Intervention de Christophe Deloire

Réunion du 29 janvier 2015 à 8h00
Commission d'enquête sur les missions et modalités du maintien de l'ordre républicain dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation, ainsi que de protection des personnes et des biens

Christophe Deloire, directeur général de Reporters sans frontières France :

Deux questions portent sur les différences de réaction des manifestants selon qu'ils se trouvent face à tel ou tel média. Les journalistes les plus identifiés – plus le matériel est lourd, plus ils le sont –, et notamment les photographes, sont particulièrement visés.

Monsieur le président, vous m'interrogiez sur les images produites par la police. Le pluralisme ne revient pas à diffuser exactement la même durée d'images de chaque partie prenante, pour ne pas dire de camp. Dans une démocratie, les lignes éditoriales et les images sont variées. Cela étant, ne faisons pas de mauvaises prophéties auto réalisatrices. Il serait très regrettable que les images de la police puissent être un jour utilisées comme peuvent l'être celles de l'armée sur certains théâtres d'opérations extérieures. RSF dénonce le fait que l'armée empêche parfois des journalistes d'accéder à certains endroits et qu'elle aille ensuite proposer ses images dans les rédactions. C'est une dérive qui ne doit pas s'élargir au champ des manifestations.

Monsieur le rapporteur, j'ai oublié de vous répondre sur l'usage que les forces de l'ordre peuvent faire des images des journalistes, notamment dans le cadre d'une procédure judiciaire. Il peut y avoir des réquisitions judiciaires. Néanmoins, je considère extrêmement dangereux pour les journalistes que leurs images puissent être utilisées à des fins d'identification. Pour illustrer mon propos, je vais prendre un exemple qui n'a rien à voir avec les manifestations mais qui est néanmoins valide. Le fait que des journalistes aient témoigné devant le Tribunal pénal international – certains ont refusé et ont eu gain de cause – a changé l'image des médias dans les pays concernés : on leur a reproché de sortir de leur rôle de purs collecteurs et diffuseurs d'informations pour se mettre au service de la justice. Leur image d'indépendance s'en trouve atteinte, à une époque où la critique des médias n'a que trop tendance à se résumer dans le slogan : « policiers, magistrats, journalistes, même combat ! ». Chacun doit garder son rôle et il ne faut surtout pas ajouter au sentiment de confusion.

En matière de protection des sources, le président prône un alignement sur la loi belge. Pour sa part, RSF préconise qu'il ne puisse être fait exception à la protection des sources des journalistes que pour empêcher des faits à venir et non pas pour élucider des événements passés. Sinon, les journalistes devront se contenter de sources vêtues de lin blanc et de probité candide, et leur activité s'en trouvera sacrément réduite.

Sur les personnes masquées, il est très difficile pour moi de vous répondre. Les rédactions sont libres et il semble difficile d'élaborer une règle déontologique générale : les journalistes doivent pouvoir se rendre là où ils le souhaitent. En revanche, le carnage à Charlie Hebdo a renforcé la prise de conscience croissante dans les rédactions, même dans les chaînes d'information en continu que vous évoquiez, que la capacité à faire une image n'implique pas sa diffusion automatique. De l'extérieur, il faut faire la distinction entre le journalisme qui a une fonction sociale et la communication porteuse d'intérêts particuliers. À l'intérieur des rédactions, il ne faut pas se laisser instrumentaliser.

La question de la prise de risque est très à la mode au niveau international. Dans les instances onusiennes, des représentants des plus grands pays – y compris ceux qui briment affreusement les journalistes – s'y déclarent très sensibles. Certains médias favorisent-ils des prises de risque plus grandes ? Je suis incapable de vous répondre. En revanche, je perçois clairement que les dirigeants des rédactions et les journalistes s'en préoccupent beaucoup plus que par le passé, ce qui se traduit par la mise en place de procédures, l'acquisition de matériel, etc. Par ailleurs, la prise de risque n'est pas forcément liée au respect de règles d'éthique et de déontologie.

Les journalistes doivent-ils se regrouper pour être moins vulnérables ? Il serait dommageable – et même absurde – que les journalistes soient cantonnés sur une estrade. Leur rôle est de regarder sous différents angles. Il n'y a pas lieu, non plus, d'avoir des procédures d'accréditation – auprès de qui que ce soit – pour des manifestations publiques. Olivier Pouchin parlait de l'importance de la communication entre les journalistes qui couvrent les manifestations et les CRS. Cette communication doit se faire avec toutes les parties prenantes mais de manière informelle : tout caractère obligatoire aurait in fine des répercussions négatives car la sécurité peut toujours servir d'argument pour restreindre la liberté de l'information.

Certains journalistes, notamment les grands reporters qui partent dans des pays comme la Syrie ou l'Irak, suivent des stages organisés par l'armée et le Groupe d'intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). Les groupes de médias se mettent aussi à créer des stages qui intègrent de plus en plus les problèmes liés à la couverture des manifestations en France.

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