on s'est assez moqué de leurs sommets de la dernière chance. Se pose alors le problème de la reddition des comptes auquel nous, Français, sommes confrontés. Mais ces visages sont aussi européens.

Les banquiers centraux européens ne sont pas élus, non plus d'ailleurs que leurs homologues dans le reste du monde. On leur a confié la gestion d'un bien public, la monnaie, parce que l'on a considéré que c'était une chose trop grave pour la laisser au caprice des politiciens. C'est la théorie du bien public, et il faut l'assumer. Les banques centrales sont donc indépendantes, ce qui ne signifie pas qu'elles ne doivent pas rendre des comptes, être transparentes. Mario Draghi a d'ailleurs décidé que les délibérations du Conseil des gouverneurs seraient publiques à partir de ce mois, ce qui représente un progrès. Mais nous n'irons pas jusqu'à élire les banquiers centraux européens, sauf à changer de modèle, et sans doute de monnaie faute de consensus européen à ce sujet.

Quoi qu'il en soit, ce ne sont pas les banquiers centraux qui peuvent incarner l'Europe. Il reste donc les commissaires et les parlementaires européens. En modifiant les traités, on peut donner plus de pouvoir à ces derniers – c'est la tendance historique –, jusqu'à une codécision parfaite entre les États et le Parlement européen sur tous les sujets. J'y suis personnellement favorable.

Quant à la Commission, avec la procédure des Spitzenkandidaten, que je considère moi aussi comme un progrès, la désignation du président de la Commission est davantage liée au résultat des élections européennes. Il faudrait aller plus loin. Les commissaires actuellement en fonction ont été désignés par les États membres, d'ailleurs à l'issue d'un processus qui a déformé les rapports de force partisans : la Commission Barroso comptait 21 membres de droite pour 7 de gauche, le rapport est de 20 à 8 dans la Commission Juncker, alors que les rapports de force se sont rééquilibrés au cours de la dernière période. On pourrait donner au président de la Commission le pouvoir non seulement de « virer » les membres – qu'il détient depuis le traité de Nice, à la suite de la chute de la Commission Santer – mais aussi de les nommer lui-même. Il le ferait évidemment en lien avec les capitales nationales, mais peut-être en tenant davantage compte des rapports de force partisans. Aujourd'hui, il ne peut que s'opposer le cas échéant à leur nomination.

J'ajouterai, pour passer des aspects institutionnels à la pratique politique, que les commissaires devront être davantage présents sur le terrain. À cet égard, je trouve très satisfaisant que Pierre Moscovici se soit rendu plusieurs fois en Grèce au cours de la période récente, alors qu'Olli Rehn n'y était allé que deux fois en cinq ans. Il est bon que les commissaires viennent rendre des comptes, y compris dans les enceintes parlementaires nationales.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion