Intervention de François Bourdillon

Réunion du 27 janvier 2015 à 13h30
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

François Bourdillon, directeur général de l'INPES et de l'Institut de veille sanitaire, InVS :

Merci, madame la présidente, pour votre invitation à venir parler de la santé des femmes. C'est un sujet important en termes de santé publique, à mon sens très insuffisamment porté. Précédemment, dans le cadre de la chaire « santé » de Sciences Po, nous nous étions dit, Didier Tabuteau et moi-même, qu'il fallait formaliser un certain nombre de savoirs : d'où les deux séminaires, que j'ai présidés en 2012 et 2013, concernant la santé des femmes, d'une part, et les violences faites aux femmes, d'autre part.

Je me permettrai de faire d'abord une synthèse sur ma vision de la santé des femmes, puis j'aborderai plus spécifiquement ce que fait l'INPES en matière de prévention et de santé.

Vous l'avez souligné, on a d'abord une vision positive de la santé des femmes. Celles-ci ont une plus grande espérance de vie, et des comportements plus favorables à la santé. Est-ce que les obligations liées à la santé reproductive font qu'elles vont voir plus souvent le médecin et qu'elles sont plus attentives à leur corps ? En tout cas, elles mangent moins. Maintenant, sont-elles ou se perçoivent-elles en bonne santé ? Il peut y avoir un décalage entre la santé réelle et la santé ressentie. Peut-être se sentent-elles plus souvent malades que les hommes, ce qui expliquerait qu'elles consultent davantage ? Les épisodes dépressifs sont en effet plus fréquents chez les femmes.

Précisons tout de même que si j'ai fait une distinction entre les hommes et les femmes, je pourrais aussi en faire une entre les femmes, et en fonction des catégories professionnelles. Il y a un vrai gradient d'inégalité entre les classes socioéconomiques les moins favorisées et les plus favorisées. Cette inégalité est toujours défavorable pour les premières, sauf peut-être pour l'alcool, car les femmes de catégories socioprofessionnelles les plus élevées boivent davantage que les autres.

Souvent, quand on parle santé des femmes, on pense santé reproductive. Je préfère procéder autrement et commencer par le problème du tabagisme. L'année 2015 – ou 2016 – sera probablement celle où se croiseront la courbe des cancers du poumon et celle des cancers du sein. En d'autres termes, les cancers du poumon vont devenir plus fréquents que les cancers du sein. Je vous laisserai le document que j'avais préparé pour la Haute autorité de santé (HAS), et où figurent ces courbes.

C'est un vrai souci, dans la mesure où les femmes rattrapent les hommes en matière de tabagisme. Elles sont pratiquement autant, dès le plus jeune âge, à entrer dans le tabac – en 2010, entre douze et quinze ans, 5,2 % de filles et 4,9 % de garçons. Nous aurons probablement les nouveaux chiffres dans quelques semaines, à l'INPES, qui donneront les consommations par tranche d'âge. Le phénomène est toutefois très inquiétant, surtout quand on connaît les conséquences que peut avoir chez les femmes la consommation de tabac – cancers, maladies cardiovasculaires, et prématurité concernant les femmes enceintes.

L'alcoolisme pose lui aussi un vrai problème de santé publique, d'ailleurs très minimisé dans notre pays. Certes, les femmes consomment clairement moins d'alcool que les hommes. Reste que l'on estime les syndromes d'alcoolisation foetale entre 700 et 3 000 enfants par an, c'est-à-dire 5 pour 1 000 naissances, ce qui est loin d'être anodin.

Après le tabac et l'alcool, venons-en à la nutrition. L'augmentation de la prévalence de l'obésité – comme chez les hommes et les garçons – constitue une menace pour l'avenir des femmes concernées.

Avant de rentrer dans les problématiques de santé reproductive – même si cela a à voir avec le système génital – j'aborderai la question du dépistage des cancers, ceux du sein et de l'utérus étant l'un et l'autre très fréquents.

Nous avons une politique affirmée de dépistage des cancers féminins. Le dépistage du cancer du sein touche aujourd'hui 53 % des femmes dans le système organisé par les pouvoirs publics, et 10 à 11 % dans le système libéral – plus le niveau social augmente, et plus les femmes sont nombreuses à s'adresser au système libéral. Ce dispositif permet de dépister tôt et donc de faire traiter les personnes concernées. Par ailleurs et surtout, le dépistage organisé est un outil majeur de réduction des inégalités sociales de santé, dans la mesure où toute femme peut y accéder gratuitement avec des critères de qualité très largement définis. Des polémiques sont nées, notamment sur les risques de « surdiagnostic », mais honnêtement je crois que c'est une bonne politique qu'il faut soutenir.

J'observe toutefois que les inégalités de santé peuvent être aussi bien géographiques que sociales ; elles vont même souvent de pair. Par exemple, la personne qui habite à une heure trente du lieu de rendez-vous, si elle veut s'y rendre, risque de perdre une demi-journée de travail. C'est ce qui amène certaines femmes, les moins favorisées, à ne pas se faire dépister.

J'en viens à la santé reproductive et au problème posé par les grossesses non désirées et les interruptions volontaires de grossesse (IVG). On compte environ 225 000 IVG par an, ce qui est considérable. Selon les associations féministes, c'est parce que nous sommes dans un pays où les IVG sont possibles que leur nombre est élevé. Reste que ce nombre nous interpelle sur la qualité et les modes de contraception. Or – en dehors des généralistes et des gynécologues obstétriciens – on a eu longtemps beaucoup de mal à en parler officiellement dans notre pays, et l'INPES s'en est tardivement préoccupé. Je crois qu'avant 1980, il n'y a pas eu de parole sur la contraception, et que la première campagne de l'INPES sur le sujet remonte à 2007.

À partir de ce moment-là, la parole a été portée régulièrement et de manière positive et changeante. Il est en effet très important de sortir du message « éducation sanitaire » classique du dépliant, et de centrer la communication sur des thématiques en variant celles-ci.

C'est ainsi que la campagne de 2007 disait : « La meilleure contraception, c'est celle que l'on choisit ». Celle de 2008 était centrée sur les adolescents. Celle de 2009 affichait : « Les enjeux de la contraception interpellent aussi les hommes ». Ensuite, il y eut une campagne adressée aux adolescents sur les risques de grossesse précoce.

Le slogan de celle de 2012 était : « Certaines femmes pensent à leur pilule, quoi qu'il arrive. Vous avez tendance à l'oublier : il existe d'autres dispositifs plus adaptés. » On commençait en effet à se dire qu'il existait d'autres contraceptifs que la pilule. La campagne de mai 2013 visait d'ailleurs à informer sur la diversité en matière d'offre contraceptive, avec pour slogan : « La contraception qui vous convient existe ». Et le slogan de celle de juillet 2014 était : « Elle a osé changer de contraception. Cela commence toujours par un dialogue ».

Cela montre le travail d'organisation de l'INPES. Son site, très dynamique, permet à tout un chacun de s'informer et de trouver de l'information. On n'est pas loin de ce que l'on va retrouver dans la loi sur le service public d'information en santé (SPIS), avec un système d'information en santé pour les usagers. Selon moi, notre site à l'INPES sur la contraception pourrait faire partie de ce nouveau portail d'information pour les usagers du système de santé.

À côté de la vision « contraception », il y a une vision « santé sexuelle », au sens positif du terme, centrée sur les adolescents et les adolescentes qui entrent dans la sexualité. D'où la mise en place du site www.onsexprime.fr, et des webséries : « PuceauX » ou « Questions d'ados », où l'on aborde la première fois, comment cela se passe, avec des outils relativement ludiques. Mais il faut aller sur le site pour se rendre compte de ce que cela donne.

Toute une série de modules peuvent être accrochés à ces sites. Je pense au module « les recettes du plaisir », qui donne une vision très positive de la sexualité, qui n'est pas uniquement basée sur les gonocoques, les chlamydias et autres infections sexuellement transmissibles (IST), et au module « puberté ». Pour autant, il ne faut pas baisser la garde devant les IST et continuer d'informer, notamment sur le VIH, qui est la plus grave d'entre elles.

L'INPES a franchi un cap important en faisant de la communication ciblée sur la diversité, par exemple sur l'orientation sexuelle – et donc sur l'homosexualité et les lesbiennes – ou sur les migrants. Je ne pense pas que cela ait suscité de scandale ou d'opprobre de la part de la société, alors qu'il s'agit de parole publique.

Ensuite, il y a des questions plus compliquées que j'aime bien porter, comme le dépistage des IST, que l'INPES essaie de développer. On y a testé quelque chose d'assez original, le site « Chlamyweb », où on utilise l'outil internet pour promouvoir l'autodépistage : les femmes, lorsqu'elles sont atteintes de chlamydia, n'ont pas de symptôme ; donc, elles se dépistent elles-mêmes. Elles envoient leur prélèvement au laboratoire qui donnera les résultats. Cette stratégie a multiplié par quatre le nombre de résultats positifs. Selon moi, de telles procédures permettraient de limiter ce type d'IST et de réduire demain le nombre des cas de stérilité. En effet, les IST et leur évolution à bas bruit sont une des raisons de la diminution de la fertilité.

J'observe que jusqu'à présent, on a beaucoup parlé des jeunes, de leur entrée dans le tabagisme et des risques de grossesse précoce. Mais nous sommes en train de construire par ailleurs un module « activité physique », qui intéresse aussi nos anciens. L'activité physique permet de diminuer l'ostéoporose et de lutter contre le vieillissement. Dans ce cadre, nous pourrions mettre au point une communication ciblée sur les femmes qui, en ce domaine, présentent des caractéristiques différentes de celles des hommes.

Enfin, ma collaboratrice, Mme Jennifer Davies, vous a préparé un document reprenant toutes les campagnes de contraception. Je tiens à insister sur le fait que l'INPES, sur ce type de communication, a un vrai savoir-faire. C'est un savoir-faire de parole publique, très différent de la parole militante que je respecte beaucoup, qui a sa place, mais qui est complémentaire. J'observe que sur ces questions sensibles d'IVG et de contraception, la parole de l'État, qui est une parole construite et qui a trouvé un certain équilibre à travers l'expertise, n'est pas la même que celle d'une communauté militante – dans un sens comme dans l'autre. Comme vous le savez, quel que soit le domaine, des propos d'une redoutable violence s'expriment parfois sur les sites internet.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion