Intervention de Hakima El-Haite

Réunion du 28 janvier 2015 à 16h15
Commission des affaires européennes

Hakima El-Haite, ministre déléguée chargée de l'environnement du Royaume du Maroc :

Les relations entre nos deux pays sont structurelles, historiques, et j'espère que nous dépasserons rapidement les difficultés que vous avez évoquées, Madame la présidente Élisabeth Guigou.

Le Maroc a engagé un processus d'adaptation au changement climatique dans les années soixante, alors que l'on ne parlait pas encore de changement climatique. C'est en effet à cette époque que le Maroc, parce qu'il connaissait des périodes de sécheresse récurrentes et qu'il arrivait que nos villes soient privées d'eau potable, a édifié les premiers barrages de la région. Pendant une décennie, notre pays a ainsi conduit une politique en vue de sécuriser son alimentation en eau potable. Nous avons compris par la même occasion que les bassins versants devaient être protégés, et nous sommes ainsi partis dans l'aventure de la reforestation, de la stabilisation des sols, afin de diminuer l'envasement des barrages. La culture du développement durable a tout d'abord existé chez nous en raison de besoins nationaux, pour répondre à des phénomènes naturels propres au Maroc.

Notre pays connaît une distribution irrégulière des précipitations, entre le Nord, où elles sont de 1 800 millimètres cubes par an, et le Sud, où elles sont de moins de soixante millimètres cubes. C'est ainsi que nous en sommes venus à la notion de plan national des ressources en eau. Ce plan s'est sophistiqué d'année en année, et l'alimentation en eau potable a ainsi pu être sécurisée. Alors que dans les années quatre-vingt-dix le taux d'alimentation en eau potable était inférieur à 30 %, il est de 100 % aujourd'hui. Sur cette politique de la ressource en eau, s'est ensuite greffée, pour assurer la sécurité alimentaire, une politique agricole, profitant elle-même des barrages.

Dans les années quatre-vingt-dix, le Maroc a connu une passe très difficile, avec un plan d'ajustement structurel. À partir de 2000, avec l'avènement de Sa Majesté le roi Mohammed VI, nous avons engagé une période de stratégies sectorielles. Il s'agit de stratégies ciblées, avec un objectif de rattrapage économique et social, dans un contexte où le potentiel en eau avait diminué, la facture énergétique avait été multipliée par quatre, les prix des denrées, du blé, du sucre, avaient augmenté. Face à la facture énergétique, une caisse de compensation avait été mise en place, mais une telle situation appelait d'autres solutions. À partir de 2003, nous avons donc commencé à cibler les stratégies. C'est ainsi qu'en dix années de règne, nous avons réalisé en termes d'indicateurs économiques et sociaux ce qui n'avait pu l'être en quarante ans : le PIB marocain a été multiplié par trois, le taux d'accès à l'eau potable est passé de 14 à 90 %, le taux d'électrification de 15 à 97,5 %, la pauvreté a diminué de moitié, passant de 17 à 8 %, l'extrême pauvreté a été pratiquement éliminée, le taux de scolarisation a augmenté…

Cette période d'accélération économique et sociale a eu – on ne fait pas d'omelette sans casser des oeufs – un impact important au plan environnemental. L'empreinte écologique a été significative, la biocapacité a diminué – une dégradation représentant un coût monétaire de près de 4 % du PIB. En même temps, la densification de la population, et sa concentration, à hauteur de 60 %, sur le littoral, de même que 90 % de l'industrie et 95 % du tourisme, engendrait d'énormes pressions.

Les lois environnementales ont commencé à voir le jour en 2003 avec la promulgation de la loi sur les études d'impact, qui impose à tous les projets, publics comme privés, une étude certifiant leur soutenabilité environnementale. Puis, le lancement de la charte nationale de l'environnement et du développement durable, en 2008, a donné lieu à l'intégration dans la nouvelle Constitution du Maroc en 2011 du droit à un environnement sain et au développement durable.

Les stratégies sectorielles concernent tout d'abord la politique de l'eau, sachant qu'est anticipé un déficit de 5 milliards de mètres cubes à l'horizon 2020. Il s'agit d'organiser la solidarité des régions et des agences marocaines au plan de la distribution et de la sécurisation de l'eau potable.

Le plan vert, ensuite, plan agricole lié à la politique de l'eau, vise à convertir les systèmes gravitaires d'irrigation en systèmes de goutte-à-goutte permettant d'économiser l'eau et en même temps d'intensifier la production. Ce plan traite également la question des pollutions par pesticides et autres.

La politique énergétique, initiée en 2010, est fondée sur l'objectif de 42 % d'énergies renouvelables – éolien, solaire et hydroélectricité – dans le mix énergétique marocain. Quand nous avons défini cette stratégie, les Marocains pensaient qu'elle était trop ambitieuse, que nous n'aurions pas les moyens d'atteindre cet objectif. Or nous sommes sur la bonne voie. Nous avons déjà réalisé une grande station d'énergie solaire à Ouarzazate, la première au monde, et nous avons lancé les deuxième et troisième étapes. Nous sommes en train de réaliser 500 gigawatts d'énergies renouvelables, et nous escomptons 2 000 gigawatts à l'horizon 2020.

Cette nouvelle tendance de la politique énergétique, entièrement durable, est elle-même une réponse à une problématique nationale, car nous étions dépendants à 97,5 % de l'extérieur pour notre consommation d'énergie. Cette facture pesait très lourd sur le budget de l'État, car celui-ci subventionnait l'énergie extérieure par une caisse de compensation, ce qui profitait aux industriels marocains mais aussi aux étrangers transportant des marchandises dans notre pays. Pendant des années, on se demandait comment mettre fin à ce système et aller vers des prix réels, sans affecter pour autant la couche sociale bénéficiant de la subvention du carburant.

Dans le cadre d'une nouvelle vision déclinée par la Constitution, a été promulguée, début 2014, une loi-cadre sur l'environnement et le développement durable, qui a posé trois principes majeurs : l'intégration de la protection de l'environnement dans toutes les politiques publiques et tous les projets de développement au plan national, l'intégration de la contrainte du changement climatique dans tous les projets, enfin la considération de la croissance verte comme une composante de la dynamique économique et industrielle marocaine. Les départements ministériels ont une année pour se mettre à jour et intégrer les exigences de cette stratégie. Des divisions ou directions ont été créées dans les ministères afin de mettre en oeuvre ses recommandations et plans d'action.

Grâce à ce travail, nous avons été le premier pays à préparer un plan d'investissements verts, outil proposé à New York. C'est le « verdoiement » de toutes les politiques sectorielles, avec une convergence : les études ont en effet montré une perte de quatre points de PIB à cause du manque de convergence. Les départements ministériels ont constaté que cette stratégie permettait de réaliser des gains : si elle coûte 2 % à leurs budgets, les gains sont de 8 %. Je vous donne un exemple. Les exploitants agricoles du Maroc 95 % d'entre eux ont sont propriétaires de moins de cinq hectares , qui utilisaient du butane subventionné par l'État, ont été incités par une subvention à passer au pompage solaire. Ce projet a permis de réduire la subvention du butane, qui représentait 12 % des dépenses de la caisse de compensation. Ce sont des économies pour l'État. Il en va de même de la levée de la subvention sur les énergies fossiles : celle-ci avait perdu toute logique dans le contexte d'une stratégie de croissance verte. La question était posée depuis des années ; nous avons eu le courage de prendre la bonne décision.

En 2005 a été lancée l'initiative nationale de développement humain, en vue de réduire les ségrégations sociales et de faire en sorte que le développement économique ait un plus grand impact sur le social, mais elle a longtemps piétiné. Nous sommes aujourd'hui passés aux évaluations des politiques publiques, qui nous permettent de mesurer l'impact de la création de valeur ajoutée sur le social, tout en nous inscrivant dans une philosophie de croissance verte.

De même, si le chantier des déchets a longtemps accusé du retard, on ne parle plus aujourd'hui, au Maroc, de déchets : on parle de ressource. Nous sommes en train de créer des centres de valorisation de matière. Une dizaine de filières industrielles sont en cours de création, pour les déchets dangereux et non dangereux. Cela a permis d'entraîner le secteur privé dans des investissements importants, de créer de l'emploi, et l'État a pu se désengager de chantiers de traitement de déchets dangereux pour lesquels il n'avait pas de compétences.

Notre stratégie de développement durable nous coûtera 2 % du PIB mais elle permet des gains au plan national, ainsi que la création de 250 000 emplois à l'horizon 2020 grâce à l'économie circulaire.

Dans ma déclaration à Lima, j'ai dit que nous étions en train de préparer un accord à Paris. Il faut garder en mémoire que les enjeux des différents groupes de pays parties ne sont pas les mêmes. Au sein même du groupe auquel le Maroc appartient, le Groupe des 77 plus la Chine, les enjeux sont divers. La COP21 devrait être la conférence qui apporte une réponse gagnant-gagnant à toutes les parties prenantes. C'est certes difficile, mais nous avons gagné du terrain à Lima en parvenant à instaurer une répartition de 50 % des fonds pour les mesures d'atténuation et 50 % pour les mesures d'adaptation. Les pays africains, fortement menacés par les changements climatiques, et où se trouvent quarante des cinquante pays les plus pauvres du monde, perdent 8 % de terres chaque année. On ne peut fermer les yeux sur leur situation. Limiter le réchauffement à moins de deux degrés Celsius, c'est l'objectif ultime. Pour l'atteindre, les mesures d'atténuation, je vous l'accorde, sont prioritaires. Nous nous attendons à ce qu'à la conférence Paris les engagements des pays soient clairs et échelonnées dans le temps, ainsi que leurs participations financières, et que les apports au Fonds vert soient clarifiés : il ne s'agit pas de donations mais d'engagements des pays industrialisés.

L'exemple marocain peut montrer aux pays africains qu'il n'y a pas besoin de 100 % d'apport initial pour financer les mesures d'adaptation, qu'une petite participation suffit pour enclencher l'investissement privé. Le Maroc a prouvé que, moyennant un euro de financement, nous pouvons faire appel à cinq euros d'investissement privé. Cette expérience est importante car les pays africains peuvent se projeter dans le Maroc, alors qu'ils ne se projettent pas forcément dans la France ou d'autres pays industrialisés. La COP21 devra également clarifier les besoins. Tels qu'ils ont été estimés, ils démotivent les pays industrialisés, qui se disent en crise. En tout état de cause, il n'y a pas besoin de 100 % de financement, et le plan vert, le plan solaire marocains en sont les meilleurs exemples. Les filières industrielles créées au Maroc grâce à une petite contribution de l'État ont fait gagner de l'argent à celui-ci.

De Paris dépendra la COP22 au Maroc. J'espère que les critères d'éligibilité au Fonds vert seront clarifiés. Pour le moment, nous savons qu'il y a quelques 10 milliards de dollars dans le Fonds, mais non comment ils seront répartis. On nous demande des intended nationally determined contributions (INDC) d'ici à mars, alors que les pays africains sont dans l'incapacité d'y pourvoir à cette date ; le Maroc, qui est prêt depuis un an déjà, se mobilise pour les aider.

Je suis confiante quant à la possibilité que les négociations à Paris aboutissent à un accord qui soit opérationnel. Je reste donc sur le plan A, supposant que Paris va réussir. Si ce n'est pas le cas, nous devrons revoir les accords. À Lima, j'ai dit que Varsovie était la COP des concertations, Paris celle des décisions, et que le Maroc serait celle de l'action : j'espère qu'il nous reviendra d'opérationnaliser les accords de Paris.

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