Précisons que les variations de prix dépendent aussi de la disponibilité des interconnexions. Lorsque l'Allemagne dépasse un certain seuil de production intermittente d'énergies renouvelables, du fait d'un ensoleillement élevé ou de forts vents, elle va chercher à exporter le plus possible. Toutefois, ce mouvement se heurte à la saturation des capacités physiques d'interconnexion, ce qui a pour conséquence de faire baisser les prix allemands tandis que les prix dans les pays voisins se maintiennent à un niveau supérieur.
Ce phénomène de plus en plus fréquent induit une distorsion des prix. Les producteurs d'énergies renouvelables ayant bénéficié de subventions et d'obligations d'achat, ils n'ont pas eu besoin de prix élevés sur le marché pour financer leurs coûts fixes et leurs investissements, à la différence des centrales thermiques. Ils ont tendance à construire davantage que s'ils s'étaient situés dans le cadre d'un optimum économique. De ce fait, ils entretiennent une surcapacité extrêmement pénalisante pour les autres producteurs. Les acteurs qui ont investi dans des cycles combinés au gaz en ont particulièrement souffert. Moins bien lotis pour affronter la concurrence que les producteurs utilisant des centrales nucléaires ou des centrales au charbon, ils sont près de mettre la clef sur la porte. Cette situation est plutôt préoccupante car leur présence pourrait être nécessaire demain pour équilibrer un système où la pénétration des énergies renouvelables sera beaucoup plus forte.
La France est, à cet égard, extrêmement bien placée car elle a une bonne maîtrise des dispositifs d'effacement, qu'il s'agisse des effacements des jours de pointe (EJP), des heures creuses ou des tarifs à effacement de type Tempo. La participation des consommateurs, j'insiste sur ce point, est une condition sine qua non de la transition énergétique car elle permet de donner de la souplesse au marché et donc d'apporter la flexibilité nécessaire face au caractère intermittent de la production des énergies renouvelables. Le mécanisme de capacités en cours d'implémentation en France valorise les mégawatts installés, disponibles pour produire. Il est à espérer que cette rémunération de la capacité permettra de développer des capacités d'effacement significatives qui nous ramèneront au niveau d'avant l'ouverture à la concurrence voire au-delà. Rappelons qu'aux États-Unis, les mécanismes de capacités ont permis de générer des effacements atteignant 10 % à 15 % de la capacité de pointe.
Pour finir sur les énergies renouvelables, je préciserai que la formation des prix sur un marché de gros se fait par empilement des différentes technologies, par coûts marginaux ou coûts variables croissants : de la centrale qui coûte le moins cher à faire tourner à celle qui coûte le plus cher pour satisfaire la demande. Lorsque des quantités de renouvelables, aux coûts variables très bas, sont intégrées, les centrales les plus chères sont repoussées hors de la courbe d'offre, ce qui a tendance à faire baisser le prix.
J'en viens aux transactions sur le marché de gros. Les chiffres que vous avez cités, madame Dubié, montrent que le marché allemand est trois à quatre fois plus liquide que le marché français alors que les consommations sont similaires. La liquidité des marchés est fondamentale : elle est le gage d'un marché compétitif, plus difficilement manipulable et source d'une référence de prix robuste de nature à donner confiance aux acheteurs, aux vendeurs et aux investisseurs. Si le marché français est moins liquide, c'est à cause de sa structure, beaucoup plus concentrée, mais avant tout à cause du maintien de tarifs réglementés, dont la compétitivité n'incitait pas les acteurs à se déplacer vers le marché de gros. Cette tendance semble toutefois s'inverser avec la baisse des prix de gros, rendus plus attractifs.
Donner au marché de gros les moyens de se développer correctement, c'est permettre que la transition énergétique se déroule dans des conditions optimales. Les signaux que le marché adresse aux producteurs comme aux consommateurs sont très importants pour rendre le système flexible et réactif. Les tarifs horo-saisonnalisés mis en place en France sont une première mesure qui donne un signal aux consommateurs sur le meilleur moment pour consommer, y compris à des prix négatifs, en étant rémunérés. Pour accroître la flexibilité du système, certaines conditions sont toutefois requises. On ne peut pas demander à un petit consommateur résidentiel d'être exposé à des prix variables sans lui donner la possibilité de les analyser. Cela nécessite de développer une nouvelle infrastructure de compteurs intelligents, les smart meters.