Intervention de François Bourdillon

Réunion du 27 janvier 2015 à 13h30
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

François Bourdillon, directeur général de l'INPES et de l'Institut de veille sanitaire, InVS :

Il est toujours très compliqué d'interpréter les enquêtes de santé parce qu'elles sont anonymes et basées sur les diagnostics ou la santé perçue. Et encore faut-il, en santé mentale, porter les bons diagnostics et ne pas les porter par excès. Dans ce domaine, on ne dispose pas de preuve biologique ou de la preuve radiologique de l'imagerie, et on peut toujours avoir une certaine suspicion sur le diagnostic porté. Toujours est-il que très classiquement, dans les ouvrages de psychiatrie, on considère que les femmes font plus de dépressions que les hommes. Je n'en dirai pas plus car je ne suis pas psychiatre, mais médecin de santé publique. J'ajoute tout de même qu'il existe de nombreuses inégalités marquées entre les deux sexes, dans un sens comme dans l'autre. Par exemple, l'usage d'héroïne concerne trois quarts d'hommes pour un quart de femmes ; la proportion est la même pour les troubles de l'apprentissage.

Mais je m'aperçois que je n'ai pas parlé de la violence faite aux femmes, alors que j'ai écrit un ouvrage à ce sujet. Ces violences, qui sont très fréquentes et causent de nombreux décès, sont un vrai problème de santé publique. L'augmentation du nombre d'appels au 3919 permet de se rendre compte du phénomène. Elle permet aussi de mesurer la politique publique mise en place.

En épidémiologie, il faut de vrais échantillonnages pour mesurer l'ampleur d'un problème. Quand vous lancez une politique publique ou des campagnes de prévention, vous générez, soit de la notoriété autour d'une campagne, soit du trafic sur la téléphonie « santé », soit du trafic sur internet. Pour autant, est-ce un succès de campagne ? C'est toute la difficulté.

Il est donc très important de continuer à faire des coupes transversales régulières pour mesurer l'ampleur du problème, et parallèlement, quand on fait une campagne d'information et d'éducation pour la santé, de mesurer sa notoriété et le trafic qu'elle génère. À chaque fois, on doit isoler un élément de la politique de prévention pour connaître son impact. C'est la cohérence de l'ensemble qui fera la différence.

Je pourrais prendre l'exemple du tabac, qui est un vrai problème chez les femmes. On a construit des politiques, qui ont été plus ou moins dynamiques selon les périodes. Nous venons d'avoir les résultats des comportements des Français en matière de tabagisme : il y a dans notre pays un tiers de fumeurs, ce qui est littéralement catastrophique. C'est un échec de la politique publique.

Il est très important de se doter pour l'avenir de moyens épidémiologiques, et de poser régulièrement des balises – pas tous les mois, comme pour la sécurité routière, mais tous les deux ou trois ans – pour essayer de marquer l'importance des problématiques de santé des femmes. Sans données, il n'y a pas de politique publique possible, dans la mesure où le problème n'est pas identifié. Regardez ce que vient de faire l'Observatoire national du suicide, avec les données de l'InVS, de l'INPES et de la Direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES) : c'est parce que l'on identifie le problème que l'on construit, derrière, une politique publique adaptée.

C'était une des raisons des deux séminaires de Sciences Po dont je vous ai précédemment parlé. J'avais souhaité réunir une trentaine de personnes pendant quelques jours pour essayer de formaliser, dans un corpus général, l'ensemble des données relatives à la santé des femmes et aux violences faites aux femmes.

Je le reconnais, dans mon Traité de santé publique, il n'y avait pas de chapitre relatif aux femmes. Il a fallu attendre 2012, à la chaire « santé » de Sciences Po, pour que je commence à m'intéresser plus spécifiquement à la santé des femmes. J'ai alors découvert auprès de mes collègues, médecins et non médecins, y compris les gens du planning, un champ incroyablement vaste et complètement méconnu.

Les violences faites aux femmes constituent un vrai problème de santé publique, non enseigné. Le premier qui l'a fait est le professeur Roger Henrion, de la maternité Port-Royal qui, au moment de prendre sa retraite, a pris conscience de leur existence, alors qu'il était passé à côté pendant toute sa carrière d'obstétricien. Et il est devenu le porte-flambeau de violences qu'il n'interrogeait pas et qu'il ne regardait pas. Or un médecin qui ne cherche pas ne trouve pas.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion