Intervention de Jean-Patrick Gille

Réunion du 28 janvier 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Patrick Gille, député :

Je dirai d'abord le plaisir qui a été le nôtre de travailler ensemble : nous nous connaissions peu, mais la complémentarité de nos trois profils nous a permis d'avancer. Je vous propose de resituer le contexte dans lequel ce rapport nous a été demandé et d'exposer la méthode qui a été employée.

Au mois de mars 2014, les négociations sur l'Unedic portent sur deux points principaux : la mise en oeuvre des droits rechargeables et les économies à effectuer pour réduire son déficit, qui s'élève à 4 milliards par an. Dans la nuit du 21 au 22 mars, les partenaires sociaux parviennent à un accord qui comprend 200 millions d'économies sur les annexes VIII et X relatives au régime spécifique d'assurance chômage des intermittents du spectacle. Pour y parvenir, trois décisions sont prises.

Premièrement, il est prévu d'augmenter de 2 % les cotisations d'assurance des intermittents, lesquelles sont déjà supérieures à celles du régime général : il en résulte 50 millions d'euros de recettes supplémentaires. Ce n'est pas sur ce point que le débat est le plus fort.

Deuxièmement, est mis en place un plafonnement du cumul entre rémunérations et indemnisations, fixé au niveau du plafond d'indemnisation qui seul existait auparavant, soit 4 300 euros par mois. Cette mesure déjà préconisée dans le rapport parlementaire de 2013 permet une économie d'une trentaine de millions d'euros en année pleine et fait l'objet d'un quasi-consensus.

Troisièmement, le différé d'indemnisation est fortement accentué, pour une économie attendue de 100 millions d'euros. C'est cette décision qui ravive le conflit de 2003. D'une part, elle crée la surprise, car une partie importante de la profession pensait qu'il y aurait un retour à certains éléments du régime antérieur à 2003, notamment la date anniversaire ; d'autre part, beaucoup de professionnels ont le sentiment de n'être jamais écoutés. Le dispositif de négociation de l'assurance chômage lie les confédérations patronales et syndicales, en toute légitimité, mais les employeurs du secteur des métiers du spectacle ne font pas partie des organisations patronales qui siègent à l'Unedic et les salariés, s'ils sont pour partie représentés, ne s'y retrouvent pas forcément.

En découvrant l'accord du 22 mars, les intermittents se retournent contre le Gouvernement, lequel renvoie aux partenaires sociaux : la mécanique du conflit s'enclenche à nouveau.

Au mois de juin, le Premier ministre me confie en urgence une mission de médiation qui aboutit à une mesure d'apaisement concernant le différé : un décret précise que l'État prend en charge son coût jusqu'à la prochaine négociation. Par ailleurs, il décide de mettre en place une mission de concertation et de proposition, qui nous est confiée à tous les trois.

Pour la mener à bien, nous avons choisi de suivre une logique de médiation articulée autour de trois méthodes de travail.

Notre premier objectif a été de mettre tous les acteurs autour de la même table, alors qu'ils ne se parlaient plus qu'à travers des communiqués rageurs en s'accusant mutuellement des pires choses. Pour ce faire, nous avons proposé un lieu neutre : le Conseil économique, social et environnemental. Et jusqu'à la dernière minute, nous avons dû mener des négociations pour que tout le monde accepte d'être réuni à la même table : les organisations gestionnaires de l'assurance chômage, signataires ou non de l'accord, les organisations de la branche représentatives des employeurs et des salariés, la coordination des intermittents et des précaires (CIP). À notre grand soulagement, la première réunion s'est déroulée sans que personne ne quitte la pièce.

Nous avons alors été en mesure de rentrer dans la concertation avec, dès le mois de juillet, quatre thématiques en perspective : la question de la précarité, les abus, que nous avons appelés « logiques d'optimisation », l'architecture du système, la gouvernance. Les participants ont pu apprendre à travailler ensemble autour de ce cadre de travail resté inchangé jusqu'au mois de décembre.

Deuxièmement, nous avons mis en place des groupes de travail plus circonscrits consacrés à des questions récurrentes : l'accès au droit, l'accès à la formation – question qui a fait l'objet d'un accord dès le mois de septembre – et, sujet plus délicat, les rapports avec Pôle emploi, souvent assez tendus. Rappelons que 4 millions de contrats à durée déterminée d'usage (CDDU) sont signés chaque année : le système fonctionne plutôt bien, notamment grâce à la numérisation, mais la moindre difficulté – contrat perdu, contrat non reconnu – peut faire basculer le salarié dans une situation kafkaïenne, car, en l'absence de validation des 507 heures, il est privé de l'indemnisation au titre du régime spécifique des intermittents et n'a pas forcément de correspondant vers lequel se tourner.

Troisièmement, nous avons voulu mettre en place une expertise commune. Avec Christian Kert, nous avions déjà avancé grâce à notre rapport sur un diagnostic partagé des chiffres et de la situation, condition d'un meilleur dialogue. Notre mission a dû faire oeuvre de diplomatie pour faire accepter que cette expertise prenne appui sur les chiffres fournis par l'Unedic. Une fois ce point acquis, nous avons, avec elle, fait appel à d'autres experts reconnus par toutes les parties : ils ont progressivement élaboré une méthodologie qui a permis d'établir des données chiffrées brutes sur lesquelles tout le monde s'est accordé, même si leur interprétation et l'évaluation des effets de comportement donnent lieu à des divergences. Tous les acteurs ont appris à travailler en employant le même vocabulaire et en prenant pour base les mêmes chiffres, ce qui a été source d'avancées.

Nous n'avons pas voulu élaborer de préconisations, préférant esquisser des scénarios possibles, exposés dans notre rapport, qui est relativement court. Je vous invite toutefois à examiner, au sein des volumineuses annexes, les simulations des différentes propositions que les partenaires ont fournies selon leurs souhaits. Il s'agit d'un point important car depuis 2003, la colère du monde intermittent s'est nourrie en partie du sentiment que ses propositions n'étaient pas prises en compte. Les résultats auront de quoi vous surprendre car, comme souvent dans les conflits, ce sont ceux qui ont le plus combattu le système qui le connaissent le plus finement.

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