Je centrerai mon propos sur les moyens de redynamiser la croissance potentielle française. Cette croissance peut se calculer de plusieurs façons : le PIB, le PIB par tête ou le PIB par personne en âge de travailler, soit la tranche d'âge située entre dix-huit et soixante-cinq ans. C'est ce dernier indicateur que je retiendrai car il est corrélé à l'efficacité productive et au taux d'emploi.
Entre 2000 et 2013, la croissance de cet indicateur dans notre pays a été de 0,8 point par an, soit le taux de croissance le plus faible des six pays de référence que sont, avec la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, l'Allemagne, le Japon et l'Italie. Ce taux atteint 1,6 point en Allemagne et au Japon. Il est donc deux fois plus élevé, ce qui devrait vivement nous inciter à nous interroger sur nos handicaps et à entreprendre des réformes structurelles. C'est d'ailleurs dans cette perspective qu'a été demandé à France Stratégie le rapport établi par M. Jean Pisani-Ferry sur la France dans dix ans.
Une des causes expliquant cette faible croissance se trouve dans le décrochage de notre industrie, dont la production est restée pratiquement étale sur la période. Il est donc essentiel de redynamiser le bloc manufacturier français, et ce d'autant plus que les trois quarts de nos exportations concernent des biens contre un quart pour les services.
Je vous conseille à cet égard la lecture de l'étude de Coe-Rexecode sur la compétitivité française en 2014, qui analyse les gains et les pertes de parts de marché par zone géographique et par produit. Il ressort de cette étude que la France a continué à perdre des parts de marché cette année – certes à un rythme moins soutenu qu'auparavant – sur la quasi-totalité des biens exportés. Si nous avons regagné quelques parts de marché en Europe, cela a été contrebalancé par des pertes sur tous les autres marchés du monde.
Lire correctement ces performances exige de replacer la France dans le contexte européen, entre, d'une part, l'Allemagne, « première de la classe », exportatrice de produits de très grande qualité mais qui a assis sa croissance, entre 1995 et 2005, sur une politique de déflation salariale, et, d'autre part, l'Espagne, qui semble, depuis la crise de 2007, avoir pris modèle sur l'Allemagne pour mener, elle aussi, une politique de modération salariale qui lui a permis de regagner des parts de marché sur le bas de gamme et la moyenne gamme où elle concurrence directement les produits français. Tandis que la France a perdu 1 % de parts de marché à l'exportation dans la zone euro, l'Espagne, elle, en a gagné 0,8 %.
Ce constat étant dressé, il faut déterminer quelle stratégie doit mener la France, dans un monde ouvert, où tous les pays sont en concurrence, et comment inscrire cette stratégie dans le dilemme entre compétitivité-prix et compétitivité hors-prix. À cet égard, il faut se garder de tout dogmatisme soit dans un sens soit dans l'autre, sachant, d'une part, que le contexte évolue et que, d'autre part, ce qui compte in fine pour l'acheteur, c'est le rapport qualité-prix.
En 2012, j'avais argumenté en faveur d'une politique visant à diminuer les coûts salariaux français. Il me semblait en effet à l'époque que l'industrie française était étranglée financièrement. Elle avait perdu beaucoup de parts de marché, ce qui avait laissé des traces dans les comptes d'exploitation et dans l'évolution des marges des entreprises, nous laissant loin derrière l'Allemagne. Aujourd'hui, le différentiel de taux de marge entre les deux pays n'est plus que de deux points. Cela signifie, selon moi, que, si le pacte de responsabilité est une bonne chose est qu'il doit être mené jusqu'à son terme, même au prix d'un recours à davantage d'endettement, il importe de réfléchir d'emblée à ce que sera l'étape suivante : faut-il mener, comme en Espagne, une politique de déflation salariale et poursuivre dans la même direction ? Faut-il se concentrer plutôt sur la compétitivité hors-prix ? Selon moi si, comme cela est programmé, le coût du travail aura baissé de 6 % en 2017, il est primordial de s'occuper de la compétitivité hors-prix. Il ne sert à rien en effet de restaurer notre compétitivité si cela doit se faire au détriment de la demande intérieure. Par ailleurs, une stratégie fondée sur la compétitivité-prix ne peut être généralisable à l'ensemble de la zone euro, à moins d'aboutir, comme c'est le cas aujourd'hui en Europe, à une dépression de la demande interne.
Je m'inscris en faux contre l'idée que la compétitivité hors-prix est du seul ressort des entreprises et que l'État ne dispose d'aucun levier pour agir en la matière. Il peut, en premier lieu, jouer un rôle de pilote et de coordinateur, afin de remobiliser les industriels et de permettre à nos produits de gagner en qualité.
Qu'entend-on par qualité ? À partir des réponses fournies par un panel d'acheteurs européens et portant sur les biens et services destinés aux ménages – secteur dans lequel la France est traditionnellement forte –, l'étude de Coe-Rexecode a mis au jour plusieurs critères permettant de mieux définir cette notion.
L'un de ces critères est le nombre de fournisseurs : un nombre trop faible de fournisseurs constitue un frein à l'achat, les acheteurs estimant qu'en cas de problème ils n'auront guère de possibilité de substitution. Or, l'étude met en avant que notre densité industrielle a beaucoup baissé dans un certain nombre de secteurs, ce qui constitue un handicap. L'État a donc ici un rôle à jouer pour redensifier le tissu industriel, par exemple par le biais de la politique fiscale. Seules 5 % des créations d'entreprise se font aujourd'hui en France dans le secteur industriel, ce qui est insuffisant. Il n'est donc pas nécessaire d'aider à la création de start-up dans le domaine des services, et je recommande de concentrer les efforts sur l'industrie, en combinant un système d'exemption sur dix ans de l'impôt sur les sociétés, des mesures favorisant la transmission et la mise en place de véritables stratégies de filières.
Un second critère de qualité touche à l'ergonomie et à l'innovation technologique, aspects sur lequel nous sommes derrière les Allemands, que ce soit dans l'équipement du logement, l'agroalimentaire, l'habillement et les accessoires, les produits pharmaceutiques ou l'hygiène-beauté.
Notre capacité d'innovation est directement liée à l'organisation de la recherche et de l'université dans notre pays. Petit-fils d'instituteurs, fils de professeure, je suis un enfant de la fonction publique mais, pour travailler depuis plus de trente ans dans l'université française et être aujourd'hui à la tête d'un Labex, je sais d'expérience qu'on ne peut développer la recherche universitaire en lui appliquant les règles de la comptabilité publique : ce système étouffant – au choix kafkaïen ou ubuesque – ne nous permettra pas de relever le défi de la concurrence internationale, et je plaide donc, si l'on ne veut pas que la France creuse sa propre tombe, pour que chaque université puisse créer une fondation d'intérêt public destinée à financer ses activités de recherche et développement.
Nous sommes également en retard sur les Allemands en matière de délais de livraison et de services associés au produit, ce qui est le symptôme d'une moindre efficacité collective de nos entreprises. Nous avons donc beaucoup à faire en matière d'intelligence collective, et je plaide, dans cette optique, pour une plus grande association des salariés aux décisions de l'entreprise, sans aller nécessairement jusqu'au modèle de cogestion allemand. Il faut privilégier le dialogue social au sein de l'entreprise et privilégier les accords d'entreprise sur les accords de branche ou les accords nationaux, chaque entreprise oeuvrant dans un environnement concurrentiel spécifique : y améliorer le climat social participe d'une stratégie du gagnant-gagnant.
J'en viens enfin à la stratégie mise en oeuvre par les groupes multinationaux et les entreprises du CAC 40, qui emploient sur notre territoire un tiers de la main-d'oeuvre industrielle. À partir des années soixante et jusque dans les années quatre-vingt, la France a conduit une politique visant à faire émerger des champions nationaux, qui se sont constitués par agrégation et rachats successifs d'entreprises intermédiaires, ce qui fait qu'aujourd'hui notre structure industrielle a la forme d'un sablier : de grands groupes industriels au sommet, beaucoup de TPE à la base, et pas grand-chose entre les deux. Sachant qu'en 2014, la France a perdu 8 % de parts de marché dans le secteur pharmaceutique, où elle possède pourtant l'un des leaders mondiaux, on ne peut que s'interroger sur la responsabilité de groupes multinationaux dont les stratégies ne semblent plus servir les intérêts du site France. Le phénomène est identique dans le secteur des véhicules routiers, ce qui peut, à terme, se révéler catastrophique pour la filière. L'État a donc un rôle moteur à jouer auprès de ces acteurs, pour les mobiliser au service de l'économie française.
J'en terminerai par le secteur public, où la recherche d'efficacité doit également être un maître mot. Des gains importants sont encore possibles, encore faut-il les envisager d'un point de vue économique et non d'un point de vue strictement comptable. Les dépenses du secteur public recouvrent d'une part le financement des biens collectifs et, d'autre part, les transferts. Or, il est dans ce dernier domaine un poste pour lequel nous dépensons 3 à 4 points de PIB de plus que les autres pays – et j'inclus les démocraties scandinaves —, ce sont les retraites.