Intervention de Stéphane Travert

Réunion du 3 février 2015 à 16h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Travert, rapporteur pour avis :

Le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, dit « NOTRe », constitue, après l'adoption de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite MAPTAM, et de la loi du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, le troisième volet de la réforme des territoires souhaitée par le Président de la République.

Le projet de loi, déposé le 18 juin 2014 au Sénat, qui l'a adopté le 27 janvier dernier, doit être examiné par notre commission dans des délais extrêmement courts, du fait de son inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale dès la semaine du 16 février prochain. La réunion de la commission des Lois, saisie au fond, est d'ailleurs déjà en cours. J'ai néanmoins pu mener dans ce temps très court quelques auditions et recevoir des contributions écrites qui m'ont permis de bénéficier de l'éclairage tant d'associations d'élus que de praticiens de terrain.

S'agissant des compétences éducatives, deux grandes propositions ont structuré le débat : le transfert de la gestion matérielle des collèges des départements aux régions et les transports scolaires. Il me semble cependant important de préciser ici, au préalable, que les propositions du projet de loi initial étaient fortement liées aux perspectives qui présidaient alors aux réflexions. Dans un contexte d'extinction progressive des départements, transférer toutes les compétences éducatives à la région avait la force de l'évidence. Mais dès lors qu'est acté le maintien des départements, ancrés dans leur vocation de solidarité et de proximité, le débat change de nature.

L'importance de l'association des collectivités à l'éducation, dont elles assument près du quart de la dépense intérieure, m'a conduit à soumettre les dispositions du projet de loi à trois grandes questions.

La première, essentielle, est celle de la cohérence avec les ambitions que nous avons fixées à l'Éducation nationale. Les transferts proposés servent-ils efficacement les objectifs fondamentaux que nous poursuivons pour réussir la refondation de l'école ? Comme beaucoup d'autres, j'ai pu constater que le transfert des collèges aux régions proposé par l'article 12, supprimé par le Sénat, et la reformation d'un « bloc » du secondaire allait directement à l'encontre de l'un des axes majeurs de la loi de refondation. D'une part, pour parvenir à doter tous les élèves d'un solide socle commun de connaissances, de compétences et de culture, nous nous sommes entendus sur la nécessité de rapprocher le collège de l'école primaire, notamment en instituant un nouveau cycle à cheval sur le CM2 et la sixième. D'autre part, face à la dangereuse inflation de l'échec dans les premiers cycles universitaires et aux sévères difficultés d'orientation rencontrées par trop de nos jeunes concitoyens, s'est affirmée la volonté d'étoffer les liens entre les lycées et l'enseignement supérieur, avec une continuité entre bac moins trois et bac plus trois, sur laquelle travaille d'ailleurs une mission d'information créée par notre commission.

Le rapprochement des collèges et des lycées interviendrait à contre-courant de cette volonté de décloisonnement. Il est vrai que les missions des collectivités prévues dans la loi se limitent aux investissements et au fonctionnement des établissements. Mais nous savons tous combien les départements et les régions ont su déployer des activités et promouvoir des initiatives bien au-delà de cette frontière – je pense à l'équipement numérique, au soutien scolaire, aux bourses. Dans les faits, les collectivités limitent leurs interventions au type d'établissement dont elles assument la charge. C'est pourquoi il m'est apparu beaucoup plus cohérent de laisser les collèges aux départements, collectivités de proximité et de solidarité, tout en encourageant les régions à réussir leur nouvelle mission de service public de l'orientation en se concentrant sur les lycées et l'enseignement supérieur.

Le deuxième grand principe qui a inspiré mes réflexions, c'est la cohérence des missions confiées à chaque collectivité. La gestion des collèges, je l'ai dit, me semble plus aisément s'inscrire, au regard tant des douleurs sociales qui peuvent parfois s'y exprimer que des défis qu'ils recèlent en termes d'accompagnement personnalisé et de coordination avec l'école, dans la vocation de proximité et de solidarité des départements. À l'inverse, transférer les près de 40 000 agents territoriaux d'entretien de ces établissements à la région – ce qui en augmenterait les effectifs de 50 % –, risquerait de les priver définitivement de l'atout qu'est leur caractère d'administration de mission et non de gestion. Ce qu'il faut, c'est leur donner tous les moyens d'être les stratèges du développement, de l'innovation et de l'emploi dont nous avons tant besoin.

Ce souci de cohérence entre les vocations des collectivités et les missions proposées m'a conduit, à l'inverse, à revenir sur la suppression par le Sénat du transfert de la compétence en matière de transport scolaire inscrit à l'article 8. Il me semble, en effet, que cette proposition rentre parfaitement dans la vocation de coordination et de planification que l'on souhaite donner aux régions. Il ne faut pas se méprendre sur ce sujet : il n'est pas question d'imposer brutalement aux régions la gestion quotidienne du complexe maillage des réseaux de ramassage scolaire. Le texte proposé par le Gouvernement, que je vous suggère de rétablir, préserve la faculté de déléguer tout ou partie de cette compétence à des organisateurs secondaires parmi lesquels figurent, bien sûr, les départements. L'idée est, en sens opposé, d'apporter cohérence, clarté et harmonisation dans des services publics de transports scolaires qui aujourd'hui diffèrent beaucoup selon les territoires. Les économies d'échelle seront réelles, tout comme d'ailleurs les possibilités de solidarité, car il faut rappeler qu'aujourd'hui les départements qui dépensent le plus en matière de transport scolaire, en raison de la dispersion de l'habitat, sont les départements ruraux, qui ne sont pas les plus riches.

Ici intervient mon troisième critère d'appréciation : le nouvel équilibre des compétences qui est proposé sert-il aussi la nécessité de rationaliser les dépenses ? Pour les collèges, je pense que le transfert aux régions n'était probablement guère économe, ne serait-ce qu'en raison des différences de traitement que réservent régions et départements à leur personnel dans les établissements scolaires. Cela ne doit pas pour autant nous empêcher d'avancer, car il existe de vraies possibilités de mutualisation entre des collectivités dont le métier ne diffère pas selon qu'elles l'exercent dans les collèges ou les lycées. C'est pourquoi je vous proposerai une solution alternative, confiant à la région, désignée chef de file, la responsabilité de préparer des actions communes de mutualisation en rédigeant un projet de convention territoriale d'exercice concerté pour les compétences éducatives, soumis ensuite à la conférence territoriale de l'action publique (CTAP) et, bien sûr, à la ratification des conseils généraux.

S'agissant, ensuite, des compétences en matière de culture et de sport, le projet de loi prévoit le maintien de ces deux domaines dans le champ des compétences partagées entre les niveaux de collectivités territoriales, par dérogation à la suppression de la clause de compétence générale des régions et des départements à laquelle procèdent respectivement les articles 1er et 24 du projet de loi. Cette suppression, qui s'inscrit dans un souci de rationalisation de l'action des collectivités territoriales, ne se justifie pas dans tous les domaines, notamment ceux marqués par la transversalité comme la culture et le sport. Ces deux champs de compétences ont d'ailleurs toujours été, depuis l'adoption de la loi du 7 janvier 1983, partagés par les différents niveaux de collectivités territoriales. La loi du 16 décembre 2010, qui avait supprimé la clause de compétence générale des régions et des départements, avait déjà maintenu les compétences relatives à la culture et au sport dans le champ des compétences partagées n'étant pas susceptibles d'être confiées de manière exclusive à un seul niveau de collectivité territoriale.

En matière de politique culturelle, c'est la libre intervention qui a permis aux différents échelons de contribuer à la construction d'un modèle culturel français singulier, garant de la liberté de création, de diffusion des oeuvres et de la continuité des projets. Fondés sur le seul volontariat des élus locaux, les financements conjoints ont ainsi été à l'origine d'un maillage dense en équipements culturels, d'une diversité de l'offre et de l'existence d'un secteur artistique structuré sur tout notre territoire. De plus, la construction de grands équipements, qu'ils soient culturels ou sportifs, met nécessairement en jeu des cofinancements par les différents niveaux de collectivités, ce qui permet une levée de fonds bien plus importante mais aussi une répartition des risques financiers et, au-delà, un partage d'expériences et une vision d'ensemble à l'échelle d'un territoire plus vaste.

L'article 28 du projet de loi conforte la logique d'exercice conjoint d'une compétence partagée des différents échelons locaux dans les domaines de la culture et du sport. Ce maintien de l'état actuel du droit a été unanimement salué par les personnes que nous avons consultées, même si nombre d'entre elles ont par ailleurs exprimé leur inquiétude que l'État puisse prendre prétexte du contexte budgétaire que connaît notre pays pour se désengager du financement des actions culturelles et sportives sur les territoires. Il faut ici réaffirmer avec force la mission déterminante que l'État doit assumer en matière de politiques culturelles : il est le garant de l'équité dans l'accès à la culture de tous les citoyens, de la cohérence des politiques menées sur l'ensemble du territoire national et du bon maillage des territoires, nécessaire pour éviter que des zones entières ne soient délaissées. Il revient aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC) d'assumer cette mission en région.

Je reçois comme un signal fort les récents engagements pris par le Gouvernement en la matière : outre la sanctuarisation des crédits de la culture sur trois ans décidée dès la fin de l'année dernière, le dégel immédiat des crédits des programmes « Création » et « Transmission des savoirs » de la mission « Culture » a été annoncé le 7 janvier 2015, ainsi que leur augmentation dans le cadre du prochain projet de loi de finances.

Parallèlement au maintien de compétences partagées, le projet de loi encourage une simplification de l'organisation des cofinancements au plan local, en instaurant des procédures de centralisation du traitement des demandes de financement à l'article 29. Il est attendu de ces procédures à la fois une rationalisation de l'action publique, destinée à éviter les doublons dans le traitement administratif des demandes par les différents échelons locaux, et une simplification des démarches pour l'ensemble des porteurs de projets. La traduction juridique de ce qui est improprement qualifié de « guichets uniques » est l'instauration de procédures facultatives de délégations, par les collectivités territoriales ou l'État, de l'instruction des dossiers et de l'octroi des aides à une collectivité délégataire – l'État ou un autre niveau de collectivité territoriale – qui aura une vision globale du dossier. Dans tous les cas, la délégation sera formalisée par une convention. Cette procédure permettra aussi de réduire les frais administratifs des acteurs culturels et contribuera à restaurer la marge artistique qui a beaucoup trop diminué ces dernières années.

Le Sénat a, par ailleurs, enrichi cette partie du texte de deux articles additionnels. L'article 28 A vise à garantir les « droits culturels » des citoyens par l'exercice conjoint de la compétence en matière de culture par l'État et les collectivités territoriales – je vous présenterai d'ailleurs un amendement proposant une réécriture de l'article. L'article 28 bis conforte les compétences des conférences territoriales de l'action publique dans les domaines de compétences partagées. Je me réjouis que les sénateurs, un temps moins favorables aux CTAP – je n'ai pas oublié les débats de la loi MAPTAM – soient aujourd'hui à ce point convaincus de la nécessité de renforcer leurs missions qu'ils créent des CTAP dédiées à la culture et au sport et qu'ils prévoient des postes de membres de droit pour tous les sénateurs du département !

Maintenir l'exercice partagé des compétences ne suffit pas, il faut aussi définir les outils d'une bonne articulation territoriale des politiques afin d'éviter que des pans entiers de la création culturelle ou de la pratique sportive ne disparaissent de certains territoires. Je souscris donc largement aux apports du Sénat s'agissant des CTAP, même si je vous proposerai de revenir sur le statut de membres de droit que se sont octroyé les sénateurs.

Enfin, le projet de loi transmis par le Sénat comprend deux dispositions particulièrement utiles relatives aux centres de ressources, d'expertise et de performance sportive (CREPS), qui préparent les sportifs de haut niveau et mettent en oeuvre des formations professionnelles dans les domaines des activités physiques et sportives et de l'animation.

À l'initiative du Gouvernement, les compétences qui revenaient exclusivement à l'État seront désormais partagées avec les régions, qui pourront faire des CREPS de véritables outils au service de la politique sportive locale ainsi que des politiques régionales en faveur de la jeunesse, de l'éducation populaire, voire de l'emploi. Les régions seront beaucoup plus impliquées dans la gouvernance des CREPS et pourront adapter leurs actions aux besoins constatés au niveau local. C'est là l'objet de l'article 12 ter.

Celui de l'article 12 quater est de résoudre les problèmes liés aux CREPS d'Houlgate, de Dinard et d'Ajaccio, repris, après leur fermeture, par des structures associatives ou groupements d'intérêt public. Or ces locaux étaient seulement mis à disposition par l'État, et les régions concernées ne peuvent pas y réaliser les investissements nécessaires. C'est pourquoi l'article 12 quater prévoit la cession, à titre gratuit, de ce patrimoine immobilier aux régions.

Le projet de loi « NOTRe » vient souligner qu'en matière de culture et de sport, tous les niveaux de collectivités ont un rôle essentiel à jouer. L'ensemble des élus territoriaux ont entre leurs mains l'avenir du développement culturel de notre pays et doivent poursuivre la décentralisation culturelle dans le dialogue avec les services déconcentrés de l'État. Rappelons que la culture est portée à plus de 70 % par les collectivités locales et qu'aujourd'hui, certaines d'entre elles se détournent du financement des projets culturels en faisant de la culture une variable d'ajustement. L'État et les collectivités sont, sur ce point, liés par une histoire partagée. Portons avec fierté cette volonté de démocratie culturelle garante d'un accès égal à la culture sur tous les territoires pour tous et toutes, singulièrement pour les jeunes.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous propose de donner un avis favorable, sous réserve de l'adoption de quelques amendements, aux articles dont la commission s'est saisie.

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