Disons que je ne bénéficie pas d'une rémunération garantie qui procure des avantages sociaux. Je représente ceux qui sont à la base de tout et qui sont les plus fragiles. Notre discussion n'aurait pas lieu, en effet, sans les créateurs. On entend beaucoup parler des ayants droit, et en ma qualité de président de la SACEM, je suis solidaire des producteurs et des interprètes, mais je représente avant tout ceux qui sont à l'origine de la création des oeuvres. La filière n'existerait pas sans eux.
Pour moi, quiconque bénéficie, d'une façon directe ou indirecte, du droit d'auteur doit participer au financement de la création. Ce système de rémunération pour copie privée est vertueux parce qu'il dirige les sommes en question vers ceux qui en ont besoin et qui sont les victimes des progrès de la technique, même si ceux-ci favorisent une diffusion extraordinaire des oeuvres. Je citerai un exemple personnel : il y a quelques années, alors que la création française de mon premier opéra avait lieu à Nice, une choriste est arrivée avec le disque que j'avais moi-même produit et m'a expliqué qu'elle en avait fait soixante copies afin que chaque choriste puisse en disposer. Si l'auteur a été flatté, il en est allé tout autrement du producteur que j'étais aussi… Une cohérence s'impose donc pour que nous puissions continuer à produire. Je rappelle que 75 % des sommes sont répartis entre leurs membres par les différentes sociétés de gestion collective à partir de critères extrêmement précis, et que 25 % sont consacrés à des actions d'aide à la culture. Cet élément est aujourd'hui essentiel d'autant que ce sont les différents collèges d'artistes et d'ayants droit qui décident, au sein des différentes sociétés de perception et de répartition des droits. Si le système était remis en question, il est peu probable que le ministère de la culture ait les moyens de compenser – le président Bloche l'a rappelé cela a représenté quelque 50 millions d'euros l'année dernière.
Je m'inscris en faux contre les propos tenus par l'intervenant précédent s'agissant de l'Espagne : la rémunération pour copie privée y a été supprimée. Les 5 millions d'euros représentent la compensation que l'État doit verser, ce qu'il n'a pas encore fait.
Il faut voir au quotidien quelles seraient les conséquences d'une modification du système. Comme chef d'orchestre et directeur musical de l'orchestre Colonne, j'ai proposé qu'on inscrive une oeuvre de musique contemporaine dans chaque programme et que toutes les places de première catégorie en abonnement soient à dix ou douze euros afin de permettre à tout le monde d'aller au concert. J'ai souhaité qu'on puisse inviter trois jeunes chefs sans notoriété pour leur faire connaître l'orchestre. Eh bien toutes ces actions, qui sont soutenues par la SACEM, par la société pour l'administration des droits des artistes et musiciens interprètes (ADAMI), par Musique nouvelle en liberté, ne pourront plus être menées à bien si le système actuellement en vigueur est modifié dans de grandes proportions !
Il me semble que le problème fondamental est moins lié à une difficulté de fonctionnement de la Commission de la copie privée qu'au sentiment des grands importateurs de voir baisser leurs marges bénéficiaires. J'aimerais que leurs représentants soient heureux de se dire qu'ils soutiennent la création et qu'ils comprennent que, plus il y aura de création, plus ils auront de possibilité de vendre leurs appareils. Quant aux consommateurs, au lieu de chercher toujours la gratuité, qu'ils prennent conscience qu'ils ont besoin de diversité. Or pour qu'il y ait choix, il faut que la création, la production soient soutenues. Toutes les techniques merveilleuses que nous connaissons aujourd'hui existent finalement grâce à elles. Certes, le système peut être amélioré. Pascal Rogard pourra rappeler, à cet égard, que 2 000 conventions d'exonération ont été passées avec des industriels, et que si certains ne peuvent pas être remboursés, c'est que le ministère de l'économie et des finances n'a pas encore défini le taux de TVA approprié. La balle est dans le camp des autorités et non des sociétés de perception et de répartition des droits (SPRD).
Je me réjouis que le président Bloche ait pris l'initiative d'organiser cette table ronde. Il faut effectivement dépassionner les choses, et remettre au centre du débat la problématique essentielle, à savoir permettre à la création d'exister et d'être diverse sans dépendre de la volonté de sponsoring d'une marque de téléphone ou de machine à laver. Il s'agit de donner les moyens de créer. Tel est l'esprit, évidemment constructif et solidaire de la filière musicale, dans lequel nous travaillons. Mais je rappelle une fois encore que je représente ici les plus fragiles, ceux qui sont à la base de tout, les créateurs et leurs éditeurs.