Madame Rabault, l'État stratège peut en effet user de l'instrument fiscal pour redynamiser l'industrie, notamment, comme je le suggérais, en accordant aux start-up un régime dérogatoire. Il peut aussi agir en réorientant l'épargne vers le financement de notre industrie. L'épargne des Français se porte aujourd'hui massivement vers l'assurance-vie, qui finance en grande partie de la dette publique, ou vers des placements immobiliers. Dans la mesure où ce type d'épargne se caractérise par une fiscalité plus avantageuse que celle attachée aux produits qui financent notre appareil productif, il faut s'interroger sur la responsabilité de ce différentiel dans nos difficultés actuelles. Il s'agit d'un phénomène qui ne date pas d'hier mais qui, à long terme, n'est pas sain. Il me paraît donc indispensable de revoir la fiscalité de l'épargne, ce qui exige un fort consensus politique, car rien ne serait pire que d'introduire en la matière de l'insécurité, propre à décourager les épargnants.
Vous m'avez également interrogé sur notre niveau d'investissement. La France est historiquement réputée pour l'importance de son investissement public et il ne fait pas défaut aujourd'hui, à un bémol près : je me demande en effet si l'État a correctement accompagné le développement de la voiture électrique et s'il n'aurait pas dû davantage accompagner les constructeurs en investissant dans le développement d'un réseau de bornes de recharge, afin de faciliter la transition vers les véhicules propres.
Quant à l'investissement privé, il a chuté avec la crise et il est crucial de savoir s'il va redémarrer car, sans investissement, on ne peut qu'être pessimiste sur l'évolution de la compétitivité de l'industrie française. La décision d'investir dépend très fortement du carnet de commandes des entreprises et du climat de confiance générale dans le pays. Il est donc essentiel de rétablir notre compétitivité hors-prix pour restaurer la confiance des acteurs dans les perspectives de l'économie française. J'ai tendance à penser que si les marges des entreprises sont restaurées et que leur compétitivité est renforcée, l'investissement suivra.
Monsieur Le Maire, en ce qui concerne le coût du travail, je suis parti de l'hypothèse prospective selon laquelle l'ensemble du pacte de responsabilité aurait été mis en oeuvre en 2017. Or, dans la mesure où, pour l'heure et malgré le savant brouillard entretenu par Bercy autour de cette question à l'attention de Bruxelles, les mesures déjà prises ont été financées par de la dette, je ne peux, en bon bayésien, que faire preuve d'un optimisme modéré sur notre capacité à réaliser, dans les trois prochaines années, les économies nécessaires au financement de l'ensemble du pacte. D'où mes incitations à la prudence.
Beaucoup reste à faire dans le secteur agroalimentaire, notamment du fait de l'existence de nombreuses coopératives, qui ne sont pas aujourd'hui concernées par le CICE. L'exemple de la viande, filière dans laquelle nos importations en provenance des abattoirs espagnols ou allemands ne cessent d'augmenter témoigne bien du problème de compétitivité que connaît le secteur, qui pourrait en partie être résolu par un allégement des charges, ce qui nous ramène à la question du financement.
En matière de participation des salariés, on peut en effet envisager une politique fiscale plus incitative. Plus généralement, il importe selon moi de modifier les rapports sociaux au sein de l'entreprise, en associant davantage les salariés aux décisions stratégiques et à l'élaboration d'une trajectoire compétitive, susceptible de se traduire, au bout du compte, par une augmentation des salaires ou de la participation, selon le principe du gagnant-gagnant. Sur les questions touchant au droit du travail, le législateur ne doit statuer que sur les principes auxquels il est défendu de déroger, laissant aux accords d'entreprises le soin d'organiser le reste.
Comment expliquer ensuite les mauvais résultats de notre filière pharmaceutique, quand l'Allemagne a vu ses exportations progresser de 7 % pour atteindre 55 milliards d'euros ? Cela ne vient pas du prix, puisque notre pays est classé cinquième en matière de prix des produits pharmaceutiques, derrière l'Allemagne, classée quatrième. En revanche, nous chutons au septième rang pour le rapport qualité-prix, tandis que l'Allemagne se hisse au premier rang. Au-delà des questions de stabilité fiscale ou normative, certes importantes, le secteur connaît donc bien un problème de compétitivité hors-prix.
Tous les économistes s'accordent à dire que soixante-dix-sept pôles de compétitivité, c'est beaucoup. Diviser ce nombre par dix ou par cinq permettrait un ciblage plus efficace de l'argent. Nous n'avons cependant pas abouti par hasard à ce nombre, qui est avant tout le résultat de tractations politiques.
La productivité par heure travaillée dans le secteur manufacturier évolue de la même façon en France et en Allemagne, ce qui laisse penser que la robotisation n'est pas un problème.
Monsieur Francina, l'agroalimentaire est un secteur dans lequel nous manquons de champions nationaux. Dans le secteur du chocolat, nous avons des artisans remarquables, mais les grandes firmes qui exportaient dans le monde entier – je pense notamment à Poulain ou à Meunier – ont toutes disparu ou sont passées sous contrôle étranger, à l'exception d'une société basée près de Perpignan et qui ne dépasse pas le trentième rang mondial. Nous importons d'Allemagne beaucoup de chocolat qui n'y est d'ailleurs pas nécessairement fabriqué, ce qui pose la question de la politique menée par les marques de distribution. Je m'interroge : les grands distributeurs français soumis à une forte concurrence par les prix choisissent-ils néanmoins de développer des plateformes industrielles nationales ou font-ils le choix de délocaliser leur production ?
J'ai peu évoqué le tourisme et privilégié l'industrie, car nos pertes dans ce dernier secteur sont énormes, et nous sommes désormais derrière le Royaume-Uni en termes de création de valeur ajoutée. Le tourisme en revanche dégage des excédents, et je n'identifie pour l'instant aucun élément de dégradation particulier du secteur.
Monsieur Alauzet, d'après les chiffres dont nous disposons pour les premiers trimestres de 2014, le seul secteur où la demande ne s'est pas contractée mais a crû est le secteur public. À cet égard, les effets de la politique de rigueur ne transparaissent pas encore dans la comptabilité nationale. Cela me conforte dans l'idée que le pacte de responsabilité ne devrait être que très partiellement financé par des mesures de rigueur. Je vous rassure néanmoins : les crédits alloués aux laboratoires de recherche ont baissé de 8 %, preuve que cette rigueur est bien en oeuvre. La Commission européenne a parlé d'un effort structurel de 0,3 %, qu'elle souhaite voir porté à 0,5 %. C'est certes appréciable mais sans commune mesure avec ce qu'ont fait d'autres pays, ce qui n'est d'ailleurs pas un mal. Il faut savoir arbitrer entre le court et le long terme, et il n'y a pas d'inconvénient, lorsque les taux d'intérêt sont aussi bas qu'aujourd'hui, à financer à 0,7 % des mesures destinées à baisser les coûts salariaux et à soutenir l'activité de nos entreprises pour redresser, à terme, la croissance française. C'est même un parti pris intelligent qui ne doit pas pour autant dispenser l'État de faire des efforts pour accroître l'efficacité du service public, sans naturellement dégrader sa qualité.
En ce qui concerne le besoin de financement des entreprises, une récente note du CAE indique que si certaines TPE souffrent du manque de crédit, les PME ne connaissent pas de rationnement particulier. À cet égard, il me semble que la BPI, qui ne doit pas jouer un rôle de pompier mais soutenir des projets viables économiquement, constitue un bon outil de financement du secteur privé.
Monsieur Caresche, le droit du travail doit s'inscrire dans le cadre strict des valeurs auxquelles la représentation nationale considère qu'on ne doit pas déroger, pour se décliner ensuite, à partir de ce socle, au sein de chaque entreprise, en fonction de la réalité économique du terrain et des contraintes du secteur.
Monsieur Fauré, toute politique a son revers, et le choix fait par l'Allemagne d'asseoir le financement de son économie sur un réseau de petites caisses d'épargne la rend dépendante de petits établissements, qui n'ont pas diversifié leurs risques et connaissent aujourd'hui des difficultés. Au contraire, la grande solidité de notre système financier tient au fait qu'il repose sur de grands établissements, qui, eux, ont pu diversifier leurs risques.
Vous avez raison en revanche de relativiser le rôle du chancelier Schröder dans les gains de compétitivité de l'économie allemande. Les économistes allemands s'accordent aujourd'hui à reconnaître que le tournant décisif remonte aux années quatre-vingt-dix avec l'inscription du dialogue social au sein de l'entreprise. Il faut toutefois préciser que l'Allemagne a eu beaucoup de chance que sa politique de modération salariale, qui a de facto entraîné une baisse de la demande interne, soit compensée par la flambée de la demande internationale de produits allemands.
Quant aux retraites, ce n'est pas un hasard si aucun responsable politique ne s'est frontalement attaqué aux 3 ou 4 points de PIB que représente leur financement