Intervention de David Lidington

Réunion du 3 février 2015 à 16h00
Commission des affaires étrangères

David Lidington, ministre des affaires européennes du Royaume-Uni :

C'est un grand honneur pour moi d'être invité à traiter devant vous des relations entre le Royaume-Uni et l'Union européenne, de la situation en Russie et en Ukraine, et des autres questions que vous voudrez me poser.

Me trouvant à Paris pour la première fois depuis le terrible attentat perpétré contre Charlie Hebdo, je souhaite exprimer toutes mes condoléances aux familles et aux amis des victimes. À l'annonce de cette atrocité, les Britanniques ont ressenti un choc violent et un profond sentiment de solidarité – nous nous rappelons ce que nous avons vécu lors des attentats de 2005 à Londres. Nombre de mes concitoyens ont tenu à dire leur émotion à Trafalgar Square et certains ont même participé à la grande manifestation parisienne. Ces événements dramatiques, en rappelant que personne n'est à l'abri d'un attentat terroriste, ont renforcé la volonté de nos deux gouvernements de resserrer la coopération de nos services de police et de renseignement afin de protéger la sécurité de nos concitoyens et les libertés que nous défendons.

J'en viens aux réformes de l'Union européenne que notre Premier ministre, souhaite voir progresser. M. David Cameron a souligné, en janvier 2013, à Bloomberg, que nous ne cherchons pas à obtenir des réformes qui se feraient au seul avantage du Royaume-Uni : nous voulons des réformes qui bénéficient aux 28 pays membres de l'Union. C'est pourquoi nos ministres, et en particulier Philip Hammond, notre ministre des affaires étrangères, s'efforce de définir avec tous nos partenaires européens les domaines dans lesquels des intérêts communs peuvent rendre des accords possibles. Lorsqu'il était à Paris, en septembre 2014, pour l'une de ses premières visites dans ses fonctions de ministre des affaires étrangères, Philip Hammond a dit que nous étions d'accord sur le fond avec les déclarations du Président Hollande selon lesquelles toute réforme de l'Union européenne doit servir la croissance et l'emploi. Notre message n'est pas dirigé contre l'Europe, il vise à la renforcer.

Nous partons en effet du constat que l'appartenance à l'Union apporte des avantages réels aux Européens. Le premier est la paix entre les nations européennes. Comment l'oublier, alors que nous commémorerons cet été le soixante-dixième anniversaire de la victoire sur le nazisme et que, le mois dernier, nous avons célébré le souvenir de Winston Churchill, mort en janvier 1965 ?

Mais le climat économique actuel fait que ce qui compte le plus pour les Européens, en tous pays, c'est l'emploi et la croissance. Le marché unique est une grande réussite. Il a permis le triplement des échanges commerciaux entre les pays membres de l'Union au cours des vingt dernières années ; il a permis aussi l'approfondissement des liens entre nos deux pays. La France est désormais l'un des premiers partenaires commerciaux du Royaume-Uni et l'une de nos principales sources d'investissements étrangers. Le marché unique a un impact tangible sur notre vie quotidienne. Ainsi, l'électricité qui me permet de faire chauffer l'eau de mon thé matinal m'est fournie par EDF ; l'essence qui alimente ma voiture m'est peut-être vendue par Total qui a fait d'importants investissements en mer du Nord ; je me rendrai à Londres dans un train fabriqué par la Deutsche Bahn ; ministre des affaires européennes, j'enchaîne les voyages en Eurostar ou en Airbus, grandes réalisations de l'ingénierie franco-britannique. Outre cela, Londres se trouve fort bien de sa population française, si nombreuse que Boris Johnson, son maire, se décrit avec entrain comme le maire de la sixième plus grande ville française.

Pour autant, ce n'est pas se déclarer anti-européen de dire que l'Union européenne peut faire mieux. À ce jour, le marché unique ne fonctionne qu'à la moitié de son potentiel. Plus de 70 % du PIB de la France, du Royaume-Uni et des autres pays européens proviennent des services. Certes, l'industrie manufacturière conserve son importance, mais les progrès technologiques font qu'aujourd'hui on peut produire davantage avec beaucoup moins de main d'oeuvre qu'il y a une génération. Et, alors que 70 % du PIB de l'Union européenne est issu des services, 20 % seulement des échanges commerciaux au sein de l'Union se font dans le secteur tertiaire. Cela signifie que de nombreux secteurs à haute valeur ajoutée – l'architecture ou le design, par exemple – ne bénéficient pas autant qu'ils le pourraient des avantages de l'appartenance à l'Union européenne.

L'Union doit avoir pour priorité la création d'un ambitieux marché unique numérique ; notre ministre du commerce, Vince Cable, s'est exprimé à ce sujet à Bruxelles le mois dernier. L'Union doit aussi réviser sa réglementation : les règles actuelles, trop nombreuses, imposent des coûts inutiles aux entreprises, singulièrement aux PME. Je m'attarderai un instant sur es deux points.

Nous considérons qu'approfondir le marché unique numérique pourrait rapporter, d'ici 2020, 330 milliards d'euros chaque année à l'économie européenne, et que les consommateurs européens pourraient gagner plus de 11,5 milliards d'euros tous les ans en pouvoir d'achat en acquérant en ligne des biens et des services moins coûteux provenant d'autres pays de l'Union. Il faut impérativement définir la législation européenne adaptée à l'ère numérique dont les entrepreneurs européens du numérique ont besoin. Les règles du marché unique ont été pensées avant la création du commerce en ligne et des médias sociaux. Il est illogique et peu judicieux, tant pour les entreprises que pour les consommateurs, qu'au XXIe siècle on pénalise certains modes d'achat. Il devrait être aussi facile pour moi, sujet britannique, d'acheter des produits français avec une carte de paiement allemande et les faire livrer en Suède que si je traitais uniquement avec des fournisseurs britanniques, et ne susciter aucun coût supplémentaire.

La réglementation est utile pour la croissance et pour l'emploi, et nous la jugeons nécessaire – il n'est pas dans nos intentions de renvoyer de jeunes garçons faire les ramoneurs ! Mais nous soutenons toutes les mesures que vous prenez pour alléger le poids de la bureaucratie, ainsi que les dispositions de la loi Macron actuellement soumises à l'examen de votre Assemblée. Cependant, ces réformes structurelles importantes doivent être complétées par une action collective au niveau européen pour garantir que nous obtenons du marché unique le maximum de ce qu'il peut offrir. Le programme REFIT de la Commission Barroso a permis d'aller dans cette direction, mais on peut être encore plus ambitieux.

Il faut toujours garder à l'esprit que si les très grandes entreprises peuvent se permettre de recruter des escouades de juristes chargés de passer au crible la réglementation européenne pour l'appliquer au mieux, ce n'est pas le cas des PME, qu'elles soient implantées à Manchester ou à Marseille. Celles-ci sont trop occupées à batailler avec leurs banques, leurs fournisseurs et leurs clients, et elles n'ont ni le temps ni les ressources nécessaires pour se prêter à cet examen détaillé. Il en résulte que la réglementation européenne fait obstacle à la création de richesses et peut aussi entraver les embauches de jeunes gens, qui contribueraient pourtant à réduire le chômage tragique qui frappe la jeunesse européenne. Il faut alléger le poids de la réglementation, au niveau national comme au niveau européen.

J'en viens à ce que signifie l'appartenance à l'Union européenne. Les Britanniques jugent insatisfaisantes nombre de dispositions communautaires et voudraient qu'elles changent mais, à trois contre un, ils disent considérer que la voix du Royaume-Uni dans le monde est plus forte parce que notre pays est membre de l'Union européenne. Le Royaume-Uni et la France sont leaders en Europe pour ce qui concerne la politique de sécurité et de défense commune, mais nous savons aussi que notre voix dans le monde porte plus haut lorsque notre économie est forte, si bien que notre programme de réforme de l'Union européenne comporte aussi un volet géostratégique relatif au secteur de l'énergie : nous voulons réduire la dépendance européenne à l'égard des importations de gaz venues des pays de l'Est, renforcer la sécurité énergétique de l'Union et diversifier les sources d'énergie. Le secteur nucléaire, dans lequel la France est un leader mondial, jouera un rôle déterminant.

Il faut aussi renforcer les échanges commerciaux avec les pays qui partagent nos valeurs. C'est dire l'importance majeure du projet de partenariat transatlantique de commerce et d'investissement. Cet accord historique, appuyé par la plupart des Européens, créerait une alliance puissante entre les deux plus grandes économies de la planète. Une fois signé, ce traité fixerait à l'échelle transatlantique les normes globales des échanges commerciaux, empêchant de la sorte la concurrence de tout autre système réglementaire. Pour l'Union européenne, l'alternative au Traité transatlantique n'est pas le statu quo : c'est se réveiller dans quelques années pour découvrir que les pays d'Asie et du Pacifique ont établi leurs propres règles, laissant l'Union européenne dans la position humiliante de devoir s'aligner sur ce qui a été décidé ailleurs. Ne pas conclure ce Traité serait manquer une chance historique, d'autant qu'il représentera une opportunité de premier plan pour les 25 % de jeunes Européens actuellement sans emploi.

Le premier David Cameron est aussi favorable à ce que, conformément au traité de Lisbonne, les Parlements nationaux soient mieux entendus et que la procédure dite du « carton jaune » prenne tout son effet. Le système actuel de prise de décision au sein des institutions européennes suscite l'insatisfaction, bien au-delà du Royaume-Uni, dans bien d'autres pays européens, dont la France.

Le troisième volet de la réforme que nous appelons de nos voeux a trait à l'équité. Les marchés financiers suivent attentivement la situation de la Grèce. Le Royaume-Uni n'est pas dans la zone euro et n'y entrera pas, mais il souhaite sa réussite. Cela étant, si ceux de nos partenaires qui sont membres de la zone euro tendent à une intégration renforcée, ils doivent le faire d'une manière qui respecte le marché unique à Vingt-Huit, les institutions des Vingt-Huit et les décisions relatives aux autres zones de coopération que celle de la monnaie unique. Comme on l'a vu lors du débat relatif aux mécanismes de supervision et de résolution uniques, la négociation est parfois complexe mais, avec de la bonne volonté, elle peut aboutir. Ce que nous demandons, c'est que les modifications voulues par nos amis de la zone euro n'aient pas d'impact négatif sur les pays qui n'en font pas partie, ni sur le marché unique des Vingt-Huit.

Tout en reconnaissant le droit fondamental des travailleurs à se déplacer librement sur le territoire de l'Union européenne, M. David Cameron veut que l'on distingue plus fermement la liberté de circulation des travailleurs du droit à la liberté de circulation illimitée pour n'importe quelle raison. La manière dont la législation européenne a été rédigée et certains arrêts de la Cour de justice de l'Union européenne ont rendu cette distinction floue. Nous nous voulons que les conditions d'accès à la couverture sociale et aux services publics soient fixées de manière plus stricte pour ceux qui n'ont pas cotisé précédemment aux mécanismes sociaux dont ils bénéficient.

Notre programme de réforme est donc constructif : nous voulons parvenir avec nos partenaires à des changements bénéfiques pour tous les États membres. C'est indispensable, étant donné l'ampleur des défis auxquels l'Europe est confrontée. Non seulement elle doit faire face aux conséquences de la pire récession intervenue depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale, mais la puissance économique s'est déplacée vers l'Amérique latine et l'Asie, et les technologies numériques ont modifié les emplois du secteur tertiaire dans des proportions aussi considérables qu'en son temps l'automatisation des tâches a changé l'industrie manufacturière. Si l'Europe ne regagne pas en compétitivité, on peut craindre que les prochaines générations d'Européens n'aient ni le niveau de vie ni la couverture sociale universelle ni les services publics que nous tenons pour acquis, ce qui aura de graves conséquences politiques et sociales.

En politique étrangère, l'Union européenne doit faire face à un défi dont nous pensions qu'il était derrière nous. Depuis 20 ans, on partait du principe que la Russie tendait, de manière hésitante mais progressive, à s'intégrer dans un système international respectant l'État de droit. C'est pourquoi elle a été admise au sein de l'Organisation mondiale du commerce et du G8 et c'est pourquoi une coopération s'est engagée entre elle et l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Malheureusement, il est désormais clair que le président M. Poutine a pris une autre voie, choisissant de considérer l'Union européenne et l'Alliance atlantique comme des adversaires stratégiques plutôt que comme des partenaires stratégiques. Cela est perceptible au-delà de l'Ukraine, aussi consternantes y soient les menées russes. Une doctrine est à l'oeuvre qui justifie l'intervention de la Russie en tous lieux pour appuyer les populations russophones. Un officier estonien, enlevé sur le sol estonien, est détenu sans procès à Moscou. L'espace aérien du Royaume-Uni, de la Suède, du Danemark et d'autres pays alliés de l'OTAN a été survolé par la chasse russe qui cherchait à tester leur capacité de réponse. La fourniture d'énergie a été utilisée comme arme de pression diplomatique et politique envers la Pologne, la République tchèque et la Slovaquie. Des contrats d'investissements stratégiques ont été conclus en Bulgarie et en Hongrie par la Russie pour lui permettre d'y renforcer son influence.

Mais le pire a eu lieu en Ukraine avec l'annexion de la Crimée en violation du droit international et la déstabilisation délibérée du Donbass. L'objectif visé est, selon moi, de maintenir l'Ukraine et, plus largement, les anciennes républiques soviétiques, dans un état de faiblesse, de corruption et de division qui les rend dépendants du Kremlin pour décider de leur avenir. Cette évolution très inquiétante est un défi majeur pour l'Europe démocratique. Je ne pense pas qu'il faille envisager une réponse militaire à ce qui se passe en Ukraine, mais l'Union européenne doit se montrer résolue, mesurer la politique russe pour ce qu'elle est et maintenir les sanctions. Nous devons dire au président Poutine que nous voulons que les relations entre l'Union européenne et la Russie s'améliorent mais que cela ne se pourra aussi longtemps qu'il poursuivra sa politique actuelle et que les accords de Minsk ne seront pas intégralement appliqués. Quand ils le seront, la négociation pourra s'engager avec le président Porochenko d'un accord politique de long terme sur le futur de l'Ukraine et sur ses relations avec la Russie. Mais l'orientation donnée à la politique russe au cours des douze derniers mois m'a rendu de plus en plus inquiet et pessimiste. En ces circonstances, l'Europe doit, plus que jamais, rester unie.

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