Intervention de Martin Hirsch

Réunion du 3 février 2015 à 10h00
Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

Martin Hirsch, directeur général de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris, AP-HP :

Notre taux d'endettement avoisine les 30 %. La période d'accroissement de la dette a correspondu à de grosses opérations tout à fait justifiées, entre autres la réalisation du nouvel hôpital Necker et de la nouvelle maternité de Port-Royal. Mais la conséquence de ces investissements est aussi que nous devons aujourd'hui maîtriser notre dette et que nos marges d'endettement supplémentaire sont désormais réduites.

Au cours de la période récente, nous avons davantage recouru à l'emprunt obligataire, de manière à équilibrer la structure de notre endettement. Aujourd'hui, notre dette est constituée, à grands traits, d'une moitié d'emprunts bancaires et d'une moitié d'emprunts obligataires. À ce titre, nous dépendons du jugement des agences de notation, notre note étant identique à celle de l'État depuis plusieurs années. Nous bénéficions actuellement de conditions d'accès au marché plutôt favorables. Nous exerçons une vigilance particulière : au sein de notre dette, nous détenons une faible quantité de produits structurés, dont très peu peuvent être considérés comme potentiellement toxiques. Nous n'avons donc pas eu besoin d'émarger aux différents dispositifs mis en place par l'État pour aider les établissements en situation difficile.

Nous accordons une grande attention à notre politique de gestion de la dette : quand nous le pouvons, nous saisissons les occasions de nous dégager de nos emprunts. Au cours des dernières années, nous nous sommes désendettés sans diminuer notre effort d'investissement, qui est vital, notamment pour combattre la vétusté. Compte tenu des contraintes qui pèsent sur chacun des leviers que j'ai évoqués, nous ne pouvons pas aller plus loin dans cet effort sans bénéficier de soutiens supplémentaires. À cet égard, je répète mon premier message : il est sain que l'hôpital public investisse, car, s'il ne le fait pas, il est voué à mourir.

Deuxième message : l'hôpital public a besoin de visibilité. Nous devons financer à la fois des investissements récurrents et de grosses opérations structurantes, lourdes à conduire. Nos recettes dépendent de notre activité et relèvent donc de notre responsabilité. Néanmoins, elles peuvent être écornées par des baisses de tarifs.

Certaines de ces baisses visent à nous pousser à la vertu. Ainsi, les pouvoirs publics ont fait le choix de développer la chirurgie ambulatoire et décidé d'une évolution des tarifs en conséquence, qui a été connue à l'avance. Nous nous inscrivons dans cette démarche de conversion de l'activité vers l'ambulatoire, et nous ne serons perdants que si nous ne sommes pas capables de tenir les engagements que nous avons pris en la matière.

Cependant, d'autres baisses de tarif sont décidées pour des raisons d'opportunité. Nous les subissons parfois de plein fouet, car nous y sommes particulièrement sensibles compte tenu de notre taille et de l'importance de nos missions sociales : plus que les autres établissements, nous recevons de nombreux patients précaires ou bénéficiant de l'aide médicale de l'État (AME). Lorsque ces missions sont moins bien prises en compte dans les tarifs, les effets induits se chiffrent en millions, voire en dizaines de millions d'euros, ce qui a un impact très fort sur notre capacité à agir et à investir.

Nos recettes proviennent à près de 30 % de subventions, notamment des dotations affectées au financement des missions d'intérêt général et à l'aide à la contractualisation (MIGAC) et des missions d'enseignement, de recherche, de référence et d'innovation (MERRI). Rappelons que nos missions hospitalo-universitaires sont particulièrement importantes, l'AP-HP pesant 40 % de la recherche clinique en France. Une fluctuation des subventions peut avoir, elle aussi, un impact majeur sur nos activités.

Par exemple, il est question actuellement de réformer le financement du service d'aide médicale d'urgence (SAMU) dans le cadre des dotations affectées aux MIGAC, et l'application des schémas élaborés dans les ministères risque de déstabiliser totalement notre modèle économique. Il s'agirait désormais de compter le nombre d'« événements » qui nécessitent l'intervention du SAMU. Or l'activité que nous avons déployée la deuxième semaine de janvier a compté pour trois événements seulement, alors que nous avons mobilisé des forces considérables pendant cinq jours ! Comme nous ne pouvons pas renoncer à nos investissements, nous serons amenés à compenser par un recours à l'endettement le fait que nous ne sommes pas suffisamment appuyés dans nos missions de service public, c'est-à-dire à « faire de la mauvaise dette ».

De mon point de vue, dans mes fonctions actuelles – l'AP-HP représente, je le rappelle, 10 % de l'hôpital public en France –, la problématique de la dette doit être appréhendée de manière contractuelle. Le contrat que nous concluons avec les pouvoirs publics doit porter, en premier lieu, sur nos engagements. D'abord, celui de prendre en charge toutes les catégories de patients, notamment pour des actes que nous sommes les seuls à pouvoir réaliser. Cet engagement transcende tous les autres. Ensuite, celui de réaliser des efforts de productivité. Nous tenons cet engagement, même si cela passe par des discussions difficiles avec nos équipes médicales et paramédicales.

L'accompagnement de nos missions nationales doit se poursuivre et constituer le deuxième pilier du contrat. Or, au cours des dernières années, nous avons constaté un écart de plus de deux points entre l'évolution de l'objectif national des dépenses d'assurance maladie (ONDAM) voté par le Parlement et celle de l'enveloppe qui nous est attribuée au titre des MIGAC – celle-ci a même parfois diminué. Nous comprenons, bien sûr, les mécanismes de rebasage et de comparaison qui peuvent conduire à un tel décrochage, mais le développement de nos missions est rarement pris en compte. Je plaide donc pour que nous bénéficiions d'une visibilité en la matière : en face de notre engagement en termes d'efforts doit être affiché un engagement en termes d'accompagnement.

Le troisième pilier du contrat doit être l'accompagnement de nos investissements, qui est indispensable pour que nous puissions élaborer et mener à bien nos opérations. Pour peu que les dossiers que nous présentons soient corrects, l'État s'est engagé à financer à hauteur de 30 % les deux opérations majeures que nous projetons, l'une des deux étant la construction d'un grand hôpital au nord de Paris, que le Président de la République lui-même a soutenue. Nous devons donc trouver les 70 % restants, en répartissant l'effort entre les trois leviers de financement que j'ai évoqués précédemment.

Dans les années de très fortes contraintes mais aussi de très fortes transformations qui viennent, les pouvoirs publics doivent confirmer qu'ils ne se désengagent pas du secteur public hospitalier et donner une visibilité à ses responsables, en leur disant : « Vous faites des efforts, mais nous vous accompagnons dans l'exercice de vos missions nationales et nous reconnaissons que l'investissement est fondamental. » C'est là le facteur clé, notamment si nous voulons éviter un effet boule de neige que nous connaissons bien. Par exemple, lorsque les établissements privés font de la publicité en présentant les robots qu'ils achètent pour 3 millions d'euros, ainsi que vous avez pu le voir hier dans Le Parisien, ils attirent les praticiens hospitaliers. Nous risquons d'assister à un « débobinage » de l'hôpital public si nous ne faisons pas en sorte qu'il puisse continuer à investir dans des conditions soutenables.

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