Intervention de Sergio Coronado

Séance en hémicycle du 29 janvier 2015 à 15h00
Sociétés mères et entreprises donneuses d'ordre — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui a été déposée par l’ensemble des groupes de la majorité. Elle s’inspire d’un engagement du Président de la République, et ses grands axes semblent soutenus par le Gouvernement. C’est donc un texte consensuel, qui ne devrait pas faire débat dans nos rangs, d’autant que la majorité de nos concitoyens a aujourd’hui conscience de l’importance des enjeux sociaux et environnementaux dans la compétition mondiale. Leur prise de conscience est d’autant plus forte que l’actualité internationale n’a pas manqué d’exemples tragiques. L’effondrement du Rana Plaza le 24 avril 2013 à Dacca, qui a tant marqué l’opinion internationale, a fait près de 1 200 morts et plus de 2 000 blessés graves. Il faisait suite à une longue série d’accidents similaires. Comment peut-on continuer à fermer les yeux sur la responsabilité incombant aux grands groupes ?

Cependant, le texte fait débat et son probable renvoi en commission est une manière maladroite de temporiser et d’accentuer notre retard. J’en veux pour preuve le débat sur l’attitude de notre gouvernement, dont nous avons eu à regretter la frilosité sur le sujet. Je rappelle que le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies a adopté le 26 juin dernier un projet de résolution, déposé conjointement par l’Afrique du Sud et l’Équateur, visant à contraindre juridiquement les multinationales au respect des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et proposant de créer un groupe de travail chargé d’élaborer un instrument international juridiquement contraignant afin de réglementer les activités des multinationales. La France avait à l’époque voté contre. En relisant les débats de la commission des lois, j’ai noté que l’idée selon laquelle les bonnes pratiques seraient un obstacle à la compétitivité de nos entreprises sur le marché international est encore fort répandue. Je tiens à dire très franchement qu’il n’en est rien, au contraire ; et je prendrai pour exemple le retard français en matière de ce que l’on appelle la politique de conformité.

Toute entreprise se développant à l’étranger doit désormais s’assurer qu’elle respecte toutes les réglementations en matière de corruption, mais aussi de concurrence et de contrôle des exportations. Sur le papier, tout le monde s’y est mis. En fait, seules les entreprises inquiétées par la justice ont mis en place une politique de conformité digne de ce nom. En matière de lutte contre la corruption, notre pays a du retard sur le Royaume-Uni, l’Allemagne et les États-Unis. La justice hexagonale est bien trop lente face au volontarisme anglo-saxon, et notamment nord-américain. Ce retard menace aujourd’hui la compétitivité des multinationales françaises. Doit-on rappeler l’amende pénale d’environ 700 millions d’euros dont a écopé au mois de décembre dernier Alstom, qui n’est plus désormais un groupe français, sur le territoire nord-américain ? Le groupe est poursuivi au Royaume-Uni après avoir été condamné au Mexique, en Italie et en Suisse. La Banque mondiale lui a même interdit en 2012 de participer aux appels d’offres qu’elle cofinance, mettant ainsi en cause la possibilité même de décrocher des contrats.

Les bonnes pratiques ne sont plus un obstacle. La réputation d’une entreprise est un actif immatériel dont l’importance va croissant. Dans le cadre de ce mouvement de fond, soulignons l’adoption le 15 avril 2014 d’une directive européenne visant les entreprises cotées, mais aussi les banques et les compagnies d’assurances de plus de 500 salariés et au chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros. Ce texte rend obligatoire la publication annuelle des informations relatives à leurs impacts environnementaux et sociaux, au respect des droits de l’Homme et à la lutte contre la corruption. Les États membres disposent d’un délai de deux ans pour intégrer les nouvelles dispositions dans leur droit national. L’adoption de la proposition de loi ne placerait nullement la France en porte-à-faux, mais au contraire aux avant-postes. Notre responsabilité consiste à améliorer la politique de transparence des grandes entreprises en matière sociale et environnementale, même si certains pays européens continuent à s’y opposer ou à faire de la résistance en la matière.

Il a été très justement précisé lors des débats en commission que l’objectif du texte est d’oeuvrer au respect des droits humains et des normes environnementales dans les échanges commerciaux, mais aussi de progresser en termes de prévention et d’accès à la justice des victimes. Le texte propose des mesures législatives de prévention des risques sociaux et environnementaux aujourd’hui nécessaires, car les entreprises responsables ne peuvent plus se soustraire au devoir de vigilance et de sécurité. Est-il si déraisonnable que des victimes puissent saisir les juges français et engager la responsabilité des sociétés mères à l’origine des dommages ? Préférons-nous que d’autres juridictions entament le travail avant même les juridictions françaises, comme c’est le cas aujourd’hui pour les affaires de corruption ? Il est grand temps de légiférer, mes chers collègues ! Face aux responsabilités sociales et environnementales, il serait incompréhensible pour nos concitoyens que nous nous défaussions !

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