Intervention de Harlem Désir

Réunion du 14 janvier 2015 à 16h30
Commission des affaires européennes

Harlem Désir, Secrétaire d'état aux Affaires européennes :

Je vous remercie beaucoup, Madame la Présidente, chère Danielle Auroi, Mesdames et Messieurs les Députés, de votre invitation. Nous nous retrouvons une semaine exactement après les terribles attaques terroristes qui ont visé Charlie Hebdo, des policiers et un magasin juif ; qui ont vu des Français être tués parce qu'ils étaient juifs, des journalistes parce qu'ils voulaient écrire et dessiner librement, et des policiers parce qu'ils les défendaient et protégeaient notre sécurité. Une semaine après ces événements nous avons tous présente à l'esprit l'immense mobilisation qui s'est déroulée dans toute la France, et en particulier le rassemblement du 11 janvier dernier, où l'on a vu la France debout et l'Europe rassemblée à nos côtés avec les leaders européens qui sont descendus dans la rue auprès du Président de la République. Les citoyens européens ont aussi manifesté leur solidarité sous toutes ses formes : en se rassemblant devant les ambassades de France, en venant signer les registres de nos représentations diplomatiques ou, de façon massive, en communiquant sur les réseaux sociaux. Il faut que cette Europe qui a montré qu'elle avait une âme et qu'elle était capable de se rassembler pour des valeurs comme la liberté - que la France incarne -, la solidarité lorsqu'un de ses peuples est attaqué, qui a montré qu'elle avait de la chair, et qu'elle n'était pas seulement une affaire de textes et de traités, trouve dans cette énergie un nouveau souffle pour aborder les défis de l'avenir.

Et s'agissant d'abord de la lutte contre le terrorisme, et d'une façon plus générale, du défi d'un destin commun. Car ce qui s'est manifesté à travers cette mobilisation, c'est bien le sentiment qu'ont nos peuples et nos nations de devoir affronter ensemble les défis qui s'annoncent. En matière de lutte contre le terrorisme, la dimension européenne est, comme vous l'avez rappelé, très importante. C'est la raison pour laquelle le Ministre de l'Intérieur a réuni dès dimanche un certain nombre de ses collègues avec le Ministre de la Justice américain, et que d'autres réunions doivent être organisées très prochainement, en particulier une réunion informelle JAI le 29 janvier prochain à Bruxelles. La réunion du 19 janvier y sera cependant également consacrée. Il s'agira de savoir quelles leçons tirer en matière de politique extérieure au vu des événements dramatiques qui viennent de se produire et qui font suite à d'autres attentats dans bon nombre d'autres villes et pays comme Madrid, Londres, ou encore, plus récemment, l'attaque du musée juif de Bruxelles, d'autant que le phénomène des combattants étrangers touche également tous les pays de l'Union européenne.

Le diagnostic est clair : les textes actuels ne suffisent pas ; une approche globale et opérationnelle est nécessaire ; un meilleur échange des informations, notamment sur les déplacements et les soutiens des personnes, des groupes et des réseaux terroristes, s'impose ; il nous faut renforcer les contrôles des ressortissants européens lors du franchissement des frontières extérieures de l'Union mais aussi dans leurs déplacements à l'intérieur de l'Union ; la lutte contre la propagande et la radicalisation par Internet doit être renforcée.

Le Premier ministre a mis tout particulièrement l'accent hier devant l'Assemblée nationale sur un point crucial, l'établissement urgent d'un PNR européen, cet outil qui permet l'échange des données concernant les passagers aériens entre les États membres. Nous devons bien entendu nous donner toutes les garanties en matière de protection des données personnelles. Mais nous sommes convaincus de l'utilité irremplaçable de cet outil, au plan européen, pour suivre ceux qui se rendent sur le théâtre des opérations terroristes pour y combattre et ceux qui en reviennent, et lutter contre toutes les filières terroristes organisées. C'est d'ailleurs pourquoi que je me suis rendu à Strasbourg, ce lundi, à l'ouverture de la session du Parlement européen pour y rencontrer notamment le Président du Parlement européen et le Président de la Commission des libertés, pour les convaincre de faire évoluer leur position et de sortir du blocage de ce dossier.

D'autres champs d'action sont également à l'ordre du jour, comme la lutte contre la circulation et le commerce illégal d'armes à feu.

Ces sujets seront au centre des travaux dans les prochaines semaines, avec un rendez-vous essentiel, le Conseil européen informel du 12 février, initialement prévu pour traiter de questions de gouvernance dans la zone euro, mais qui traitera en priorité de la coordination dans la lutte contre le terrorisme.

Concernant le Conseil européen du 18 décembre qui est à l'ordre du jour de notre réunion, je vais vous évoquer les leçons que nous en tirons. Tout d'abord, il s'agissait du premier Conseil européen en présence du nouveau président de la Commission européenne, M. Jean-Claude Juncker, qui a souhaité marquer d'une empreinte nouvelle cette réunion, en faisant en sorte, en premier lieu, que ses conclusions aient un format plus court, plus dense et portent de façon très concrète sur les décisions à prendre en matière d'investissement et de croissance, les points principaux à l'ordre du jour. Dans le même esprit, la réunion a été conçue dans un temps plus court, ce qui supposait au préalable de la part des Chefs d'État et de Gouvernement que les conditions d'un consensus soient organisées.

Le Conseil européen du 18 décembre a endossé, comme nous le souhaitions, le plan d'investissement proposé par le Président de la nouvelle Commission : il appelle clairement à mettre en place un Fonds européen pour les investissements stratégiques, avec l'objectif de mobiliser 315 milliards d'euros de nouveaux investissements entre 2015 et 2017 ; sur cette base, le Conseil européen invite le Parlement européen et le Conseil à adopter d'ici juin 2015, au plus tard, une proposition législative qui mettra concrètement en place le nouveau fonds. La Commission a elle-même adopté hier un projet de règlement – dont je vous dirai quelques mots -, qui doit désormais être soumis à l'examen du Parlement européen et du Conseil.

Les États membres sont également invités à contribuer au Fonds. Le Conseil européen a pris note de l'intention de la Commission de considérer favorablement les contributions budgétaires nationales, qui viendraient en sus du fonds, dans le cadre de l'évaluation des finances publiques au titre des flexibilités du pacte de stabilité et de croissance.

Le rôle et l'expertise de la Banque européenne d'investissement en matière d'assistance technique pour sélectionner les projets à l'échelle de l'Union sont clairement affirmés. Enfin, le Conseil européen invite à accélérer les travaux pour renforcer l'attractivité de l'Union et améliorer l'environnement réglementaire pour les investissements, notamment s'agissant de l'intégration des marchés de capitaux.

Il s'agit, selon nous, d'un très bon résultat, et ce à plusieurs titres.

L'investissement est clairement présenté comme l'une des priorités majeures de l'Union européenne et du travail de la nouvelle Commission. La France portait, comme vous le savez, cette demande depuis plusieurs mois. Il s'agit désormais d'une priorité européenne au même titre que les réformes et la consolidation budgétaire. Ce sont trois éléments stratégiques de la nouvelle Commission. Il ne s'agit donc plus d'une approche exclusivement française, ou de certains États membres, mais de celle de l'Union européenne.

Deuxièmement, comme nous le souhaitions, la volonté de mettre rapidement en place le nouveau fonds est fortement affirmée. Il est en effet indispensable de concrétiser le potentiel de croissance future de l'Union européenne dans différents secteurs. L'investissement a en effet pris du retard en Europe notamment par rapport à l'économie américaine. Il s'agit non seulement de répondre à un problème structurel mais également de faire en sorte que la mise en oeuvre rapide de ce plan contribue à la relance de la croissance, en complément de ce que fait par ailleurs la Banque centrale européenne. A la demande de la France, le texte précise que la BEI devra commencer à mobiliser ses propres ressources pour lever les financements appropriés dès janvier 2015.

Troisièmement, le rappel des flexibilités du pacte permet d'encourager les États membres qui le souhaitent à amplifier les effets du plan en y apportant des contributions supplémentaires. De la même manière, il est rappelé que les banques publiques nationales, du type de notre Caisse des Dépôts, la Banque publique d'investissement, la KFW allemande, peuvent aussi apporter des contributions supplémentaires au Fonds.

Quatrièmement, enfin, s'agissant du volet réglementaire du plan d'investissement, nous avons obtenu que le texte reste équilibré et ne soit pas excessivement centré sur la seule question de l'achèvement du marché intérieur, en particulier concernant la question sensible des services, mais que la priorité soit aussi accordée aux domaines de l'énergie et du numérique.

Quant au projet de règlement qui a été présenté par la Commission européenne hier, il apporte une première réponse à la question que vous avez soulevée sur le fonctionnement futur du fonds. S'agissant d'abord de la création du fonds, la Commission est chargée de conclure un partenariat avec la Banque européenne d'investissement. Ce dernier aura pour objectif de soutenir l'investissement au sein de l'Union européenne, d'améliorer l'accès à l'investissement des entreprises de 3 000 salariés ou moins, en particulier des PME. Les secteurs visés répondent à notre souhait : infrastructures, éducation, santé, recherche et développement, numérique, énergies renouvelables et efficacité énergétique. Le fonds pourra également participer à des plateformes de financement portées par des banques publiques nationales, elles-mêmes invitées par conséquent à contribuer à la mise initiale. Un bon nombre de modalités techniques – financement par la BEI, appels de fonds publics, etc. – devront être finalisées dans un accord de partenariat entre la Commission européenne et la BEI.

Concernant la gouvernance, les projets d'infrastructure et les grands projets des entreprises intermédiaires seront validés par la structure de gouvernance interne du Fonds européen d'investissement stratégique.

La structure de gouvernance sera composée de deux comités.

Un Comité de supervision déterminera les orientations stratégiques du Fonds et sa doctrine d'investissement. Il sera composé de représentants des contributeurs du Fonds, à savoir, dans un premier temps, de la Commission européenne et de la BEI à hauteur de 75 % pour la première et de 25 % pour la seconde puis, dans un second temps, des États membres s'ils apportent des contributions nationales, et à proportion de leur contribution. Cependant, quel que soit le niveau des contributions des Etats membres, la Commission européenne et la BEI garderont le pouvoir d'invalider la décision, si elles s'y opposent toutes les deux. La supervision du Fonds devra donc veiller à ce que les projets soutenus correspondent toujours à un intérêt général européen. Même s'il s'agit de projets développés dans différents pays, il ne s'agit pas qu'un État membre puisse par sa contribution nationale préempter la stratégie d'investissement du Fonds.

Le Comité d'investissement sélectionnera les projets financés par le Fonds. Il sera composé du directeur général du Fonds, de six experts indépendants, nommés par le Comité de supervision pour un mandat de trois ans renouvelable. Les décisions s'y prendront à la majorité simple et de préférence par consensus. Le projet de règlement souligne que les projets doivent être sélectionnés sur leurs propres mérites sans pré-allocation sectorielle ou géographique. Les projets portés par les PME seront sélectionnés directement par le Fonds européen d'investissement, à savoir la filiale de la BEI qui finance les PME.

Comme nous le souhaitions, la volonté de mettre rapidement en place le nouveau fonds est fortement affirmée. Il est en effet indispensable de garantir que le plan en faveur de l'investissement puisse avoir un impact à court terme sur l'activité économique. À la demande de la France, le texte précise que la BEI devra commencer à mobiliser ses propres ressources pour lever les financements appropriés dès janvier 2015.

Le rappel des flexibilités du pacte pour encourager les États membres qui le souhaitent à amplifier les effets du plan est naturellement bienvenu. Il est, de plus, en ligne avec les précédents appels du Conseil européen, faits à la demande de la France, à utiliser pleinement les flexibilités des règles budgétaires communes dans la situation économique actuelle.

Enfin, s'agissant du volet réglementaire du plan d'investissement, nous avons obtenu que le texte reste équilibré et ne soit pas excessivement centré sur la question de l'achèvement du marché intérieur, en particulier concernant la question sensible des services ; la priorité donnée aux domaines de l'énergie et du numérique est bienvenue.

Sur cette base, notre action doit à présent être double :

- au plan européen, oeuvrer au cours du semestre prochain à la mise en place rapide du nouveau fonds, pour garantir qu'il sera opérationnel mi-2015. La future présidence lettone estime qu'il s'agit de l'une de ses priorités majeures au cours du semestre et elle doit être encouragée. La France doit également poursuivre ses efforts pour que l'impact économique du plan européen soit le plus important et le plus rapide possible, notamment en finançant des projets risqués et en soutenant les PME innovantes ;

- au plan national, poursuivre notre travail de sélection des projets concrets, qui doivent en particulier répondre aux besoins de plusieurs secteurs prioritaires (numérique, transports, transition énergétique, éducation et formation, recherche et innovation).

Par ailleurs, la France a obtenu, avec d'autres partenaires (Espagne, Italie, Allemagne), que les conclusions du Conseil européen reconnaissent l'urgence d'accélérer les efforts dans la lutte contre l'évasion et l'optimisation fiscales. Le Conseil européen se félicite de l'annonce par la Commission, dans son programme législatif pour 2015, d'une proposition de directive relative à l'échange automatique d'information en matière de « rulings » fiscaux. Ce message est plus que bienvenu. Au-delà des initiatives déjà annoncées, nous veillerons à ce qu'il débouche rapidement sur une stratégie d'ensemble couvrant tous les champs de lutte contre l'optimisation fiscale des entreprises. Cela passe par des règles communes sur trois aspects majeurs, comme les ministres des finances français, allemand et italien l'évoquent dans leur lettre du 28 novembre à la Commission : la transparence généralisée, la lutte contre les montages organisés pour échapper à toute imposition effective, et des mesures pour faire face aux États et territoires tiers qui alimentent aussi l'optimisation par leur opacité et l'absence de fiscalité.

Un mot enfin sur le programme de travail de la Commission. Il s'agit de la première traduction concrète des priorités que s'est fixée la nouvelle équipe de Jean-Claude Juncker, avec une volonté claire de s'inscrire en rupture par rapport à la précédente Commission.

Ce programme de travail se caractérise en premier lieu par sa concision, seules 23 initiatives (contre plus de 100 lors des précédents programmes de travail) étant annoncées pour l'année à venir avec, comme attendu, un fort accent mis sur le soutien à la croissance. Les premières propositions qui seront soumises au Conseil et au Parlement européen au début du mois de janvier devraient ainsi porter sur la mise en oeuvre du plan d'investissement de 315 milliards d'euros, et notamment sur la création du Fonds européen pour les investissements stratégiques dont le principe a été acté par le Conseil européen du 18 décembre. L'objectif sera de permettre une adoption des textes législatifs avant la fin de la présidence lettone du Conseil de l'Union européenne, pour que les premiers financements puissent être accordés au début du second semestre 2015.

Outre le Fonds européen pour les investissements stratégiques, les principaux axes de travail portent sur :

- l'Union de l'énergie. La Commission souhaite présenter un paquet couvrant à la fois le renforcement de la sécurité d'approvisionnement, la réduction de la dépendance énergétique, la réduction des émissions de gaz à effets de serre, la promotion des énergies renouvelables et le soutien à l'innovation ;

- le marché unique du numérique, comprenant la modernisation des règles relatives aux droits d'auteur ;

- la révision à mi-parcours de la stratégie Europe 2020 ;

- l'union des marchés des capitaux.

L'approfondissement de l'Union économique et monétaire figure également parmi les sujets qui rythmeront l'activité européenne, avec en perspective une réunion informelle des chefs d'État ou de gouvernement le 12 février et la remise, au plus tard en juin 2015, d'un rapport des présidents de la Commission européenne, des sommets de la zone euro, de l'Eurogroupe et de la Banque centrale européenne. Ce sujet appellera de notre part une vigilance particulière car la Commission met l'accent sur le suivi des mesures de gouvernance économique (« six-pack », « two-pack ») ainsi que sur les réformes structurelles, sans référence aux questions de convergence et de solidarité, pourtant expressément mentionnées dans la déclaration du sommet de la zone euro du 24 octobre dernier.

D'autres développements étaient sans doute moins attendus. Il en va ainsi du paquet « mobilité du travail », qui aura pour objet de soutenir la mobilité du travail dans l'Union et de traiter les cas d'abus par une meilleure coordination des systèmes de sécurité sociale. La Commission envisage également une révision ciblée de la directive sur le détachement des travailleurs, qui pourrait conduire à étendre le principe de responsabilité conjointe et solidaire à d'autres secteurs que la seule construction.

Dans le domaine fiscal, la Commission annonce une directive sur l'échange obligatoire d'informations concernant les cas de « rulings » transnationaux, ainsi qu'un plan d'action pour lutter contre l'évasion et la fraude fiscales.

Enfin, il convient de relever la proposition d'un paquet migration, qui entend développer une nouvelle approche sur le sujet, en mettant l'accent sur la problématique de l'attractivité de l'Union.

Le programme de travail de la Commission marque également une forte volonté de procéder à une simplification et à une rationalisation du fonctionnement de l'Union européenne. 80 des 452 textes présentés par la Commission précédente et non encore adoptés en raison de blocages au sein du Parlement européen ou du Conseil seront ainsi amendés voire retirés. Cet objectif est en soi louable. Toutefois, il concerne plusieurs textes sensibles comme ceux relatifs à la fiscalité énergétique, à la qualité de l'air, à l'économie circulaire et au congé maternité, ou encore à la réciprocité en matière de marchés publics.

La Commission a toutefois indiqué, précision importante même si elle n'a pas retenu l'attention médiatique, qu'elle « attendrait l'avis du Parlement européen et du Conseil sur ces propositions avant d'en confirmer le retrait dans les mois à venir ». Il existe donc encore un espace de discussion avec la Commission, dont il faut que nous continuions à nous saisir, comme nous l'avons fait lors de la présentation de son programme en décembre. Par ailleurs, la Commission entend ajuster ou évaluer 79 textes actuellement en vigueur.

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