Intervention de Jean-Yves Le Déaut

Réunion du 27 janvier 2015 à 16h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Yves Le Déaut, président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques :

Notre réflexion sur les freins à l'innovation nous a amenés à nous interroger sur la formation et la recherche.

La formation est essentielle pour prendre en main les solutions les plus récentes, atteindre un plus haut degré de qualité, et travailler de façon mieux coordonnée entre corps de métiers. Elle est aussi essentielle pour réaliser des bâtis bien étanches avec un minimum de ponts thermiques. Les centres de formation des apprentis et les lycées professionnels ont un rôle à jouer pour diriger des travaux pratiques, de préférence aux plateformes de tests. Voilà pourquoi nous avons tenu à ajouter une référence à la formation au nombre des axes de la politique énergétique dans le code de l'énergie.

S'agissant de la recherche, pour laquelle le bilan actuel est moins satisfaisant, il est essentiel de poursuivre le regroupement des forces, déjà engagé dans le cadre de l'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie (ANCRE) ou à travers la constitution des huit plateformes technologiques du Plan bâtiment durable. En France, environ deux cents chercheurs se consacrent à ce domaine, ce qui est sans doute insuffisant par rapport à l'Allemagne. Qui plus est, nos laboratoires sont éparpillés à travers le pays : le Centre d'énergétique et de thermique (CETHIL) se trouve à Lyon, le LASIE à l'université de La Rochelle, le Laboratoire d'énergétique et de mécanique théorique et appliquée (EMTA) à Nancy, le Centre efficacité énergétique des systèmes (CES) fait partie des centres de recherche des Mines ParisTech, le CSTB est installé à Marne-la-Vallée, l'Institut national de l'énergie solaire (INES) près de Chambéry, le centre de recherche des Renardières d'EDF se trouve en Seine-et-Marne, et celui du groupe GDF-Suez, le CRIGEN, à Saint-Denis. J'estime que ces centres de bon niveau ne travaillent pas assez ensemble. L'Agence nationale de la recherche (ANR) devrait coordonner les recherches pour qu'ils mènent des travaux communs.

Je remercie le Gouvernement d'avoir accepté d'insérer une référence à la « physique des bâtiments » dans le code de l'énergie lors de l'examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte ; j'espère que le Sénat n'y reviendra pas. Je remercie aussi M. François Brottes d'avoir fait une exception à ses réserves concernant le mot « notamment ». Le domaine de la physique des bâtiments est crucial pour l'avenir de notre pays.

Il faut en effet se mettre en position d'anticiper les marchés futurs. Les Allemands et les Autrichiens font de la recherche en matière d'économies d'énergie dans le bâtiment une réelle priorité. Ils se fondent sur un principe simple, formulé par M. Dietmar Eberle, l'un des papes du mouvement des Baukünstlers, groupe d'architectes du Vorarlberg à l'origine de la révolution de la construction passive en bois : « Récupérer toutes les formes de chaleur quand elle est gratuite, la restituer quand on en a besoin ».

Il faut aussi préserver par l'innovation les parts de marché de notre industrie face à une concurrence européenne qui ne cesse de se renforcer. Un des indices du décalage que nous laissons s'installer par rapport à nos voisins est la distance avec laquelle nous traitons le cas des labels passifs, qui sont certes privés, mais qui poussent à des efforts dans le bon sens. La région de Bruxelles a négocié avec ces labels leur intégration dans sa réglementation alors que de notre côté, nous les ignorons trop. Il faudrait faire attention à ce que notre RT 2012 ne nous amène pas à revivre la mésaventure du Minitel face à Internet.

Notre étude nous a fait découvrir un système dont les caractéristiques sont similaires à celles qui régissaient le domaine du nucléaire il y a vingt-cinq ans : manque de transparence, insuffisance de l'intervention du Parlement, mélange des genres entre recherche, évaluation, conseil, expertise et contrôle ; combinaison désordonnée entre une centralisation à outrance des instances décisionnaires et une multiplicité d'opérateurs institutionnels travaillant plus en concurrence qu'en coopération ; endogamie des acteurs décisionnels avec de gros responsables industriels.

Il faut y ajouter certaines critiques spécifiques au secteur : distance marquée entre les universités, les écoles d'architecture qui relèvent du ministère de la culture, et les centres techniques en charge des technologies du bâtiment ; place mineure réservée à la physique des bâtiments dans le monde de la recherche. Le bâtiment reste considéré comme une discipline subalterne ; il ne pourra se développer que le jour où nous lui donnerons les mêmes dimensions que les autres secteurs de l'économie.

Nous avons donc proposé de réorganiser la gouvernance du bâtiment ; vous avez largement tenu compte de nos recommandations durant la première lecture du projet de loi. L'idée essentielle de cette réorganisation, est d'appuyer la transition énergétique du secteur sur l'innovation.

Faire le pari de l'innovation, c'est rester dans le peloton de tête de la recherche pour se donner une chance de créer des emplois. La transition énergétique doit être vue comme un formidable défi scientifique et technologique.

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