Intervention de Pascale Got

Réunion du 10 février 2015 à 17h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPascale Got, rapporteure de la mission :

Notre rapport couvre un spectre assez large, comme en attestent le nombre et la variété des personnes que nous avons auditionnées. Il faut dire aussi que la filière touristique est très diverse et ne parle pas d'une seule voix. C'est la raison pour laquelle nous vous avons transmis un résumé en quelques pages de notre réflexion, en plus de notre projet de rapport lui-même.

Permettez-moi tout d'abord de dire quelques mots de l'état d'esprit de nos interlocuteurs. Tous conviennent qu'ils n'ont plus d'autre choix que celui de faire avec le numérique. Ceux qui ne tiennent pas compte de la réalité qu'est devenue l'e-tourisme risquent de mettre en jeu leur viabilité économique. Mais si les professionnels qui tardent à s'investir dans le numérique adoptent souvent une posture défensive, tous ne sont pas concernés de la même manière par son développement.

Nous avons ainsi identifié les trois types d'acteurs qui s'en sortent le mieux avec cet outil : il s'agit tout d'abord de ceux qui, parce qu'ils sont arrivés récemment sur le marché, ont tout de suite investi dans le numérique et les secteurs de niche, ou ont eu recours au mode collaboratif. D'autres, plus anciens sur le marché, ont investi assez tôt afin d'acquérir une bonne maîtrise de l'outil numérique. Réaliser un tel effort suppose néanmoins de disposer d'une force de frappe suffisante pour pouvoir réaliser des investissements importants dans les technologies et le marketing, face à des OTA dotées d'une grande puissance financière. D'autres, enfin, se sont posé les bonnes questions sur le « produit touristique », se demandant quelle était sa valeur ajoutée, quelle stratégie de différenciation il convenait d'adopter et comment rendre l'offre touristique plus lisible. On s'est en effet aperçu que l'outil technologique n'était pas la seule réponse à apporter. Car comme l'a souligné l'un de nos interlocuteurs, « on ne séjourne pas dans un serveur ». Le numérique n'étant qu'un outil au service d'une stratégie plus large, il ne faudrait pas y voir l'alpha et l'oméga du tourisme. Dans le même temps, il constitue un aiguillon bienvenu et, par certains aspects aussi, le miroir d'un certain nombre de nos faiblesses.

Sans sous-estimer les bouleversements que nous venons d'évoquer, les membres de cette mission d'information jugent néanmoins nécessaire de contrebalancer le discours médiatique récurrent en vertu duquel le numérique aurait un effet négatif sur le secteur.

Selon nous, la question des rapports entre les hôteliers et les OTA occupe une place trop importante dans les débats sur l'e-tourisme. Nous avons bien entendu auditionné l'ensemble des parties prenantes à cette affaire, et en particulier les deux grandes centrales de réservation qui font figure de principales accusées : Booking et Expedia. Nous nous sommes cependant bien gardés de porter des jugements caricaturaux dans le rapport, considérant que le poids croissant des OTA sur le marché de la réservation hôtelière ne pouvait expliquer à lui seul les difficultés rencontrées par la profession. En faire des boucs émissaires commodes serait d'ailleurs d'autant plus malvenu que ce sont souvent les hôteliers eux-mêmes qui les ont sollicités au départ et qu'à titre individuel, ils trouvent bien des avantages à ce mode de commercialisation. Il est vrai, en revanche, que le poids des commissions s'est accru au cours de ces dernières années dans des proportions nettement plus importantes que le chiffre d'affaires des hôteliers, de sorte que les marges de ces derniers se sont amenuisées. On estime ainsi aujourd'hui que 35 % du volume d'affaires de l'hôtellerie repose sur les OTA, qui captent environ 7 % du chiffre d'affaires du secteur, si l'on se base sur un taux moyen de commission de 20 %.

Depuis deux ans, plusieurs contentieux ont été formés. À la suite d'un avis rendu par la Commission d'examen des pratiques commerciales (CEPC), relatif au déséquilibre de la relation commerciale entre OTA et hôteliers, le Gouvernement a assigné Booking et Expedia devant le tribunal de commerce de Paris afin de contraindre ces deux sociétés à revoir plusieurs des clauses contractuelles qu'elles imposaient à leurs clients, à commencer par la clause dite de parité tarifaire. Parallèlement, les syndicats hôteliers ont porté plainte devant l'Autorité de la concurrence, considérant qu'à terme, cette même clause favorisait la position dominante des principales OTA. De son côté, le Gouvernement a lui aussi saisi l'Autorité, la chargeant de formuler des propositions en vue d'encadrer certaines pratiques anticoncurrentielles. L'un des enjeux des procédures en cours est de déterminer si le droit en vigueur constitue une base suffisante pour rééquilibrer le rapport de force entre ces acteurs, – rapport de force qui s'apparente de plus en plus à celui que l'on observe dans la grande distribution.

C'est à dessein que j'emploie l'expression de « rapport de force » tant il semble illusoire de considérer la bataille juridique comme la seule qui vaille. Beaucoup d'hôteliers étant devenus – ou s'étant rendus – « dépendants » des OTA, il importe que la profession se reprenne en main et qu'elle renforce le contact direct avec sa clientèle. Des initiatives en ce sens existent d'ailleurs déjà, qui doivent être encouragées.

Dans notre rapport, nous évoquons aussi les mutations qu'a entraînées le numérique dans le secteur de la location saisonnière. La mise sur le marché d'hébergements touristiques par les particuliers a pris une nouvelle ampleur, principalement par le biais des sites de petites annonces en ligne. Cette activité représente aujourd'hui un marché de près de 190 millions de nuitées par an. Mais si l'on parle beaucoup du « phénomène Airbnb », qui s'est répandu comme une traînée de poudre en quelques années à peine, il n'en demeure pas moins que d'après les chiffres qui nous ont été fournis, les locations via Airbnb ne représentent aujourd'hui qu'une part infime de ce marché.

Il ne faut pas pour autant négliger la question car les pratiques « collaboratives » sont promises à un bel avenir, comme en atteste le succès similaire de Blablacar dans le domaine des transports. Il convient de bien identifier ces pratiques et de les intégrer dans le circuit économique tout en faisant en sorte d'empêcher toute dérive. Il ne s'agit pas pour nous de préconiser la réglementation pour le plaisir de réglementer, mais il nous semble que le tourisme doit fournir des recettes suffisantes pour compenser les charges d'investissement qu'il représente pour nos territoires en termes d'infrastructures d'accueil. Il ne s'agit pas d'interdire Airbnb mais bien de poursuivre les négociations qu'ont engagées les autorités depuis plusieurs mois en vue de réguler ces pratiques. Ce dialogue a notamment abouti au vote de plusieurs dispositions en ce sens dans le cadre de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR). Plus récemment, la loi de finances pour 2015 a prévu la possibilité de collecter la taxe de séjour avec le concours de ces plateformes.

Quant au développement des avis en ligne, qui ne concerne d'ailleurs pas que le domaine touristique, il a connu certaines dérives, ces avis ne consistant parfois qu'en de la publicité déguisée et trompeuse. Si l'on en croit les enquêtes de la DGCCRF à ce sujet, les avis doivent être « consommés avec modération » par l'aspirant touriste, qui risque parfois de connaître quelques désillusions s'il ne se fie qu'à eux. Plus qu'à la norme créée par l'AFNOR pour encadrer certaines pratiques, qui demeure facultative, nos interlocuteurs nous ont dit croire à l'autorégulation en la matière. Mais parce qu'il a profondément transformé la relation au client-consommateur, le développement des avis en ligne doit aussi nous conduire à adapter les modalités du conseil institutionnel, qui garde tout son sens à côté de celui fourni par les acteurs en ligne, agents commerciaux vivant avant tout de la publicité.

J'en viens à présent aux préconisations formulées dans la troisième partie de notre rapport, qui figurent également dans le résumé qui vous a été transmis.

Une remarque tout d'abord : parallèlement à la conduite de cette mission, et à la suite des Assises du Tourisme, Laurent Fabius a annoncé l'installation d'un Conseil de promotion du tourisme. Ce conseil a ouvert six chantiers, dont un relatif au numérique, et rendra un rapport au printemps prochain. Siégeant au sein de ce conseil en tant que représentante de notre assemblée aux côtés de notre collègue Didier Quentin, j'ai pu mesurer à quel point nos sujets de préoccupations étaient proches.

Les préconisations et pistes de travail que nous vous soumettons s'articulent autour de trois axes – la gouvernance, les moyens et la réglementation – et nous considérons que l'ensemble de la filière doit se mobiliser et saisir que l'outil numérique ne peut plus être abordé en ordre dispersé, comme cela a trop souvent été le cas jusqu'à présent.

S'agissant de la gouvernance, nous appelons à une redéfinition des partenariats conclus entre les acteurs institutionnels et la filière touristique, tant au niveau local qu'au niveau national. Comme l'a souligné le président Fasquelle, les offices de tourisme locaux jouant un rôle majeur, nous sommes attachés à ce qu'ils conservent une forte présence territoriale, aspect dont il sera d'ailleurs question lors de l'examen du projet de loi relatif à la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe). Pour autant, le numérique nous oblige à reconsidérer leur rôle et l'articulation entre leurs différentes missions. Les territoires doivent davantage mutualiser leurs moyens afin de produire des contenus touristiques plus « sexy » et plus faciles à diffuser et à exploiter en ligne. En effet, la logique qui préside à l'identification d'une destination touristique ne correspond pas à celle des découpages administratifs. Internet ignore les frontières des offices de tourisme, des départements et des régions. L'offre touristique française se doit donc d'assurer sa visibilité en ligne, tant à l'échelon territorial que national, en s'appuyant sur une stratégie de marques fortes et coordonnées. Le Conseil de promotion du tourisme est sur la même ligne et l'impulsion donnée par le Gouvernement aux contrats de destinations va également dans ce sens.

Afin de renforcer la visibilité des destinations françaises, nous proposons la création d'un portail unique nourri de contenus percutants fournis par les institutions touristiques de tous niveaux. Le pilotage de cette mission pourrait être confié à Atout France, à condition que l'Agence puisse s'appuyer sur un réseau d'organismes locaux du tourisme en mesure de produire des contenus pertinents. Nous devons nous efforcer d'asseoir un véritable réseau social du tourisme institutionnel. Compte tenu de la concurrence internationale, la France a réellement besoin d'un portail d'informations touristiques digne de ce nom. Mené par Atout France, ce projet devra fédérer et associer les grandes marques touristiques françaises les mieux identifiées à l'étranger, qui ont également tout à y gagner.

J'émettrai néanmoins une petite réserve : si l'on peut être reconnaissant envers Atout France pour les services rendus par cette agence, celle-ci devra cependant reconquérir sa légitimité auprès de ses partenaires. Cela suppose que l'on fasse évoluer son mode de fonctionnement et ses ressources. Nos auditions ayant fait apparaître des tiraillements entre les différentes institutions concernées, il conviendra que l'Agence fasse converger vers elle l'ensemble de la filière.

Après la gouvernance vient la question des moyens.

Si le tourisme doit être considéré comme un secteur économique à part entière, il convient, concrètement, d'aider les start-up à percer dans le domaine du m-tourisme et du big data (exploitation de données). Si nous n'innovons pas en la matière, nous perdrons notre place. Il convient d'encourager les initiatives telles que le Welcome City Lab à Paris et de faire en sorte que ces start-up aient accès aux modes de financement existants, ces derniers devant d'ailleurs être mieux adaptés à l'écosystème touristique. La BPI vient toutefois d'annoncer qu'elle souhaitait élargir son acception de la notion d'innovation au marketing, aux innovations commerciales et aux innovations de services et d'usages – soit des domaines qui recoupent le champ des start-up de l'e-tourisme. La filière touristique et les institutionnels doivent également être en mesure de soutenir ces start-up.

Une telle évolution n'étant pas simple à déclencher, nous proposons l'élaboration d'un « 35ème plan » de reconquête industrielle au profit de la filière touristique, plus particulièrement axé sur l'e-tourisme, le m-tourisme et le big data. Nous adresserions ainsi un signal fort à notre économie touristique et favoriserions la prise de conscience des enjeux futurs.

Quant à ce que l'on pourrait appeler les « producteurs de contenu touristique », ils sont insuffisamment formés à l'utilisation des outils numériques et s'en trouvent pénalisés car moins performants lorsqu'il s'agit de commercialiser des offres directes et de coordonner l'usage des différentes plateformes existantes. Nous proposons donc que les programmes de formation professionnelle aux métiers du tourisme comprennent un volet numérique. Souvent, les hôteliers sont entièrement dépendants de prestataires externes pour l'usage de cet outil, voire ne sont pas du tout équipés d'internet. En somme, la filière touristique doit apprendre à domestiquer le numérique. Si plusieurs pierres ont déjà été posées en la matière, les professionnels restent éclatés entre eux et n'ont pas l'habitude de travailler en commun – situation qu'ils doivent impérativement faire évoluer sans quoi ils ne pourront se maintenir sur le marché.

Enfin, notre dernière série de préconisations a trait à la nécessité de réguler en parallèle les activités touristiques et les activités numériques. Cela ne vise d'ailleurs pas que les professionnels du tourisme mais l'ensemble du secteur marchand en ligne. Il convient avant tout de faire en sorte que la réglementation en vigueur soit mieux appliquée afin que nos acteurs traditionnels soient mieux protégés et qu'ils ne soient pas pénalisés par les nouvelles pratiques qui apparaissent. L'expression de « concurrence déloyale » est en effet souvent revenue dans la bouche des hôteliers et des agents de voyages que nous avons auditionnés. Il nous faut prendre à bras-le-corps le problème de la compétitivité des acteurs traditionnels du tourisme sans pour autant trop charger la barque, afin de ne pas bloquer l'arrivée sur le marché de nouveaux entrants.

Le numérique soulève aussi de réels problèmes quant à l'information et à la protection du consommateur-touriste. Nous nous trouvons là encore à la croisée de deux mondes : nous ne pouvons pas faire comme si les règles anciennes n'existaient pas et, pourtant, elles sont de plus en plus aisément contournables – du moins leur non-respect est-il difficilement sanctionné.

Quant à la régulation des activités numériques, c'est un problème autrement plus complexe à résoudre, d'autant qu'il ne relève pas que du seul ressort national. N'est pas de notre ressort la question de la position dominante qu'occupe Google sur le marché du référencement. Or, c'est pourtant la première des préoccupations de l'ensemble des acteurs car c'est bien Google qui se trouve au bout de la chaîne et les OTA y dépensent plusieurs milliards d'euros chaque année pour l'achat de mots-clés. Ne relève pas non plus du ressort national la protection des marques sur internet, domaine dans lequel il va nous falloir modifier notre approche. La jurisprudence européenne en vigueur autorise en effet l'achat de mots-clés correspondant à des marques concurrentes. De même, la France a été trop laxiste en matière d'achat des noms de domaine. Pour ne prendre qu'un seul exemple, le site « France.com » existe, mais c'est celui d'une agence de voyage située en Floride !

Enfin, concernant la fiscalité applicable aux acteurs basés à l'étranger, il importe qu'une initiative soit prise au niveau européen sans quoi nous ne pourrons peser dans la balance.

Encore une fois, ces préoccupations ne sont pas propres au monde du tourisme. C'est pourquoi il serait de bon augure que la France, l'Allemagne et d'autres États membres incitent la Commission européenne à s'en saisir.

En conclusion, permettez-moi de rappeler à nouveau que cette vaste question n'appelle pas de réponses toutes faites. L'e-tourisme renferme des possibilités formidables à condition toutefois que nous soyons en mesure d'en clarifier la gouvernance, d'en redéfinir les moyens et de mieux faire appliquer la réglementation en vigueur. Il importe que la filière abandonne certaines postures, qu'elle s'efforce de parler d'une seule voix afin de formuler de nouvelles propositions et surtout, qu'elle remette le client au centre de ses préoccupations. Enfin, l'activité touristique continuant à souffrir d'un manque de reconnaissance, il convient, alors que nous sommes entrés de plain-pied dans l'ère du numérique, de mieux prendre en considération ce domaine économique.

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