Intervention de Sylvia Pinel

Réunion du 27 janvier 2015 à 16h30
Commission des affaires économiques

Sylvia Pinel, ministre du logement, de l'égalité des territoires et de la ruralité :

Je suis particulièrement heureuse de pouvoir évoquer avec vous la question de la rénovation énergétique des logements. Elle est cruciale pour notre avenir, pour notre économie et pour le secteur du bâtiment. Si le Gouvernement s'est saisi de cet immense chantier et y porte une attention toute particulière, notamment à travers la mise en oeuvre du Plan national de rénovation énergétique de l'habitat qui prévoit un déploiement sans précédent de mesures et de financements, c'est parce qu'il répond à trois enjeux d'avenir pour la France.

Un enjeu social tout d'abord puisque quatre millions de ménages souffrent de précarité énergétique. Pour nos concitoyens qui consacrent une trop grosse part de leur budget à ce poste de dépense, il est aujourd'hui essentiel de réduire la facture.

L'enjeu est ensuite environnemental car le secteur du bâtiment est le secteur le plus énergivore de France. Nous ne parviendrons à obtenir des résultats satisfaisants dans ce domaine que si l'ensemble de la filière s'engage dans la lutte contre le réchauffement climatique. Comme vous le savez, ce combat constitue la priorité de la France en 2015 avec l'organisation de la Conférence sur le climat de Paris qui doit être un événement diplomatique, économique et, bien sûr, écologique majeur.

L'enjeu est enfin économique, car les travaux de rénovation permettent de soutenir l'activité et l'emploi des entreprises du bâtiment et des artisans qui souffrent aujourd'hui fortement de la crise.

Pour relever ce défi, nous avons défini des axes forts, qui orientent notre action.

Je veux d'abord redonner confiance aux professionnels de la filière de la rénovation énergétique pour favoriser l'innovation. Il est indispensable qu'ils aient une réelle lisibilité des dispositifs dont ils sont bénéficiaires dans un cadre législatif et réglementaire stabilisé.

Je veux également les accompagner dans l'évolution de leurs pratiques par le renforcement de la formation et la diffusion des savoir-faire.

Je veux enfin inciter les ménages à s'approprier une vision globale des gains énergétiques du logement dans l'objectif de leur redonner du pouvoir d'achat – je pense notamment à nos concitoyens les plus modestes.

Votre rapport, messieurs, analyse les freins à l'innovation dans le secteur de la rénovation énergétique. Je salue l'impressionnant travail que vous avez mené en conduisant de très nombreuses auditions, et en vous déplaçant à l'étranger, en Allemagne, en Autriche, ou encore en Suède et en Finlande, pour y étudier les pratiques innovantes qui y sont développées. Vous avez produit des analyses d'une grande qualité.

Ce travail vous a permis de formuler vingt préconisations sur des champs plus vastes que celui du logement, dont une bonne partie, comme vous l'avez relevé, a d'ores et déjà trouvé des réponses dans le cadre du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte adopté en première lecture à l'Assemblée nationale au mois d'octobre dernier.

Je souhaite cependant revenir sur les principaux champs qui me concernent directement afin de vous donner mon point de vue sur plusieurs de ces préconisations.

Vous soulignez le rôle ambivalent du CSTB, tout à la fois prescripteur d'essais techniques et prestataire potentiel de ces essais, ce qui, à vous entendre, pourrait conduire à une sorte de conflit d'intérêts. Vous jugez également les modalités d'évaluation de la qualité des produits innovants trop complexes, trop coûteuses, et trop centralisées.

Je ne partage pas complètement votre analyse, notamment en ce qui concerne d'éventuels conflits d'intérêts. La réalité du marché des essais atteste au contraire que la structuration actuelle du CSTB ne bénéficie d'aucune position de monopole. Par ailleurs, une séparation des activités du CSTB serait de nature à compromettre la capacité des pouvoirs publics à évaluer et à anticiper les dispositions relevant de la réglementation technique et les politiques d'accompagnement de l'innovation dans la construction.

Néanmoins, votre rapport a permis de mettre en avant la nécessité de transparence pour cette institution scientifique et technique reconnue afin de rétablir la confiance avec les entreprises. Comme vous le savez, une démarche de simplification des avis techniques et de diminution des coûts a été amorcée dès 2012 : les tarifs d'avis techniques ont été réduits de 30 % pour les très petites entreprises qui font leur première demande, les délais de délivrance ont été raccourcis de moitié, et un service d'accueil et d'orientation dédié aux TPE et aux PME a été mis en oeuvre afin de les accompagner dans l'ensemble de leur projet industriel.

Cette démarche fait du CSTB un des organismes de certification les plus compétitifs à l'échelle européenne. Je peux d'ailleurs vous confier qu'elle suscite le vif intérêt de plusieurs de mes homologues européens.

Je me suis également appuyée sur vos analyses pour modifier la gouvernance et le mode de fonctionnement du CSTB : des parlementaires et des représentants de collectivités siégeront au conseil d'administration de l'établissement, et un comité de déontologie sera mis en place.

Je souhaite faire évoluer cet organisme à la pointe de la technique afin de répondre aux objectifs ambitieux que nous nous sommes fixés.

Par ailleurs, et comme je l'ai souligné, le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte répond à plusieurs de vos recommandations concernant l'évolution des outils de calcul et la transparence de la réglementation thermique. Il introduit ainsi un plafond numérique d'émission de CO2 et assure que les modalités de calcul de la réglementation thermique seront mises à disposition du public en accès informatique libre dans un souci de transparence.

Le Conseil supérieur de la construction et de l'efficacité énergétique sur lequel nous avons travaillé ensemble sera prochainement installé pour aller plus loin dans cette ambition – j'ai signé le décret hier. J'attends de cette instance un regard d'expert sur tous les textes législatifs et réglementaires qui auront trait à la construction afin d'assurer une analyse transversale et impartiale. Plus largement, ce conseil fournira un appui précieux à mon ministère dans le cadre du nécessaire travail de définition, de mise en oeuvre et d'évaluation des politiques publiques de la construction, dont la rénovation énergétique sera bien entendu un élément majeur.

Vous soulignez aussi la nécessité d'investir dans la formation professionnelle, et d'accompagner la montée en compétences de l'ensemble des acteurs sur tous les territoires. Je ne peux que partager ces objectifs de professionnalisation de la filière de rénovation énergétique et de plus grande articulation avec le secteur de l'enseignement et de la recherche. Concernant la filière de la construction, c'est le sens du programme d'action pour la qualité de la construction et la transition énergétique que j'ai annoncé en décembre.

Pour réussir la transition énergétique du bâti, il est indispensable d'accompagner les professionnels afin qu'ils s'approprient ses enjeux et qu'ils développent les compétences de toute la filière. La rénovation énergétique implique en effet de nouvelles pratiques et de nouveaux savoir-faire. C'est pourquoi, dans le cadre de ce plan, je développerai un ensemble d'actions opérationnelles au service des professionnels, comme l'élaboration de guides de chantier ou la rédaction d'un guide des bonnes pratiques pour l'utilisation de solutions constructives à base de matériaux biosourcés. Nous mettrons aussi en place, dans le cadre d'un partenariat avec les territoires et les acteurs de la formation, un réseau de « plateaux techniques de formation » aux gestes des compagnons, à la pose de produits et à l'utilisation de procédés innovants. Le premier groupe de travail de ce programme se réunira début février.

Votre rapport insiste également sur la nécessité de rationaliser les aides à la rénovation en les ciblant sur les projets les plus structurés, et en défendant une approche « projet » plutôt qu'une approche « produit ».

Nous aurons beau structurer la filière et favoriser l'innovation, il n'y aura pas de transition énergétique si nos concitoyens ne s'en approprient pas les enjeux et les objectifs. Là encore, je ne crois pas à la contrainte, mais plutôt à l'incitation, à la pédagogie et à l'accompagnement. Le Gouvernement s'est ainsi engagé dans un soutien financier volontariste pour renforcer l'efficacité énergétique des bâtiments tout en préservant le pouvoir d'achat de nos concitoyens, dans un étroit partenariat avec les collectivités territoriales.

Avec 50 000 dossiers traités en 2014, le succès du programme « Habiter mieux » mis en oeuvre par l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) témoigne de l'importance du soutien aux ménages et de la pédagogie.

La mise en place des points « rénovation info service » en partenariat avec l'ADEME et les collectivités permet de construire cette pratique de guichet unique. Dans le contexte actuel de crise, le Gouvernement a fait le choix de l'incitation, plutôt que celui de la contrainte, car c'est cela aussi redonner confiance aux acteurs. Introduite dans le projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, l'obligation de réaliser des travaux apportant une amélioration énergétique lors de certaines rénovations – les travaux dits « embarqués » lors de certains ravalements de façades ou de toitures « lourds » – constitue une avancée déjà lourde de conséquences pour le budget des ménages, même si ce dispositif est garant d'un meilleur retour sur investissement à plus long terme.

Les difficultés actuelles en matière d'emploi et de pouvoir d'achat nous ont incités à reconsidérer le crédit d'impôt pour des bouquets de travaux et à revenir à une logique « élément par élément ». Dans le même temps, nous travaillons avec la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie à l'élaboration d'un dispositif volontaire, un « passeport de la rénovation énergétique » qui permette, sur la base d'un diagnostic d'ensemble, d'identifier un bouquet de travaux pertinents par rapport au mode de vie des occupants.

Concernant la commande publique, le projet de loi apporte d'ores et déjà plusieurs réponses à vos interpellations.

Il prévoit notamment une incitation des maîtres d'ouvrage publics à construire des bâtiments à énergie positive (BEPOS), et la possibilité pour les entreprises de s'engager sur la performance pour donner de la lisibilité au client concernant la qualité de leur prestation. Une nouvelle fois, l'incitation doit être privilégiée afin de convaincre plutôt que d'imposer.

Messieurs les rapporteurs, il me semble donc que la plupart de vos recommandations ont porté leurs fruits et que nous disposons à l'heure actuelle d'un cadre d'action pragmatique ; je souhaite profiter de l'occasion qui m'est donnée pour prolonger la réflexion que vous avez entamée sur l'innovation.

Les objectifs en termes de transition énergétique et écologique, la conjoncture économique difficile, l'impératif de réduction des coûts dans la production de logements, sont, de mon point de vue, des stimulants d'innovation. Ces périodes difficiles de changements sont souvent source d'inquiétude mais elles stimulent également la créativité. Elles représentent une opportunité à laquelle je souhaite donner un véritable élan : l'innovation joue un rôle majeur dans le plan de relance engagé par le Gouvernement.

J'ai notamment annoncé en décembre deux plans majeurs en matière d'innovation : le plan de transition numérique du bâtiment, et le plan de recherche et développement pour la détection et l'extraction de l'amiante.

Cette innovation doit se faire à toutes les échelles. Celle des matériaux et des bâtiments est la plus évidente, mais c'est à l'échelle des quartiers et des villes qu'il nous faut désormais travailler pour garantir le vivre ensemble et la qualité de notre cadre de vie. Des évolutions majeures peuvent avoir lieu sur la question de l'énergie, de l'eau, des déchets, et de la qualité de l'air. Il faut promouvoir et accompagner ces initiatives comme nous le faisons avec les ÉcoCités ou comme l'Institut pour la ville durable sera amené à le faire.

L'innovation constitue un levier efficace pour répondre à la crise du logement ; tous les acteurs doivent s'en saisir. Nous devons faire preuve d'intelligence collective, de détermination, mais aussi de créativité. Rien ne sera possible sans l'implication de tous et surtout sans le retour de la confiance.

Messieurs les rapporteurs, permettez-moi de vous remercier encore pour votre travail approfondi et de qualité. Votre rapport est critique, certes, mais il alimente le débat démocratique sur cette belle ambition pour l'avenir qu'est la rénovation énergétique. Pour conclure, je veux vous dire à nouveau la volonté d'agir du Gouvernement pour répondre au défi social, environnemental et économique qui est devant nous. Il s'agit d'une conviction que je porte fermement dans le cadre du tour de France de la construction que j'ai entamé la semaine dernière, car c'est avec les acteurs de terrain qu'il nous faut désormais travailler.

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