Aujourd'hui, en France, de nombreuses personnes connaissent la précarité. Dans le même temps, notre société produit beaucoup plus que ce qu'elle consomme et gaspille des tonnes de nourriture saine tous les ans. Cette injustice, produit d'une société de consommation en crise, n'est plus tolérable. C'est pourquoi j'ai pris l'initiative de déposer cette proposition de loi, cosignée par de nombreux collègues issus de tous bords politiques.
Ce sont les acteurs de la société civile de ma circonscription qui, connaissant mon engagement sur le sujet, m'ont alerté sur l'ampleur du problème du gaspillage alimentaire. Tandis que de nombreuses associations fortes de centaines de bénévoles, des collectivités territoriales, mais également des grandes surfaces et des entrepreneurs sociaux se mobilisent pour lutter au quotidien contre le gaspillage de la nourriture, l'État détonne par son faible activisme. Rien n'est fait aujourd'hui pour parvenir aux résultats ambitieux qu'il s'est fixés : la réduction de moitié du gaspillage alimentaire en France à l'horizon 2025. C'est cette carence que la présente proposition de loi entend pallier.
Certes, j'ai conscience qu'une mission parlementaire a été confiée à notre collègue, Guillaume Garot, qui a aussi été à l'initiative du Pacte national de lutte contre le gaspillage alimentaire. Mais le diagnostic est connu, le temps presse et les solutions concrètes tant attendues tardent à venir.
La proposition dont vous êtes saisis aujourd'hui a pour objectif de susciter le consensus. Consensus des acteurs de la société civile, d'abord. La première version du texte que j'avais rédigée l'été dernier a évolué dans un sens satisfaisant pour tout le monde : les grandes enseignes, le milieu associatif et les nombreux citoyens qui m'encouragent dans ce combat. Consensus aussi des groupes politiques : sans aller jusqu'à parler d'union nationale, le bon sens voudrait que cette proposition crée l'unanimité sur nos bancs. Je ne conçois pas qu'on puisse décemment s'y opposer. Les acteurs de la société civile, qui regardent nos débats, en seront juges.
Quelques chiffres viendront éclairer votre réflexion. Au niveau mondial, la Food and agriculture organization of the United nations (FAO) a estimé que le tiers de la nourriture produite n'était pas consommé, ce qui représente 1,3 milliard de tonnes par an. Selon la Commission européenne, le gaspillage alimentaire dans l'Union européenne pèse 89 millions de tonnes par an, soit près de 180 kilos par habitant. À défaut de mesures efficaces, la Commission estime que ce niveau atteindra 126 millions de tonnes en 2020. Enfin, selon l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME), chaque Français jette en moyenne 20 kilos de nourriture saine par an, dont 7 kilos encore sous emballage.
Parmi les éléments susceptibles d'expliquer ce gaspillage, on retiendra la société de consommation qui n'attache plus à la nourriture une valeur aussi importante qu'avant, les pratiques commerciales de mise à l'écart de produits dont la qualité esthétique n'est pas parfaite, mais aussi la volonté de ne prendre aucun risque sanitaire qui entraîne souvent des comportements excessivement prudents, comme le fait de jeter un produit dont la date de péremption vient à peine d'être dépassée.
Au-delà du seul problème de société, le gaspillage alimentaire pose la question beaucoup plus large, écologique au sens propre, de la possibilité de nourrir 10 milliards de personnes à l'horizon 2050 sans assécher la planète, sans épuiser nos ressources naturelles ou engendrer de nouvelles guerres de la faim. Déjà aujourd'hui, 800 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde.
C'est pourquoi j'estime pertinent d'observer la question du gaspillage alimentaire à travers deux prismes : le prisme de l'écologie, pour contribuer à rendre nos modes de production de nourriture soutenables à l'échelle planétaire ; le prisme de la générosité, pour aider les personnes qui ne peuvent pas manger à leur faim.
Dans les deux cas, le gaspillage alimentaire est une négation de la valeur attachée à la nourriture, qui ne s'apprécie pas uniquement du point de vue marchand. La nourriture a aussi une valeur propre – c'est le fruit d'un travail – et une valeur sociale – c'est pouvoir manger à sa faim. Il est sans doute le symptôme d'une société de consommation qui n'est plus habituée à la pénurie. C'est pour lutter contre cette dérive que j'ai consacré ces derniers mois à l'établissement de propositions concrètes.
Avant de les expliciter, je souhaite lever l'objection qui m'a souvent été opposée de la nécessité d'une loi. Faut-il, par exemple, légiférer sur le don alimentaire qui se pratique déjà ? Je pense que oui. Dès lors que la loi encourage les comportements vertueux, elle peut conduire à développer des moeurs plus responsables. L'intervention publique est légitime, car elle permettra de faire bouger les lignes et d'adresser un signe d'encouragement à tous les acteurs qui se mobilisent au quotidien.
Pour autant, il ne faut pas penser qu'on pourra mettre fin au gaspillage alimentaire par décret. En particulier, il ne faut pas minimiser la part des obstacles culturels et sociologiques dans l'évolution des comportements de consommation vers plus de responsabilité. L'attitude face aux assiettes non terminées dans les restaurants en est un exemple typique : alors que les pays anglo-saxons admettent bien volontiers le principe du doggy bag, il existe en France un inconfort traditionnel à demander aux serveurs d'emporter les restes de nourriture chez soi. Plusieurs initiatives locales visent aujourd'hui à encourager les consommateurs à franchir le pas.
Les Français ne sont pas insensibles au gaspillage de la nourriture. Pour autant, les enquêtes sociologiques menées auprès des consommateurs montrent qu'ils sous-estiment largement la quantité de nourriture qu'ils gaspillent. C'est notre mission que de les sensibiliser plus largement. Dans cette perspective, une initiative de nature législative permet de donner, sur plusieurs fronts, une impulsion dans la lutte contre le gaspillage alimentaire.
En premier lieu, les actions de prévention demeurent prioritaires pour anticiper les comportements conduisant au gaspillage alimentaire. Il est possible d'intervenir en amont, dès l'école, pour que les futurs consommateurs que sont les enfants ne reproduisent pas les mauvaises habitudes et pratiques alimentaires qu'ils peuvent observer dans leurs familles. C'est l'objet de l'article 1er de la proposition de loi, qui organise des actions de sensibilisation au gaspillage alimentaire dans les établissements scolaires.
En second lieu, les actions de nature curative visent à donner une seconde vie aux denrées alimentaires qui risquent d'être gaspillées, notamment dans les commerces de détail. Il s'agit, soit d'inciter les consommateurs à acheter des produits dont la date limite de consommation approche, soit d'orienter ces denrées vers le don alimentaire qui permettra, par le biais des associations caritatives, de soutenir les personnes en situation de précarité alimentaire.
L'article 2 a pour objet de prescrire un degré d'exigence minimale dans la lutte contre le gaspillage des commerces de détail à travers l'obligation de signer une convention de don des denrées invendues au profit d'associations caritatives. Par ailleurs, cet article grave dans le marbre la doctrine fiscale qui autorise la défiscalisation du don alimentaire des grandes surfaces, pour mettre un terme aux tentatives continuelles de la remettre en cause.
En dernier lieu, l'intervention législative a des visées réglementaires. Il s'agit, par une demande de rapport, d'inciter le Gouvernement à éclaircir les règles relatives aux dates limites de consommation et à la durabilité minimale des produits alimentaires, dont la méconnaissance par le grand public participe au gaspillage alimentaire. C'est l'objet de l'article 3.
Pour finir, soucieux d'améliorer le contenu de cette proposition de loi, j'ai procédé à de nombreuses auditions, toutes fascinantes. La dizaine d'amendements que j'ai déposée est de nature à renforcer les actions prévues par le texte.