Intervention de Hortense Archambault

Réunion du 28 janvier 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Hortense Archambault, ancienne directrice du festival d'Avignon :

Notre mission a eu ceci d'atypique qu'elle a réuni trois profils différents mais complémentaires et cette confrontation de points de vue a été passionnante. Un des enjeux fondamentaux du conflit est l'incompréhension très forte entre le secteur professionnel du spectacle vivant ou enregistré et une certaine partie de l'opinion publique, focalisée sur la question des abus.

J'ai été très surprise, en commençant cette mission, par la situation paradoxale du secteur de la culture : d'un côté, il est souvent mis en avant pour son dynamisme économique et sa capacité à créer des richesses – je ne parle pas de l'importance de son apport en termes de richesse non évaluable, de l'ordre de l'émancipation personnelle et du vivre-ensemble ; d'un autre côté, il n'est pas reconnu comme mature et responsable s'agissant d'une question qui est au coeur même de son organisation puisque l'intermittence est consubstantielle au fait que le spectacle se structure autour de projets. Chaque production culturelle rassemble en effet autour d'un artiste concepteur – que cela soit pour un film, un spectacle, une chorégraphie ou un festival – une équipe spécifique composée de salariés recrutés par le biais de contrats à durée déterminée d'usage, les CDDU.

Une des avancées de notre mission est d'avoir pu mettre autour de la table les employeurs, jusque-là muets, ce qui n'avait rien de facile car la production repose sur une myriade de petites sociétés fragiles. Force est de constater toutefois que, depuis 2003, la profession a consenti un énorme effort de restructuration via des conventions collectives. Notre mission a pris le parti d'approcher l'intermittence à travers la question de l'emploi. Nous ne considérons en effet pas la question de l'abus comme centrale – nous ne l'avons toutefois pas éludée et avons même posé le doigt sur certains problèmes récurrents dans le cadre de l'expertise. Notons toutefois que le spectacle est l'un des secteurs les plus surveillés : les opérations de contrôle de l'Inspection du travail, dont c'est l'une des cibles prioritaires, ont montré qu'il ne donnait pas lieu à plus de fraudes et de travail non déclaré que d'autres secteurs.

Il importait pour nous de responsabiliser les acteurs du secteur, tout en reconnaissant les avancées auxquelles ils sont parvenus, telles le recul de la « permittence », souligné par le rapport de la mission parlementaire comme par les rapports de la Cour des comptes.

Aborder l'intermittence à travers la perspective de l'emploi nous a conduits à encourager un travail de mise à plat des conditions d'embauche à travers le CDDU dans chacune des branches du secteur, marquées par des spécificités certaines, même si beaucoup de salariés passent de l'une à l'autre – précisons qu'il n'est pas question pour nous d'exclure certaines d'entre elles des annexes. Cet encouragement est important : c'est une marque de confiance donnée aux branches, qui n'empêche toutefois pas d'adresser au secteur des injonctions pour limiter ce qui serait de l'ordre de la fraude du côté des salariés et des logiques d'optimisation du côté des employeurs. Cela suppose de mettre en place des dispositifs d'encadrement des CDDU et de privilégier l'emploi permanent sur le recours aux CDDU, quand cela est possible, afin de mettre fin à la « permittence ».

Par ailleurs, nous avons eu à coeur, grâce à un travail d'expertise, de mettre au point un seul et même chiffrage à partir des données de l'Unedic en vue d'un partage intellectuel du savoir. Nous avons réuni à cette fin un groupe d'experts composé de responsables des services statistiques de l'Unedic, de Pôle emploi et d'Audiens, de représentants de la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) du ministère du travail et du département des études de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de la culture, ainsi que de deux personnalités indépendantes, Jean-Paul Guillot et Mathieu Grégoire. Je tiens à saluer ici l'engagement de ces experts, qui ont vite saisi l'importance de la dynamique collective.

Leur travail riche et profond a conduit à mettre au point une véritable boîte à outils, comportant trois volets.

Premièrement, elle fournit des données de cadrage général sur l'emploi élaborées par Audiens, qui figurent dans la première partie des quatre cents pages d'annexes. Ces chiffres ont pu être confrontés avec ceux de Pôle emploi et de l'Unedic.

Deuxièmement, elle propose un système de simulation élaboré par l'Unedic, qui est au coeur même de notre problématique. Fondé sur des données réelles individuelles, il a été construit à partir des diverses périodes d'emploi de 10 % de la totalité des salariés intermittents indemnisés. Il a permis d'expertiser les trois contre-propositions formulées par les intermittents réclamant un modèle alternatif – la CIP, la CGT et le syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) du spectacle vivant public –, les variations portant sur le retour ou non au système dit de la date anniversaire.

Attardons-nous sur ce dispositif de la date anniversaire. La première de ses caractéristiques est très concrète : c'est la prévisibilité. Une fois les droits ouverts, le salarié est en mesure de savoir ce sur quoi il peut compter pour vivre dans l'année à venir. La deuxième est sa dimension solidaire qui l'emporte sur la dimension assurantielle, question de fond sur laquelle se focalisera sans doute le débat au sein de la profession. Tous les salariés disposent de la même période de référence alors que le système actuel prévoit 243 jours glissants pour l'indemnisation. Un équilibre s'opère entre les salariés ayant beaucoup travaillé et ceux ayant peu travaillé. Ce système est revendiqué par une partie de la profession qui a construit beaucoup de ses luttes autour de la solidarité. Chose aisément compréhensible compte tenu de la nature de l'organisation du travail dans le secteur du spectacle : l'organisation par projet induit une grande variabilité de l'activité. Une personne engagée dans une pièce qui a beaucoup de succès une année peut fort bien l'année suivante travailler beaucoup moins ; de la même manière, les employeurs peuvent avoir une activité dormante une année et la suivante, recruter beaucoup de personnes.

Ces simulations ont montré que les propositions soutenues par la profession n'étaient en rien fantaisistes. Elles relèvent d'un autre modèle, mais entrent dans les cadrages budgétaires actuels.

Reste un troisième point sur lequel le groupe d'experts n'a pu aboutir : les effets des changements de réglementation sur les comportements. Nous préconisons une poursuite de l'expertise sur ce point. Des pistes ont déjà été tracées pour évaluer l'incidence de tel ou tel aspect de la réglementation. Contrairement à ce que l'on pouvait penser, le dispositif de la date anniversaire a un moindre impact financier sur les comportements que le calcul de l'indemnité journalière ou le plafonnement du cumul des rémunérations et des indemnisations.

Il nous a paru important de doter le secteur d'un outil lui permettant d'objectiver les données et de mener un débat constructif sur les modalités à retenir. La question du retour au régime antérieur à la réforme de 2003 est très fortement liée à la date anniversaire. Quant à la formule de calcul de l'indemnité journalière, elle fait l'objet d'une forme de consensus. Tout le monde s'accorde pour dire qu'il faut y intégrer un paramètre favorisant la déclaration du travail : plus le volume d'heures déclarées est important, plus le montant des indemnités doit être élevé.

La spécificité des pratiques d'emploi et des logiques de marché du travail – assez angoissantes pour les salariés, inquiets des possibilités de trouver des contrats – et la très grande complexité du système d'indemnisation réclament de consacrer beaucoup de temps à ces questions techniques pour s'éloigner des fantasmes. Bien sûr, il existe des pratiques inadmissibles, mais la plupart des employeurs sont des personnes responsables qui s'efforcent d'assurer de bonnes conditions de travail à leurs salariés.

L'une de nos propositions est de créer un fonds pour l'emploi culturel : les sommes aujourd'hui destinées à prendre en charge le coût du différé pourraient, une fois cette question réglée par une nouvelle négociation, être affectées à un tel fonds, qui contribuerait à réduire le déficit de l'Unedic en essayant de soutenir l'emploi et d'aider un secteur encore en croissance à continuer de se structurer.

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