Intervention de Pascal Cherki

Séance en hémicycle du 30 janvier 2015 à 15h00
Croissance activité et égalité des chances économiques — Après l'article 10

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascal Cherki :

Cet après-midi, nous avons longuement débattu de la régulation de la concurrence dans le secteur de la grande distribution qui, incontestablement, est utile pour éviter les abus de position dominante. De ce point de vue, cette loi comporte des avancées, même si le débat précédent a montré qu’elle suscite aussi des interrogations quant à l’intrusion d’une forme d’idéologie de la concurrence dans la vie publique locale.

Retenons néanmoins le principe de la régulation du secteur concurrentiel. Avec cet amendement, je tiens à poser la question suivante. Réguler un secteur est une chose ; débattre démocratiquement de la manière dont il envahit l’espace public en est une autre. Or, depuis l’entrée en vigueur de la loi de modernisation sociale, le seuil de l’autorisation préalable d’exploitation commerciale pour l’ouverture de grandes surfaces commerciales a été relevé de 300 à 1 000 mètres carrés : cela pose problème.

Que se passe-t-il en effet dans les villes ? Je vous parlerai de celle que je connais le mieux : Paris. Aujourd’hui, il se produit une forme de développement anarchique des supérettes semblable à la prolifération de cellules cancéreuses, qui ne répond ni à une logique de planification des villes, ni aux besoins de leurs habitants. Dans ce contexte de forte concurrence, qui est voué à s’accroître, il arrive pourtant que trois supérettes coexistent dans la même rue, et ce en toute inutilité !

L’instance municipale et les pouvoirs publics, à qui les citoyens ont accordé leur confiance pour qu’ils organisent la vie de la ville et répondent à leurs besoins fondamentaux, non seulement en matière de services publics mais aussi en termes d’accès aux biens de consommation et de cadre de vie, sont complètement désemparés. Et pour cause : jusqu’à 999 mètres carrés, ils n’ont plus leur mot à dire sur les surfaces commerciales – sauf à employer des subterfuges en engageant un rapport de force avec la population locale ou en différant l’obtention des permis de construire, mais ce ne sont pas là les outils d’un État de droit moderne. L’outil civilisé de la régulation moderne, c’est le droit.

En l’espèce, les instruments du droit nous ont été retirés. De ce fait, nous faisons désormais face à une tendance à l’uniformisation de certaines rues en raison du développement des supérettes. Sans doute est-ce le modèle qui s’annonce, mais il ne me semble pas que la gauche l’ait théorisé, ni qu’il incarne cette nouvelle manière d’être la gauche américaine.

Voilà pour le premier point. Le second est le suivant : la modification du seuil a un effet très concret sur la disparition du commerce de proximité, dont le principal problème tient aux montants des baux. Nombreux sont les commerces de proximité qui menacent de fermer parce que le propriétaire du bail commercial se moque de l’intérêt général commercial du quartier, se disant qu’après tout, si le commerce en question ferme, une agence immobilière ou une banque, voire une supérette, pourront s’y installer. Certaines supérettes frappent même à la porte pour accélérer ce mouvement.

Nous, élus et représentants du peuple, devons donc nous redonner les moyens d’organiser la vie collective et de défendre l’intérêt général. Comme les autres signataires de l’amendement, je demande que l’on corrige l’une des erreurs commises dans la loi de modernisation de l’économie, de sorte que l’on ne se préoccupe pas seulement des conditions de la concurrence au sein d’un secteur, mais aussi des effets qu’a le développement de ce secteur sur l’intérêt général et le cadre de vie. Nous pouvons vivre dans un monde où la fonction marchande joue son rôle sans pour autant que son développement anarchique cannibalise le reste de la vie quotidienne.

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