Intervention de Daniel Fasquelle

Réunion du 10 février 2015 à 17h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDaniel Fasquelle, président de la mission :

La mission d'information que nous avons menée avec Pascale Got et plusieurs autres collègues a été créée au printemps dernier, à la suite de la table ronde organisée par notre Commission le 9 avril sur le thème du « tourisme français à l'épreuve de la concurrence ». Entre les mois de mai et novembre 2014, nous avons rencontré plus d'une centaine d'interlocuteurs issus aussi bien des structures traditionnelles du tourisme que de l'univers de 1'e-tourisme.

Permettez-moi de dresser trois constats et de vous présenter trois pistes de réflexion.

Nous nous sommes tout d'abord aperçus qu'internet avait profondément bouleversé le secteur touristique, l'un des pans de l'économie française les plus réceptifs au numérique au cours des dernières années. Le comportement des consommateurs change : désormais, 45 % des Français réservent leur voyage sur internet et 62 % d'entre eux préparent leur séjour en ligne. L'apparition de nouveaux acteurs a modifié le jeu de la concurrence, qui ne s'exerce plus seulement entre les acteurs traditionnels ; elle a aussi entraîné un nouveau partage de la valeur ajoutée – au profit notamment de nouveaux intermédiaires tels qu'Expedia ou Booking. Ces évolutions se poursuivent d'ailleurs aujourd'hui avec le passage de l'e-tourisme au m-tourisme, c'est-à-dire à l'usage du téléphone mobile et des tablettes par les touristes qui, lors de leur séjour, cherchent à s'informer ou à se guider.

On constate ensuite que les acteurs concernés ont eu des difficultés à appréhender ces évolutions. Les acteurs institutionnels ont ainsi vainement essayé à plusieurs reprises d'élaborer un portail national de la destination France, non seulement parce qu'ils avaient vu trop grand et manquaient de moyens face aux géants de l'internet, mais aussi parce qu'il est difficile dans ce pays gaulois de réunir l'ensemble des intervenants autour d'un projet commun. Ceux relevant du privé ont d'ailleurs eu, eux aussi, des difficultés à s'organiser entre eux : face aux géants de l'internet et en particulier aux agences de voyages en ligne ou « OTA » (online travel agencies), les acteurs du tourisme, très fragmentés, ont du mal à se fédérer, ayant plutôt tendance à défendre leurs intérêts immédiats. À cela s'ajoute qu'à quelques exceptions près, l'Europe n'a pas été en mesure de créer un écosystème suffisamment favorable à l'émergence de grands acteurs de l'économie numérique – qui sont donc le plus souvent américains.

Enfin, les États ont eux aussi eu des difficultés à appréhender ce nouveau phénomène. Jusqu'à présent, les acteurs de l'économie touristique évoluaient dans un système ordonné, cloisonné et caractérisé par des repères précis tels que les labels nationaux ou privés. Dans ce jardin à la française, les acteurs savaient sur quel levier jouer pour faire évoluer l'économie touristique. Or, l'apparition d'internet a complètement brouillé les cartes, faisant surgir une nébuleuse complexe et mouvante. Outre les acteurs connus, de nouveaux acteurs ne cessent d'apparaître, dont l'activité dépasse les frontières nationales. Certains opérateurs s'organisent d'ailleurs pour pouvoir s'affranchir de l'application de certaines réglementations nationales ou du paiement de l'impôt.

Bref, les acteurs économiques nationaux, éparpillés, sont soumis à un rapport de force déséquilibré ; les acteurs institutionnels, trop rigides, n'ont pas les moyens suffisants pour pouvoir contrer les géants d'internet ; les États, enfin, sont bousculés par des acteurs qui se jouent de leurs frontières.

En conséquence, la destination France perd du terrain : alors que nous ne cessons d'affirmer que notre pays est la première destination touristique au monde, il ressort du dernier bilan d'Eurostat publié il y a une dizaine de jours que la France, avec ses 402 millions de nuitées marchandes en 2014, est désormais talonnée par l'Espagne qui en a comptabilisé 401 millions. Ce chiffre ne cesse de surcroît de progresser de l'autre côté des Pyrénées tandis qu'il recule chez nous. Et si l'on retire de ces statistiques les nuitées des ressortissants de chaque pays, on s'aperçoit que la France est largement distancée par l'Espagne en nombre de nuitées de touristes étrangers. En 2014, cette dernière a ainsi attiré 260 millions de touristes non-résidents, toujours en nombre de nuitées, contre 184 millions en Italie et 131 millions en France.

Mais loin de nous l'idée de vous faire déprimer en dressant un tel constat : la rapporteure vous présentera en effet tout à l'heure les propositions que nous avons formulées dans notre rapport. Car si le numérique est un défi, il constitue aussi pour nous une opportunité. Disposant d'atouts majeurs, la France a une bataille à gagner sur trois plans.

Sur le plan juridique, il lui faut lutter contre les abus constatés dans le domaine du droit de la consommation – et je pense notamment ici aux avis exprimés par les internautes à l'égard des prestations offertes dans certains hôtels et restaurants – et contre les pratiques déloyales portant atteinte au droit de la concurrence. Mais avant de modifier notre droit, il convient de nous assurer qu'il est effectivement appliqué.

Sur le plan économique, il importe de soutenir les acteurs français les plus performants tels que Voyages-sncf.com ou Easyvoyage.com, de faire jouer la concurrence entre les différentes plateformes, de faire en sorte que la filière s'organise elles et de la faire mieux collaborer avec les offices du tourisme et les autres acteurs institutionnels. En effet, les opérateurs tels que Booking ou Expedia ont bien compris que la valeur des communes touristiques se trouvait sur le terrain puisqu'un touriste commencera toujours par choisir une destination avant de réserver un hôtel. Or, les informations stratégiques relatives aux différentes destinations existantes étant détenues par les offices du tourisme, il convient d'éviter que ces intermédiaires ne s'en emparent.

Enfin, sur le plan fiscal, il est inacceptable que certains acteurs cherchent à échapper à la taxe de séjour ou à l'impôt sur les sociétés alors même qu'ils créent de la valeur ajoutée en France.

En conclusion, je formulerai deux remarques. La première, c'est que la réponse à ces enjeux est non seulement française mais surtout européenne. Et la seconde, c'est que l'observation d'internet et du numérique nous a conduits à retrouver certains des défauts de l'économie touristique française. À commencer par le fait que nous consacrions une attention et des moyens insuffisants à ce secteur pour pouvoir attirer de la clientèle : ainsi le budget national consacré à la promotion de la destination France à l'étranger est-il très inférieur à celui que l'Espagne et l'Italie accordent à la promotion de leur pays. Il convient donc de considérer internet comme un moyen de mieux faire connaître l'offre touristique française. Sans lui d'ailleurs, certains hôtels ne pourraient jamais attirer de clients hors saison. Facteur de déstabilisation, internet peut devenir une formidable opportunité pour les nombreuses destinations touristiques de notre pays qui, à l'exception de Paris, sont insuffisamment connues à l'étranger. Saisir cette opportunité suppose de mobiliser des moyens, de mieux nous organiser, de mieux structurer les filières et de prendre la mesure d'un phénomène devenu réalité.

Je laisse à présent la parole à la rapporteure, qui va revenir plus en détail sur certains aspects du rapport et qui va vous présenter nos préconisations.

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