Intervention de Jacques Moineville

Réunion du 28 janvier 2015 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Jacques Moineville, directeur général adjoint de l'Agence française de développement :

Merci, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, de nous donner l'occasion de nous exprimer devant vous. Mme Anne Paugam, souffrante, vous prie par ma voix de l'excuser ; elle regrette d'autant plus de ne pouvoir être là qu'elle considère comme très important que l'Assemblée nationale soit exactement informée de nos actions.

Je commencerai par présenter très succinctement l'Agence française de développement, qui fut créée par le général de Gaulle à Londres ; elle devait alors servir de banque centrale de la France libre. Elle a beaucoup évolué depuis : après la décolonisation, ses missions se sont étendues, et elle est aujourd'hui l'opérateur principal de la politique française du développement.

Alors que nos actions étaient au départ centrées sur l'Afrique francophone, nous intervenons dans plus de soixante-dix pays africains, mais aussi asiatiques et latino-américains. Notre rôle n'est plus seulement, comme dans le passé, de soutenir le développement économique : notre mandat a été étendu à la préservation des biens publics mondiaux, donc à la sauvegarde de la biodiversité et à la lutte contre les dérèglements climatiques, ainsi qu'au soutien à l'influence française dans le monde, et en particulier à l'influence économique.

L'AFD est un outil financier : nous finançons des projets et des politiques – nous ne sommes pas maîtres d'ouvrage. Nos engagements se montent aujourd'hui à plus de 8 milliards d'euros par an, avec une forte priorité à l'Afrique subsaharienne à laquelle nous consacrons plus de 2 milliards d'euros ; ensuite viennent l'espace méditerranéen, l'Amérique latine et l'Asie, pour chacun un milliard d'euros environ. Nous avons également une activité très considérable dans les territoires ultramarins, pour plus d'un milliard d'euros. Notre filiale PROPARCO se consacre, quant à elle, au financement du secteur privé.

Les 8 milliards que nous investissons proviennent pour l'essentiel – pour 6 à 7 milliards – d'emprunts émis sur les marchés financiers. Les subventions de l'État apportent un complément, ainsi que différents budgets dont la gestion nous est déléguée, par exemple par la Commission européenne ou par le DFID (United Kingdom Department for International Development), notre équivalent britannique.

L'État nous aide également à bonifier certains de nos prêts, c'est-à-dire à adoucir leurs conditions financières pour certains pays jugés prioritaires. L'effort financier est très concentré sur l'Afrique, puisque 85 % de nos ressources budgétaires – dons et bonifications de prêts – sont consacrées à ce continent.

La lutte contre les changements climatiques représente pour l'AFD une priorité. En effet, le lien entre climat et développement est double. D'abord, les pays les plus pauvres sont aussi les plus vulnérables : ils sont menacés par la désertification, mais aussi par la hausse du niveau des mers, qui représente un danger pressant pour les villes littorales, notamment en Afrique de l'Ouest, comme pour la production agricole côtière, par exemple au Vietnam – l'existence même de certains États insulaires est menacée. D'autre part, les modèles de développement doivent nécessairement, pour être soutenables, tenir compte des enjeux du changement climatique. Ce point a pu poser problème dans les négociations climatiques, certains pays du sud estimant avoir le droit de se développer, fût-ce au prix de dégâts environnementaux ; à nous de mettre au point des modèles de développement qui soient compatibles avec la lutte contre le changement climatique.

Très concrètement, comment finançons-nous des projets de développement qui ont aussi un effet positif pour le climat ? Les exemples sont multiples.

L'électricité est, par exemple, nécessaire au développement – plusieurs études établissent une forte corrélation entre disponibilité de l'énergie et croissance du PIB. Nous finançons donc de nombreux projets dans le domaine des énergies renouvelables – outremer, au Maroc, au Burkina Faso, en Amérique latine… Ainsi, nous soutenons le développement tout en luttant contre le dérèglement climatique. De la même façon, nous finançons des projets urbains en veillant à ce que l'aménagement des villes consomme aussi peu d'énergie que possible. Le financement du transport en commun sert à la fois le développement et le climat.

Nous soutenons aussi des politiques climatiques à l'échelle d'un État, dans différents pays africains mais aussi au Mexique, en Indonésie, au Vietnam… Nous finançons également des projets qui permettent à différents pays de s'adapter à l'évolution du climat.

Depuis plusieurs années l'AFD a défini, en matière de lutte contre les dérèglements climatiques, une stratégie que je peux qualifier, en toute modestie, d'unique en son genre chez les bailleurs de fonds internationaux. Le Gouvernement a encouragé et validé ce processus.

Tout d'abord, l'empreinte carbone de chaque projet est évaluée, par des méthodes opposables, donc très solides, et si possible partagées avec d'autres financeurs.

D'autre part, depuis plusieurs années, la moitié de nos financements dans les États étrangers doivent avoir un co-bénéfice climatique, c'est-à-dire faire diminuer les émissions de CO2 par rapport à la situation où le projet n'aurait pas été mené à bien. Cet engagement est tenu, puisque c'est le cas de 52 % des projets financés en 2014.

Nous pouvons nous permettre d'être sélectifs, c'est-à-dire de refuser des projets s'ils sont trop émetteurs de gaz à effet de serre, tout au moins dans les pays qui ne font pas partie des seize pays prioritaires. Ainsi, nous ne nous interdisons pas de financer des cimenteries – installations très émissives – au Bénin ou au Sénégal, car ce sont des pays très pauvres et où les besoins sont immenses ; mais dans des pays un peu plus riches, nous refusons tout projet qui émettrait plus d'un million de tonnes équivalent CO2 par an.

L'AFD consacre ainsi plus de 2,5 milliards d'euros par an à la lutte contre le changement climatique : nous atteignons une taille critique qui nous permet d'avoir un effet d'entraînement sur d'autres financeurs, mais aussi plus généralement sur les marchés financiers. Nous avons ainsi récemment réalisé une émission obligataire d'un milliard d'euros spécifiquement pour des projets liés au climat – nous garantissons que les projets financés seront certainement favorables au climat. C'est une façon d'attirer des capitaux privés vers ces sujets.

Vous m'interrogez, monsieur le président, sur le rôle que jouera l'AFD dans la préparation de la COP21. Tout d'abord, nous soutenons l'équipe française de négociation, notamment par une réflexion sur le Fonds vert, que vous citez. Nous avons beaucoup contribué, depuis plusieurs années, et avec d'autres, à la mise au point de son principe de fonctionnement. Le Fonds vert ne doit pas, nous semble-t-il, être une entité autonome qui financerait des projets directement, en solitaire ; au contraire, nous avons poussé l'idée qu'il faut s'appuyer sur les acteurs locaux, déjà actifs dans la lutte contre le changement climatique. Beaucoup de gouvernements ont engagé des politiques climatiques ; les collectivités territoriales seront décisives pour faire évoluer les modèles de développement. Le système financier local doit être partie prenante, afin que chacun prenne conscience de l'importance de ces projets, mais aussi de leur caractère rentable. Entreprises privées et secteur public ne doivent pas rester à l'écart.

Nous estimons donc que le Fonds vert doit s'appuyer sur ces différents acteurs et utiliser ses ressources financières en les « mixant » avec des prêts bancaires. L'idée est que le Fonds vert travaille avec des organismes financiers locaux, ou bilatéraux comme l'AFD : il agréerait des projets qui lui seraient présentés et contribuerait à leur financement, aux côtés d'autres organismes. Nous n'interviendrons donc pas directement dans la dotation du Fonds vert, sinon peut-être comme outil de financement du Gouvernement français : l'AFD croit plutôt utile d'apporter son savoir-faire à la mise en oeuvre concrète du Fonds vert.

Nous appuyons également les autres acteurs des négociations, notamment les ambassades de France. Nous aiderons ceux des pays qui le souhaiteront à définir leur contribution, ce qui est un processus assez complexe – la COP20 à Lima a, vous le savez, décidé que chaque pays doit proposer une contribution. Nous pouvons bien sûr montrer toutes les actions concrètes qui peuvent et pourront être menées en matière de lutte contre le changement climatique : nombre d'entre elles figurent dans l'Agenda des solutions, présenté par la France.

Nous soutenons également des initiatives internationales. En particulier, nous avons contribué à créer un « club » de financeurs, l'International Development Finance Club (IDFC). Il réunit des banques de développement du sud – indienne, indonésienne, sud-américaines… – et des financeurs du nord – la KfW allemande, la Japan International Cooperation Agency (JICA), nous-mêmes… Nous nous mettons d'accord sur une stratégie en matière de climat et contribuons ainsi à montrer qu'il est possible de financer des projets à la fois rentables et efficaces dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Ce club organise, en coordination avec les négociateurs français, au mois de mars prochain, un forum auquel participeront les acteurs multilatéraux. Il s'agit notamment de nous mettre d'accord sur les méthodes utilisées pour mesurer l'empreinte carbone de chaque projet, et ainsi d'amener d'autres financeurs à adopter une stratégie plus volontariste en matière de climat – à l'image de la nôtre, si j'ose dire.

Les villes, les territoires prennent des initiatives nombreuses : nous les soutenons, et nous participons à une coalition de financeurs spécifique.

Nous participons également à l'initiative Sustainable Energy for All (se4all) des Nations Unies, que vous connaissez.

Nous mènerons enfin d'ici à la tenue de la COP21 des opérations de communication, notamment à destination du grand public, que nous souhaitons sensibiliser aux enjeux de la lutte contre le réchauffement de climat. Chacun doit être convaincu de l'intérêt d'initiatives concrètes qui peuvent être prises par les maires, les chefs d'entreprise, ou les simples citoyens.

Nous sommes très engagés en faveur de la biodiversité, et nos objectifs sont ambitieux. Ils portent sur la protection, la restauration et la gestion des écosystèmes, sur l'intégration de la question de la conservation des écosystèmes dans les politiques sectorielles et enfin sur les partenariats entre les acteurs français de la biodiversité et les acteurs locaux. Les montants en jeu sont bien plus modestes : nos engagements s'élevaient en 2012 à 140 millions d'euros, et en 2014 à 170 millions. Ces sujets nécessitent d'importantes ressources budgétaires, qui sont assez rares : les volumes financiers ne sont donc pas très importants, mais l'AFD veille à intégrer constamment ces enjeux dans son travail.

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