Intervention de Pierre Bivas

Réunion du 28 janvier 2015 à 17h00
Commission d'enquête relative aux tarifs de l'électricité

Pierre Bivas, président du syndicat professionnel Cathode et fondateur de l'entreprise Voltalis :

Vous avez demandé, Madame la rapporteure, comment il est possible de faire profiter le plus grand nombre de l'effacement diffus. Je répondrai simplement : en le laissant se développer.

Nous avons la capacité d'équiper aujourd'hui en effacement diffus quelque 100 000 logements, ce qui n'est pas rien. Toutefois, il reste encore beaucoup à faire pour équiper des millions de foyers. Or le consommateur lambda est très demandeur : 80 % des consommateurs que nous avons au téléphone nous demandent d'installer le boîtier que nous leur proposons. Cette adhésion massive est due au fait qu'il s'agit d'un boîtier gratuit qui permet de réaliser des économies. Si le cadre réglementaire ne nous empêchait plus d'exister – la loi est en cours –, ce boîtier serait promis à un développement à grande échelle.

Il faut savoir que l'installation de ce boîtier permet aux consommateurs d'économiser 15 % d'énergie sans même qu'il leur soit nécessaire d'être vigilants, grâce à l'information détaillée que nous leur apportons, sous forme de courbes, en termes de kilowattheures et en termes financiers, et qui relègue Linky au rang du Minitel des années 1980. Cette information, disponible gratuitement en temps réel sur internet, est – c'est le plus important – déclinée par usage. Elle permet donc de connaître les éléments qui consomment le plus – par exemple le radiateur de la salle de bains. Linky, dont la technologie sera dépassée avant même d'être déployée, c'est 10 milliards d'investissement gâchés pour la collectivité, qui ne serviront finalement qu'à détruire, chez ERDF, quelques milliers d'emplois liés à la relève des compteurs.

Nous avons pu constater, en étudiant les courbes de plusieurs dizaines de milliers de logements, l'effet nul des tarifs variables, alors même que, comme Vincent Maillard l'a rappelé, ils existent depuis des années en France. Le plus répandu est le tarif « heures pleines-heures creuses », auquel la majorité de nos adhérents ont souscrit. Si la plupart des consommateurs ont doté leur chauffe-eau d'un contacteur, qui n'autorise le chauffage de l'eau qu'au cours des heures creuses, c'est-à-dire essentiellement la nuit, en revanche, ces mêmes consommateurs chauffent leur logement toute la journée à chaleur constante, bien que cela ne réponde à aucun besoin économique ou écologique. Le consommateur aurait en effet intérêt à chauffer moins en heures pleines et davantage en heures creuses, l'inertie thermique du bâtiment permettant d'absorber les variations.

Si donc les tarifs variables avaient un impact, cela ferait des années que les consommateurs chaufferaient moins à dix-neuf heures, qui est l'heure de pointe : or leurs radiateurs chauffent continûment toute la journée, le chauffage augmentant légèrement à la fin de la nuit, parce qu'il fait un peu plus froid dehors. En fait, les radiateurs consomment de l'électricité non pas dans l'intérêt collectif mais au plus grand profit des fournisseurs et des producteurs. Comme les consommateurs se sauraient rester derrière leurs radiateurs toute la journée, le rôle de notre boîtier, à l'instar du contacteur dont sont dotés les chauffe-eau, est de piloter leur consommation pour éviter des dépenses en heures pleines, voire des gaspillages, – un rôle que le compteur Linky ne pourra jamais remplir.

La valorisation de l'effacement sur les marchés de l'énergie permettrait de financer ce pilotage. Nos quelque 100 000 logements ou équivalents permettent d'effacer un peu moins de 500 mégawatts, alors que le potentiel est de plusieurs gigawatts puisque 7 millions de foyers sont chauffés à l'électricité. Or, selon l'estimation médiane de RTE réalisée il y a deux ans, un gigawatt de capacité d'effacement diffus permettrait aux fournisseurs de réaliser 180 millions d'euros d'économies par an, des économies susceptibles d'être répercutées auprès des consommateurs. S'il était possible d'effacer cinq gigawatts, les économies ainsi réalisées sur les coûts de l'électricité atteindraient presque le milliard d'euros. On retrouve les mêmes chiffres aux États-Unis, où la valorisation, autorisée depuis 2011, des effacements sur les marchés de l'énergie permet de diminuer les coûts des fournisseurs au bénéfice final des consommateurs.

Pourquoi des fédérations syndicales de l'énergie seraient-elles opposées au développement de l'effacement diffus, alors que les consommateurs, les fournisseurs et les producteurs eux-mêmes, comme l'a montré M. Maillard, y gagneraient ? La première raison communément avancée est que les économies d'énergie ne constituent pas le premier objectif des vendeurs d'énergie – ce qui rend indispensable l'existence d'opérateurs indépendants. La deuxième, c'est que l'effacement diffus entre en concurrence avec les producteurs, puisque cet effacement est une alternative aux centrales. Or il faut savoir que l'effacement diffus permettra aux producteurs de réaliser des économies, en termes de construction et de d'entretien de centrales de pointe, dont les coûts sont plus élevés que les éventuels bénéfices que ces mêmes centrales leur permettent de réaliser. En fait, la vraie raison tient à la structure du marché. Le plan des fournisseurs secondant largement le plan de l'opérateur historique lui-même, leur intérêt est de piloter le marché pour obtenir une hausse annuelle de 5 % des tarifs. C'est pourquoi nous sommes ravis que votre commission d'enquête se penche sur le sujet. Nous apportons en effet des arguments visant à limiter les coûts et donc une hausse infinie du tarif de l'électricité. Les informations indépendantes que nous apportons aux consommateurs leur permettant de réaliser des économies d'énergie, notre démarche n'enthousiasme pas des organismes dont le métier est de produire et de vendre le plus possible de l'électricité, à un prix de plus en plus élevé. C'est pourquoi ces organismes ne voient pas d'un bon oeil les alternatives que nous proposons.

Selon l'ADEME, le chauffage et l'eau chaude entrent pour 80 % dans la consommation de l'énergie. Les 7 millions de foyers dotés d'un chauffage électrique consomment donc cinq fois plus d'électricité que les autres. Ce sont eux également qui contribuent le plus à la formation de la pointe, dont la facture électrique est la plus lourde et qui sont les plus sensibles à d'éventuelles économies d'énergie. Ce sont donc à ces 7 millions de foyers qu'il convient d'apporter les services les plus étendus. Si nous pouvons exercer notre activité, dans le cadre du droit européen transcrit dans la loi française, comme cela est en cours, l'effacement diffus pourra équiper plusieurs millions de foyers en France pour lesquels réaliser des économies d'énergie sera d'autant plus intéressant, que cela ne leur coûtera rien. En revanche, une telle démarche permettra d'économiser les 10 milliards d'euros investis dans Linky, dont les trois quarts seront gâchés puisque Linky équipera, pour les trois quarts, des foyers qui prendront leur part de financement d'un système qui ne leur fera réaliser que d'infimes économies.

Seul le développement de l'effacement diffus permettra de réaliser des économies à grande échelle.

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