Merci de ces très nombreuses questions.
S'agissant du foncier, les prix des propriétés – pour les entreprises comme pour les particuliers – sont bien supérieurs en France à ce qu'ils sont en Allemagne ou en Italie, par exemple. Vous citez, monsieur Mariton, le cas du Royaume-Uni, où les prix demeurent en effet supérieurs aux prix français, notamment dans la région londonienne, et ce même après l'ajustement dû à la crise. Mais justement, du côté britannique, c'est un sujet de préoccupation : les prix ont baissé, puis augmenté à nouveau, mais la Banque d'Angleterre est tout de suite intervenue pour freiner cette remontée. On construit beaucoup, par exemple à Londres. On cherche vraiment à utiliser tout le foncier disponible, même dans d'anciennes zones industrielles polluées, qui ne devraient pas être habitables. Il y a également d'énormes investissements dans les infrastructures de transport, afin que les populations qui ne peuvent plus vivre en plein centre d'une capitale trop onéreuse puissent s'installer plus loin, là où le foncier devient moins cher, quitte à voir augmenter les temps de transport. Il faut également souligner qu'un nombre croissant de salariés du tertiaire très éduqués ne viennent au travail que deux à trois jours par semaine ; le reste du temps, ils travaillent chez eux, à parfois deux heures du centre de la ville.
Beaucoup de travaux économiques ont montré un lien entre hausse des salaires et hausse des prix du foncier – ces travaux portent toutefois pour la plupart sur des pays étrangers. Les entreprises ont intérêt à s'agglomérer sur une zone précise, et lorsque les prix du foncier augmentent, elles doivent augmenter les salaires, pour attirer les salariés. Ce phénomène a sans doute participé des difficultés d'ajustement des salaires en France au début de la crise. Il est venu s'ajouter à un mécanisme plus classique des négociations paritaires, notamment au niveau des branches : celles-ci ont tendance à être backward-looking, c'est-à-dire en regardant dans le rétroviseur. En 2009, les minima de branche ont ainsi continué d'augmenter en raison de l'inflation connue avant la crise : les temps d'ajustement sont longs.
Aujourd'hui, la dynamique en France est plutôt celle d'une déflation salariale.
Plusieurs questions portaient sur l'Europe et l'austérité. Soyons clairs : si la France a connu une politique d'ajustement budgétaire, elle n'a pas connu d'austérité équivalente à ce qu'ont subi l'Espagne ou l'Italie. Là encore, nous sommes plutôt dans une situation similaire à celle du Royaume-Uni ou de la Belgique : de nombreux pays du nord ont réalisé un ajustement de leurs finances publiques, souvent partielles d'ailleurs, avec l'idée de lisser le choc d'ajustement. On ne peut pas parler pour la France de profonde austérité. Cela étant, toutes ces politiques participent bel et bien d'un mouvement déflationniste à l'échelle européenne. Aujourd'hui, la question se pose d'y mettre fin pour éviter la trappe à déflation. Le plan de la Commission européenne consiste à mettre 15 milliards d'euros sur la table en espérant un effet de levier gigantesque – presque 20. Rien ne nous oblige à y croire. Quant à la Banque centrale européenne, elle a fait son travail.
Ces institutions, il faut bien le comprendre, n'ont pas été créées pour des situations de crise. Avant la crise de 2008, la doctrine, dans les institutions académiques comme dans les banques centrales, était celle de la « grande modération », qui théorisait l'absence de grande crise. On a créé des institutions européennes adaptées à la gestion de crises peu importantes ou de crises localisées. La séparation entre la BCE et la décision budgétaire résulte des théories macroéconomiques de la fin des années soixante-dix et du début des années quatre-vingt, période où il s'agissait surtout de lutter contre l'inflation – lutte qui a d'ailleurs été un succès. Nos institutions ne sont pas taillées pour le monde actuel, où l'on s'approche de la déflation.
Il faut donc vraiment mener une réflexion sur la construction institutionnelle de l'Europe. La BCE fait son travail, je l'ai dit, mais il faut aussi réfléchir à la coordination des politiques européennes, aux politiques budgétaires et aux politiques d'investissement. Aujourd'hui, dans le semestre européen, la coordination est réduite à la portion congrue, au profit d'une réflexion sur les politiques structurelles dans chaque pays. L'Union européenne ne déploie pas de stratégie au niveau européen ; au contraire, elle pousse chacun à construire sa politique isolément. Toute réorientation de la politique européenne passera donc à mon sens par une réflexion institutionnelle, afin notamment d'améliorer la coordination entre la BCE, la Commission, les décisions budgétaires à l'échelle de l'Union comme à l'échelle de la zone euro...
Quant aux territoires, français comme européens, ils ne connaissent pas tous la même dynamique, c'est vrai. Notre croissance est aujourd'hui soutenue un peu par la région parisienne, beaucoup par les grandes métropoles régionales. En revanche, on constate un déclin des métropoles moyennes ou petites. Est-ce un drame pour ces territoires ? Oui. Est-ce un drame pour l'économie française ? Pas nécessairement. Cela pose en revanche le problème de la mobilité de la population, qu'il faut organiser, en France et au-delà en Europe.
Si l'on s'interroge d'ailleurs sur ce que pourrait être une politique industrielle européenne, il faut, je crois, se pencher sur cette question de la mobilité globale des Européens, en commençant – ce qui entre parfaitement dans le cadre des fonctions de la Commission européenne – par la mobilité des jeunes. À partir des dispositifs Erasmus notamment, on pourrait créer un environnement européen d'éducation supérieure : il paraît absurde aujourd'hui de penser la politique d'enseignement supérieur dans chacun des pays. Assurer un niveau de formation équivalent dans l'ensemble des pays européens, soutenir la mobilité : ce pourrait être la base d'une politique industrielle européenne.