Intervention de Thierry Repentin

Réunion du 28 janvier 2015 à 9h30
Commission des affaires économiques

Thierry Repentin, président de la Commission nationale de l'aménagement, de l'urbanisme et du foncier, CNAUF :

Je vous remercie, monsieur le président, pour votre accueil chaleureux. Si j'interviens devant votre Commission aujourd'hui, c'est en effet grâce à vous, mesdames, messieurs les députés, puisque vous avez créé, par la loi du 18 janvier 2013, la Commission nationale de l'aménagement, de l'urbanisme et du foncier à laquelle vous avez notamment confié la mission d'établir, en se fondant sur des bilans établis par les préfets de région, un rapport annuel sur la mobilisation du foncier public en faveur du logement, rapport qui doit être remis au Parlement et présenté devant les commissions des affaires économiques du Sénat et de l'Assemblée nationale.

Je rappelle que la CNAUF a pour mission de suivre le dispositif de mobilisation du foncier public en faveur du logement et de s'assurer que la stratégie adoptée par l'État et les établissements publics concernés est de nature à favoriser la cession de biens appartenant à leur domaine privé. Cette commission se réunit une fois par mois depuis sa création, laquelle est récente puisque la CNAUF n'a été installée que l'été dernier et n'est opérationnelle que depuis le mois de septembre. Son premier rapport, que je vais vous présenter, ne porte donc que sur un bilan de moins de six mois.

Ce rapport comporte quatre parties : l'analyse des évolutions législatives comprises dans la loi du 18 janvier 2013, l'état des lieux de la mise en oeuvre de la loi, un premier bilan qualitatif de son application et un bilan quantitatif de la mobilisation du foncier public pour les années 2012 et 2013.

La loi du 18 janvier 2013 a largement remanié les procédures qui s'appliquaient à la vente de biens d'État à des fins de logement, en vue d'accroître l'effort financier de ce dernier dans ce domaine. Ainsi, le taux de décote, qui, auparavant, ne pouvait excéder 25 % – 35 % dans les zones très tendues – est désormais compris entre 35 % et 100 %, la cession pouvant être gratuite dans les zones A, dites tendues. Plus le programme de logements est social, plus le taux de la décote sera important. La loi étend, en outre, le champ d'application de la décote aux biens bâtis et aux équipements publics. En effet, si le programme de logements qui sera édifié sur le terrain vendu nécessite la construction d'équipements publics – crèches, écoles, établissements pour personnes âgées –, il sera tenu compte du coût de leur édification dans le calcul du taux de la décote consentie.

Bien entendu, cet effort conséquent de l'État comporte des contreparties.

Tout d'abord, le programme de construction doit être réalisé dans un délai de cinq ans à compter de l'acte de cession. En effet, la loi n'a pas pour objectif de favoriser la rétention foncière ou la spéculation, elle vise à accélérer le processus de vente. Des exceptions ont néanmoins été prévues dans la loi ALUR, qui permet de déroger à ce délai, sur proposition de la CNAUF et avec l'accord des ministres du budget et du logement, lorsque le programme de construction ne peut être entièrement réalisé dans le temps imparti. Par exemple, une vente a été conclue, il y a quelques semaines, à Nantes : 1 700 logements doivent être édifiés sur l'emprise d'une ancienne caserne située en centre-ville. Or, cette opération nécessite la création d'une Zone d'aménagement concertée (ZAC), pour laquelle il faut compter presque deux ans, et la démolition des bâtiments existants. Il a donc été précisé par convention que le délai de cinq ans pouvait être dépassé.

Ensuite, un ensemble de clauses anti-spéculatives ont été introduites afin d'éviter les effets d'aubaine. Il s'agit d'empêcher un éventuel dévoiement du programme qui, d'opération de locatif social ou d'accession à la propriété, deviendrait un programme libre, pour lequel le foncier n'aurait pas été vendu au même prix. Un rapport est donc établi chaque année par les préfets pour s'assurer du contrôle de l'application du programme.

Par ailleurs, la gouvernance a été recentrée sur le préfet de région, qui établit la liste des biens à vendre, signe la convention liant l'État au preneur, assure le contrôle de la réalisation des programmes de construction et en dresse le bilan. Toutefois, les maires et les présidents d'EPCI concernés sont consultés en amont de l'inscription d'un bien sur la liste des biens à vendre ; le Comité régional de l'habitat et de l'hébergement est, quant à lui, consulté sur cette liste et sur l'élaboration du bilan régional.

Le dispositif est désormais pleinement opérationnel.

Il a nécessité la publication de trois décrets. Le premier, daté du 15 avril 2013, concerne les biens de l'État. Le deuxième, du 18 octobre 2013, étend le dispositif à quatre établissements publics : la SNCF, RFF, la RATP et VNF. Le troisième, daté du 30 décembre 2014, l'étend aux établissements publics de santé, dont l'AP-HP. Il convient de préciser que la décote est plafonnée à 30 % jusqu'au 1er janvier 2017 pour RFF, afin de tenir compte de la situation financière de cet établissement, et qu'elle peut être soumise à un plafonnement identique pour les établissements publics de santé en fonction de l'endettement de l'établissement concerné.

L'accompagnement des services territoriaux de l'État a été renforcé, qu'il s'agisse de la publication de circulaires et d'instructions, de la formation du personnel ou de la participation à des journées de rencontre. Cet aspect a été souligné par Mme Audrey Linkenheld et M. Jean-Marie Tetart dans leur rapport – dont les conclusions sont du reste assez proches des nôtres quant à l'application de loi. Lorsqu'une réforme structurelle est adoptée, il convient en effet de se préoccuper du « service après-vote », en s'assurant que toutes celles et ceux qui vont être amenés à appliquer la loi sont pleinement informés de son contenu technique et de son esprit. Cette démarche pédagogique est d'autant plus importante en l'espèce que les services de l'État doivent changer de paradigme, puisqu'il s'agit désormais de vendre non pas le plus cher possible mais à un prix qui permette la réalisation d'une opération qui ne pourrait voir le jour sans l'application d'une décote.

Par ailleurs, les listes des biens cessibles pour la production de logements ont été publiées. Pour les biens du domaine privé de l'État, vingt-deux listes régionales ont été établies, qui regroupent 264 propriétés ; pour les biens du domaine privé des établissements publics, une charte d'engagement des opérateurs ferroviaires a été signée en juin 2014, qui identifie 69 biens. Au total, plus de 700 hectares sont ainsi disponibles pour la production de logements, répartis dans l'ensemble des régions de France. À l'automne dernier, nous avons réuni, sous l'autorité du Président de la République, l'ensemble des préfets de région. Ces derniers ont identifié un vivier de 111 terrains prioritaires – 98 terrains d'État et 13 terrains appartenant à RFF et à la SNCF –, qui ont vocation à être cédés d'ici à la fin de l'année.

Un premier bilan de la mise en oeuvre de la loi permet de dessiner plusieurs axes d'amélioration.

Tout d'abord, il convient de poursuivre la formation des services territoriaux de l'État et de renforcer la pédagogie auprès des élus et de leurs services, ainsi que des opérateurs de logements sociaux. Je m'aperçois en effet que la loi n'est pas toujours connue, y compris d'élus de collectivités sur le territoire desquelles un certain nombre de propriétés pourraient être valorisées pour y construire des logements.

Ensuite, la pertinence de quelques évolutions législatives du dispositif – auxquelles la loi Macron ou la loi NOTRe peuvent en effet, Monsieurle président, fournir un support adapté – pourrait être évaluée. Premièrement, nous proposons d'étendre le champ de la décote, qui s'applique actuellement aux constructions sur terrain libre ainsi qu'aux constructions après démolition ou restructuration profonde de bâtiments existants, aux biens bâtis à rénover. Certains anciens logements de fonction destinés, par exemple, à des douaniers ou à des gendarmes pourraient en effet intéresser des collectivités territoriales, mais ils nécessiteraient une importante réhabilitation justifiant une décote. Or, celle-ci ne peut être appliquée car, aux termes du code de la construction et de l'habitation, la réhabilitation est distincte de la restructuration. Si le Parlement décidait d'étendre la décote à ce type d'opérations, nous pourrions céder rapidement une dizaine de sites, notamment dans les régions frontalières de l'Est et du Sud-Est de la France – je pense en particulier au Bas-Rhin, au Haut-Rhin et à la Haute-Savoie.

Deuxièmement, nous nous interrogeons sur l'éligibilité du logement intermédiaire au dispositif de la décote. En effet, ce type de logement n'est reconnu dans notre législation que depuis une ordonnance de 2014, postérieure donc à la loi du 18 janvier 2013, et la question est soulevée par les élus dans le cadre de leurs négociations avec l'État. Mon rôle n'est pas de trancher, mais de vous soumettre cette question ; la réponse appartient évidemment au législateur.

Troisièmement, il convient de renforcer l'accompagnement des services territoriaux de l'État dans l'instruction des dossiers, notamment par une capitalisation de l'expérience acquise et, le cas échéant, par un recours aux professionnels de l'aménagement. Les services de l'État ne disposent pas toujours, en effet, des capacités professionnelles nécessaires à l'instruction de dossiers d'aménagement. À ce propos, vous observerez que nous avons souhaité faire oeuvre de pédagogie en indiquant, en annexe de notre rapport, la manière dont France Domaine procède à l'évaluation de la valeur vénale des terrains et dont la décote est calculée. Nous mentionnons également quelques astuces que nous avons découvertes chemin faisant et dont nous avons usé pour débloquer certains dossiers.

Quatrièmement, le pilotage du dispositif pourrait être renforcé en identifiant des équipes de projet au sein des préfectures de région et la stratégie de vente améliorée en ordonnançant les terrains dans les listes et en définissant des actions prioritaires.

J'en viens maintenant aux cessions réalisées au titre de la loi du 18 janvier 2013. Vous avez indiqué, Monsieur le président, que Mme Audrey Linkenheld et M. Jean-Marie Tetart en avaient identifié huit dans leur rapport. Au moment de la mise en place de la CNAUF, à la fin du mois de juillet dernier, cinq cessions définitives avaient été réalisées. Depuis cette date, c'est-à-dire au cours des six derniers mois, huit autres cessions de biens d'État sont intervenues, auxquelles il convient d'ajouter celle d'un bien appartenant à RFF. Toutes ont bénéficié de taux de décotes importants, compris entre 26 % et 84 %, et supérieurs à ceux qui étaient appliqués auparavant. Onze cessions se sont vu appliquer des taux de décote supérieurs à 35 %, dont dix sont supérieurs à 50 %.

Ces cessions représentent un effort financier important de la part de l'État, puisque le montant des décotes consenties, 32,7 millions d'euros, est supérieur à celui des recettes, qui s'élève à 29,6 millions. Quant au volume estimé, il est de 3 000 logements potentiels, dont 2 000 logements sociaux et 1 000 logements privés.

Certes, ce bilan peut paraître modeste, mais les réformes de structure prennent du temps et, si nous nous revoyons dans un an, pour la présentation du deuxième rapport, ce volume sera entièrement différent. Il y a plusieurs raisons à cela. Tout d'abord, la réforme a dû être assimilée par l'ensemble des ministères propriétaires de biens susceptibles d'être vendus : la défense, l'éducation nationale, l'équipement… Il a fallu, en outre, que France Domaine tienne compte de la nouvelle orientation de l'État en matière de vente de terrains et fixe des prix permettant d'équilibrer des opérations de logement social – ce qui a nécessité de faire un peu de pédagogie au plus haut niveau de cet organisme. Par ailleurs, il ne vous a pas échappé que la loi avait été votée au cours de l'année précédant les élections municipales. Or on sait que les périodes pré et post-électorales ne sont pas particulièrement propices à la programmation d'opérations de logement social. J'ajoute que la construction de logements s'inscrit dans une programmation pluriannuelle à l'échelle des intercommunalités ; elle relève de Programmes locaux de l'habitat (PLH) dont beaucoup ont été élaborés sans intégrer cette nouvelle possibilité offerte par la loi et doivent donc être modifiés.

Enfin, nous avons détaillé, à la fin du document qui vous a été distribué, trois exemples de cession relevant de situations sensiblement différentes. Le projet concernant le talus de l'A3 a connu des difficultés, l'évaluation du terrain ayant fait l'objet d'incompréhensions entre France Domaine et la commune de Romainville ; celle-ci comptant déjà de nombreux logements sociaux, ce programme ne comportera que 20 % de logements de ce type. Le projet de la caserne Mellinet à Nantes porte, quant à lui, sur un terrain d'une superficie de 13,5 hectares devant accueillir 1 700 logements à terme, dont 35 % de logements locatifs sociaux, 35 % d'accession à la propriété et 30 % de libre. Enfin, le projet de la Ferme Champagne à Savigny-sur-Orge est entièrement destiné à la construction de logements sociaux.

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