Je n'ai pas de réponse. La Grèce choisira ce sur quoi elle fera défaut. En général, le défaut concerne 30 % à 70 % de la dette. S'il atteint 50 %, la dette publique de la Grèce représentera encore, après le défaut, 120 % de son PIB, ce qui est considérable, surtout si l'on creuse le déficit en augmentant le nombre de fonctionnaires. Très vite, la dette publique de la Grèce remontera à 170 % de son PIB.
À mon sens, les réformes valent mieux que l'austérité. Elles constituent le seul moyen de sécuriser l'avenir, même si les déficits subsistent à court terme. On peut par exemple éviter d'embaucher de nouveaux fonctionnaires, mais, dans le domaine social, on atteint rapidement des limites. La montée des populismes dans tous les pays s'explique par celle de la souffrance, ce qui justifie les mises en garde de Joseph Stiglitz et Paul Krugman. Toutefois, on ne peut admettre qu'un pays européen ne possède pas de système fiscal.
À l'égard du FMI, je veux corriger une inexactitude. On peut être favorable ou non aux mesures qu'il préconise, mais aucun pays ne peut prétendre qu'il est forcé par le FMI. Celui-ci offre aux États le moyen de retrouver leur crédit sur la scène internationale, mais ils sont toujours libres de ne pas faire appel à ses services.
Vous m'avez demandé de commenter le propos de Joseph Stiglitz selon lequel rester dans l'euro coûte plus cher que d'en sortir. Pour l'heure, nous sommes préoccupés par l'octroi des lignes de liquidités. Il faut trouver une solution avant quinze jours, mais après ? Tôt ou tard, nous devrons choisir quelle Europe nous voulons.
Deux conceptions s'affrontent.
Aux termes du traité de Maastricht, les États font ce qu'ils veulent, en contrepartie du contrôle de leur déficit budgétaire et de leur dette. Le problème est qu'ils n'ont pas la volonté politique de se contrôler entre eux, de sorte que le système ne fonctionne pas. De ce fait, la France s'est dotée du Haut Conseil des finances publiques, qui offre l'avantage d'être indépendant mais l'inconvénient d'être franco-français. Mieux vaudrait se tourner vers une instance européenne, et préciser ce qui doit se passer quand les États ne suivent pas les règles. Ceux qui ont construit Maastricht savaient bien que l'Europe n'est pas une zone monétaire optimale, ce qui les a incités à fixer au départ des règles trop rigides, pour limiter la dette.
Une autre conception a ma faveur, bien qu'elle ait peu de chances de s'imposer : celle d'une Europe fédérale, qui aurait un budget commun, une dette commune – les eurobonds –, ainsi qu'une assurance dépôts et une assurance chômage communes. Ce seraient en somme les États-Unis d'Europe.
Cependant, quand la Californie est en récession, elle reçoit, par le biais des mécanismes budgétaires, beaucoup d'argent des autres États, les États-Unis formant une zone dont le droit est à peu près identique. En matière de droit du travail, les institutions sont très différentes dans le nord et dans le sud de l'Europe. Comment deux pays dont le chômage structurel se monte respectivement à 5 % et à 20 % parviendraient-ils à se doter d'une assurance commune ?
En 1790, quand plusieurs États des États-Unis, appauvris par la guerre, ont commencé à faire faillite, l'État fédéral les a renfloués. Ce système a duré jusqu'en 1840. Depuis près de deux siècles, l'État fédéral n'a procédé à aucun renflouement, sauf avec une mise sous tutelle complète des États. Quand la Californie a des problèmes, le président Obama lui répond que ce ne sont pas ceux des autres États. C'est cette approche que l'Europe doit adopter si elle veut devenir une fédération.
Enfin, une fédération fonctionne comme un mécanisme d'assurance. Quand une maison flambe, les primes de tous les assurés permettent de la construire. Ce système ne peut fonctionner qu'à condition d'être derrière un voile d'ignorance : nul n'acceptera de signer un contrat si une maison est déjà en flammes. Je ne crois donc ni aux eurobonds ni aux eurobills, pas plus qu'à une assurance chômage. Une assurance dépôts est moins invraisemblable, puisque nous nous sommes dotés d'une union bancaire, c'est-à-dire d'un droit commun et d'une régulation qui s'effectue au niveau européen.
J'ai beaucoup étudié le marché du travail. Le prix Nobel a salué mes recherches en matière de droit de la concurrence, de régulation sectorielle et de régulation bancaire. Mon analyse est simple : le système français, et plus généralement le système traditionnel de l'Europe du Sud, encourage à créer des CDD, parce que les CDI manquent de flexibilité. Le marché du travail connaît par ailleurs des incitations perverses. En matière d'environnement, on invoque volontiers le principe pollueur-payeur. C'est le principe inverse qui s'applique en matière d'emploi, où les entreprises qui gardent leurs salariés paient, sous forme de cotisations chômage, pour celles qui licencient. Afin de sécuriser le processus de licenciement, l'État français l'a placé sous le regard du juge ou des prud'hommes, ce qui constitue une exception sur le plan international, mais le juge qui s'immisce dans la procédure est par nature mal informé. Seul le chef d'entreprise sait si un emploi est justifié.
La seule façon de s'en sortir serait de passer, ce qui prendra du temps, au système en vigueur dans l'Europe du Nord, qui protège plutôt le salarié que l'emploi. Dans notre économie, où la technologie et la demande évoluent vite, et où l'on ignore si l'emploi qu'on voudrait créer sera encore justifié dans deux ans, il faut laisser de la flexibilité aux entreprises. Avec Olivier Blanchard, j'ai proposé d'instaurer une taxe de licenciement, accompagnée d'une diminution des cotisations sociales, afin que le dispositif soit fiscalement neutre. Son montant serait d'autant plus élevé que l'intéressé resterait longtemps au chômage. On aboutirait à un bonus-malus, qui inciterait l'entreprise à bien former ses salariés. Grâce à ce système qui n'a rien de révolutionnaire, puisqu'il a été appliqué par Roosevelt dans les années trente, les entreprises recommenceraient à créer des emplois normaux.
En matière d'évasion comme d'optimisation fiscale, il ne peut y avoir de solution qu'européenne, sinon mondiale, mais il est difficile de savoir combien l'État gagnerait en résolvant le problème, puisque les comportements changent et que les activités se déplacent.
Nous sommes tous attachés au système social français. Il n'est donc pas question de réduire l'État à la portion congrue, mais, si mes chiffres sont justes, la France emploie, par actif, 45 % de fonctionnaires de plus que l'Allemagne pour un service donné. Quand les politiques fixent des objectifs en termes de prestations sociales, il faut poser la question économique de l'efficacité de l'État, comme on l'a fait au Canada, en Suède, en Allemagne et en Australie. Il existe beaucoup de travaux sur le sujet, qui définissent une méthodologie. En France, la généralisation de l'informatique n'a pas réduit le nombre total de fonctionnaires. On constate encore des doublons à tout niveau. On s'est interrogé sur la pertinence des départements. Ce n'est pas le seul sujet à remettre à plat. Dans bien des domaines – sécurité sociale, formation professionnelle et apprentissage –, il existe encore des usines à gaz.
L'exemple de l'étranger peut nous apprendre à fournir les mêmes services à des coûts moindres. Une autre solution serait d'introduire une concurrence plus forte entre régions, en procédant ensuite à un étalonnage. On maintiendrait ainsi la performance du système public, dont dépend la pérennité de notre régime social ou de nos retraites.
La manière dont s'opèrent certains regroupements doit également faire l'objet d'un suivi. On pourrait penser qu'en rassemblant plusieurs communes dans une communauté d'agglomération, ou plusieurs universités dans un pôle, on réduira les coûts. C'est paradoxalement l'inverse qui se produit. Il est indispensable qu'une autorité indépendante vérifie que l'on n'opère des regroupements qu'au vu d'un projet, et empêche qu'on ne maintienne l'existant en y adjoignant une nouvelle structure plus onéreuse.
Sans être un spécialiste des territoires, j'observe qu'on adopte trop souvent, en France, une approche top-down. Pour créer des clusters ou définir une politique industrielle, on décide d'en haut que tel secteur va marcher : on identifie une demande sociétale, par exemple de l'État ou des collectivités locales, sans se demander à quelle offre elle correspond ni vérifier qu'on a la capacité d'y répondre. Créer un grand centre de recherche ne sert à rien si l'on ne dispose pas de chercheurs capables d'en attirer d'autres, qui feront eux-mêmes venir des étudiants et des startups.