Intervention de Christophe Premat

Réunion du 11 février 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Premat, rapporteur :

Comme l'a expliqué le président, le rythme de nos travaux sur ce projet de loi portant transformation de l'université des Antilles et de la Guyane en université des Antilles et ratifiant diverses ordonnances relatives à l'enseignement supérieur est exceptionnellement rapide : le Sénat a adopté le texte en première lecture le 29 janvier ; l'Assemblée l'examinera en séance publique dès le jeudi 19 février.

Dans ces délais contraints, je me suis efforcé de recueillir l'avis des principaux intéressés, en auditionnant des membres du cabinet de la ministre des outre-mer et de celui de la secrétaire d'État à l'enseignement supérieur, nos collègues sénateurs, qui avaient engagé un an plus tôt un remarquable travail d'analyse et de proposition sur cette question, ainsi que la présidente, une ancienne présidente et quelques grands acteurs de l'université des Antilles.

Il ne se joue ici rien de moins que la survie de cette université, indispensable pour le développement et le rayonnement de ces territoires et pour l'avenir de nos jeunes concitoyens antillais.

Comme vous le savez, des tensions récurrentes parmi les personnels et les étudiants du pôle guyanais, qui se sont soudainement envenimées à l'automne 2013, ont conduit le Gouvernement à se résigner au retrait de la Guyane de l'université commune, qu'elle partageait avec la Guadeloupe et la Martinique depuis 1982. Le décret du 30 juillet 2014 a ainsi créé une nouvelle université, limitée à quelque 2 250 étudiants en ce qui concerne le pôle guyanais. À la suite d'une mission conduite par l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche, les moyens ont été répartis dès la fin de l'année entre les deux universités sur le fondement de la situation prévalant à la date de la scission.

Cette séparation explique l'urgence imprimée aux travaux parlementaires. Pour apaiser la situation et couper court aux surenchères autonomistes mettant en danger la survie d'une université commune, le Gouvernement a tiré parti de l'habilitation à légiférer par ordonnance, que nous lui avions accordée dans l'intention initiale d'adapter à cette université la nouvelle gouvernance fixée par la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche (ESR) du 22 juillet 2014, et procédé, dans l'ordonnance du 17 juillet 2014, à un profond renforcement de l'autonomie des deux pôles demeurant dans l'ancienne université des Antilles et de la Guyane.

Il n'a pas pu, toutefois, aller jusqu'à tirer les conséquences du retrait du pôle guyanais. Le champ de l'habilitation se bornait, en effet, à la réforme de la gouvernance de l'université, sans permettre d'en modifier ni le nom ni le périmètre. Dès lors, dans l'état du droit existant, le code de l'éducation continue de prévoir l'existence d'une université commune. Cela impose notamment que ses organes délibérants se réunissent en rassemblant les représentants de ses trois pôles constitutifs, alors même que l'un d'entre eux ne participe plus à la vie de l'université.

Cette situation juridique ambiguë pose de réelles difficultés, s'agissant en particulier du respect des règles de quorum ou de l'adoption des budgets des deux universités. L'intervention du législateur est donc nécessaire et urgente, car en l'état actuel, celles-ci vivent sur un budget 2014 prolongé. À cette fin, le Sénat a introduit des dispositions indispensables en prévoyant que toutes les références à l'université des Antilles et de la Guyane soient remplacées par des références à la seule université des Antilles.

La scission de l'université des Antilles et de la Guyane n'est cependant que le symptôme le plus spectaculaire des nombreuses difficultés que cette université affronte depuis sa création. L'enseignement supérieur fait face à des défis d'une ampleur exceptionnelle dans ces régions d'outre-mer. En dépit d'une proportion de bacheliers dans une classe d'âge proche, en Guadeloupe et en Martinique, des trois quarts constatés en métropole, alors qu'elle ne dépasse pas 37 % en Guyane, le nombre de non-diplômés parmi les personnes âgées de vingt-cinq à trente-quatre ans atteint 26 % en Martinique, 33 % en Guadeloupe et 58 % en Guyane, contre 19 % en métropole.

C'est dans le supérieur que se concentrent les principales difficultés, avec des taux de diplômés des vingt-cinq à trente-cinq ans limités à 27 % en Martinique, 22 % en Guadeloupe et 17 % en Guyane, contre 42 % en métropole. Ces mauvaises performances prennent une dimension dramatique lorsqu'on prend la mesure des seuils dramatiques atteints par les taux de chômage des jeunes actifs, à près de 70 % en Martinique, 60 % en Guadeloupe et 45 % en Guyane. Or aux Antilles comme partout dans le monde, le diplôme du supérieur demeure le meilleur rempart contre le chômage, celui-ci descendant à 10 % pour les bénéficiaires d'une formation supérieure.

Dans ce redoutable contexte, l'université des Antilles et de la Guyane peine manifestement à répondre aux attentes que l'on peut légitimement former à son égard. Elle n'attire, en effet, que le quart des bacheliers locaux. Ses résultats sont décevants, avec un taux d'échec de 68 % en première année et seulement 25 % des étudiants qui parviennent à obtenir leur licence en trois ans.

Bien sûr, de nombreux facteurs extérieurs contribuent à entretenir cette situation insatisfaisante. Le tiers le plus performants des lycéens, souvent issus des milieux les plus favorisés, part étudier en métropole. L'université concentre plus qu'ailleurs des étudiants fragilisés face à l'enseignement supérieur. Les boursiers représentent la moitié de ses effectifs, tandis que la proportion de bacheliers technologiques et professionnels est le double de celle observée dans les universités métropolitaines.

Ces handicaps ne fournissent toutefois qu'une partie des explications. La lucidité commande de constater que l'université des Antilles et de la Guyane a été affaiblie depuis sa création par la cohabitation complexe, au sein d'une même structure, des fortes identités culturelles de ses trois territoires d'implantation.

Dans une dynamique d'affirmation culturelle et une logique de proximité, renforcée par la très faible mobilité des étudiants entre les trois pôles, chaque département et chaque région s'est attaché à faire bénéficier son territoire d'une offre de formation aussi étendue que possible. Cet émiettement des filières a conduit l'université des Antilles et de la Guyane à rassembler aujourd'hui pas moins de six unités de formation et de recherche (UFR), trois écoles supérieures du professorat et de l'éducation (ESPE), trois instituts spécialisés et vingt laboratoires de recherche. Ces forces centrifuges ont d'autant plus érodé la cohérence de l'université que sa gouvernance s'est révélée incapable de relever les défis posés par la rivalité des pôles géographiques universitaires.

Jusqu'en 2008, l'université a été gérée selon des modalités proches du droit commun, ne reconnaissant aucune autonomie à ses territoires. Ce système a naturellement encouragé une compétition entre les deux îles des Antilles, qui rassemblaient les effectifs les plus importants d'étudiants, aboutissant dans les faits à une neutralisation du conseil d'administration.

Ces blocages ont créé un terreau favorable à l'enracinement des féodalités et des pouvoirs d'obstruction des composantes les mieux structurées de l'université. Le rapport d'un groupe de travail constitué par la Délégation aux outre-mer et la commission de la Culture, de l'éducation et de la communication du Sénat, présidé par M. Thani Mohamed Soilihi et dont les rapporteurs étaient Mme Dominique Gillot et M. Michel Magras, a mis en évidence, dès avril 2014, des dysfonctionnement spectaculaires, allant de l'absence de dialogue de gestion à un « manque chronique de contrôle », en passant par la multiplication des « pouvoirs d'obstruction » et même, dans un cas paroxysmique fort heureusement isolé, jusqu'à « l'épanouissement d'un véritable réseau de redistribution ». Surtout, cette gouvernance a obéré l'équilibrage des moyens entre les besoins des différentes régions.

La Guyane est restée cantonnée en marge des processus décisionnels en raison de la naissance plus tardive de son enseignement supérieur, d'abord concentré sur les formations technologiques de courte durée, en liaison avec la vocation aéronautique de Kourou. Aucune présidence de l'université, alternée jusqu'à récemment entre la Guadeloupe et la Martinique, ne lui est jamais revenue. Ses dotations n'ont guère évolué, alors même qu'elle connaissait, à la différence des deux îles, une massification rapide de son enseignement secondaire due à une démographie très dynamique.

S'appuyant sur la création spontanée et informelle de conseils régionaux de pôle en 1997, l'ordonnance du 31 janvier 2008, qui visait à adapter à cette université la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) du 10 août 2007, a fait un premier pas timide vers l'autonomie. Elle a ainsi consacré le rôle, essentiellement consultatif, des conseils de pôle et créé les fonctions de vice-présidents de pôle. Cette réforme a toutefois échoué à produire de réels résultants encourageants. D'une part, les conseils consultatifs de pôle, affaiblis par l'absentéisme de leurs membres et l'imprécision de leurs attributions, n'ont pas su s'imposer entre les composantes et les services centraux. D'autre part, la présidence de l'université, aux prérogatives très renforcées, dans la droite ligne de la réforme impulsée par la loi LRU, n'a pas réussi à se libérer des jeux complexes et fluctuants des majorités au conseil d'administration, alimentés par les rivalités des pôles. À la fois plus puissante et plus isolée, elle n'est pas parvenue à jouer le jeu d'une réelle autonomie des pôles.

La rupture, au début des années 2010, de la traditionnelle alternance à cette fonction des représentants de la Guadeloupe et de la Martinique, puis les grèves et la scission guyanaise de la fin de 2013, ont été autant de symptômes d'une gouvernance inadaptée, parce que sans doute maladroitement partagée entre tous les acteurs. C'est dans ce contexte et face aux fortes tensions centrifuges inéluctablement attisées par la crise guyanaise, marquées notamment par une longue grève dans les campus guadeloupéens à l'hiver 2014, que le Gouvernement a décidé, à l'été 2014, d'adapter par ordonnance la gouvernance de l'université des Antilles pour avancer vers plus d'autonomie.

L'ordonnance du 17 juillet 2014 a ainsi introduit des innovations très importantes. Les deux pôles universitaires régionaux ont reçu une très large capacité d'organisation administrative et pédagogique, appuyée sur des compétences propres étendues. Celles-ci vont jusqu'à l'adoption de budgets propres intégrés, la définition d'une stratégie de pôle, la mise en oeuvre d'une mission d'insertion et la faculté de contractualiser avec des partenaires de l'université. En parallèle, leurs vice-présidents ont reçu la qualité d'ordonnateurs des recettes et d'autorité de gestion sur les personnels du pôle.

Ces dispositions, audacieuses, dotent l'université des Antilles des vrais instruments nécessaires à une gestion déconcentrée. Elles devraient sans nul doute apaiser les revendications centrifuges, qui étaient d'autant plus radicales qu'elles étaient privées jusqu'alors de toute perspective crédible de concrétisation. C'est pourquoi je vous proposerai d'accepter la ratification de cette ordonnance.

Néanmoins, la nécessaire autonomie accordée aux pôles ne doit pas transformer l'université en une coquille vide, privée de toute capacité à garantir la cohérence de son offre d'enseignement, car c'est là que se joue l'avenir de l'université des Antilles. Est ici en cause l'attractivité de cette université, tant à l'égard de ses étudiants et des étudiants étrangers de la zone caraïbe qu'à celui de ses enseignants-chercheurs. Pour relever les défis de l'enseignement supérieur contemporain, l'université devra élargir son cercle d'alliances dans la zone caraïbe et dans toutes les Amériques, et offrir aux étudiants les formations, les partenariats et les passerelles qui sont aujourd'hui les conditions de parcours réussis dans le supérieur.

Je suis convaincu que ces ambitions ne peuvent être poursuivies que par une université forte et unie, dépassant le seuil critique de 10 000 étudiants. Deux universités indépendantes, dans les faits sinon dans le droit, de l'ordre de 5 000 étudiants, offrant des formations nécessairement parcellaires et limitées, seraient parfaitement incapables de se déployer en dehors du cadre étroit de leur territoire. Cette exigence milite pour qu'à côté de l'autonomie, nous confortions la cohérence et la force des services centraux de l'université. Dans cet esprit, l'ordonnance du 17 juillet 2008 apparaît dangereusement fragilisée par l'absence de mécanismes permettant de se prémunir contre les éventuelles tensions entre les pôles et la présidence de l'université, puis, le cas échéant, d'y remédier.

En confiant l'élection des vice-présidents aux seuls conseils universitaires régionaux de pôle, la nouvelle gouvernance perpétue une pratique qui a longtemps érodé la cohérence de l'université des Antilles et de la Guyane, et sans doute contribué à la scission de son pôle guyanais. Dans les faits, aujourd'hui, les pôles désignent leur vice-président, au mépris des dispositions de l'ordonnance de 2008, qui confient cette responsabilité au président de l'université après leur simple consultation. Ce système a introduit un ferment institutionnel de rivalité puisque les personnes concernées ont tendu à s'opposer sur des questions déterminantes pour l'avenir de l'université, comme, par exemple, l'enjeu d'une répartition plus équitable des ressources.

Pour pallier cette gouvernance institutionnellement conflictuelle, le Sénat, reprenant l'une des propositions de son groupe de travail, a introduit une disposition nouvelle prévoyant que l'élection du président et des vice-présidents de pôle fait l'objet d'un même vote au sein du conseil d'administration. Chaque candidat devra ainsi présenter un « ticket » de trois personnalités, qui devra démontrer au préalable la cohérence du projet global porté par le candidat à la présidence, et les stratégies de développement des pôles défendues par les vice-présidents. Cette solution est astucieuse et bienvenue. Elle a, en outre, le grand avantage de laisser aux statuts de l'université le soin de déterminer les modalités appropriées d'implication des pôles, qui pourront, par exemple, faire l'objet d'une consultation préalable, voire dresser une liste de pré-candidats entre lesquels le candidat à la présidence de l'université pourra choisir ses colistiers. Je vous invite donc à l'approuver.

Dans une logique comparable, le Sénat a veillé à mieux préciser la répartition des services entre les pôles et l'échelon central, en indiquant que les services regroupés par les pôles sont ceux qui leur sont « propres », à l'exclusion des services communs – par exemple, de documentation, d'espace numérique ou d'orientation. De même, les sénateurs ont proposé que les décisions de la commission de la recherche concernant un laboratoire exerçant ses activités sur plusieurs pôles n'entrent en vigueur qu'après avoir été approuvées par le conseil académique de l'université.

Enfin, pour rapprocher la composition du conseil d'administration de celle des autres universités, le Sénat a proposé très opportunément de doubler la représentation des personnels non enseignants, dits IATOS. La seule spécificité de ce conseil demeurerait dès lors la place plus importante faite aux personnalités extérieures – un tiers contre environ un quart dans le droit commun –, nécessaire pour garantir la représentation des organismes de recherche présents dans les deux îles, qui sont incontournables pour le développement de ces territoires.

Tels sont les objets des modifications apportées en première lecture par la Haute assemblée à l'article 1er du projet de loi. La qualité de l'équilibre obtenu m'encourage à vous inviter à adopter cet article sans modification.

En outre, le Sénat a veillé, en introduisant un nouvel article 1er bis, à ce que l'autonomie dévolue aux pôles soit applicable dès l'entrée en vigueur de la présente loi et non à compter de la modification des statuts de l'université, programmée, quant à elle, dans le traditionnel délai d'un an au maximum. C'est une innovation importante, gage de notre volonté d'accélérer la mutation de l'université des Antilles et de concrétiser aussi vite que possible sa nouvelle gestion déconcentrée.

L'article 2, pour sa part, se contente de solliciter la ratification de deux ordonnances rectifiant, notamment, des erreurs matérielles dans le code de l'éducation et introduisant des dispositions relatives aux études de maïeutique.

L'article 3 propose de corriger, dans le même esprit, des mentions désuètes dans le même code et de lever une ambiguïté, en précisant que s'étendent aux terrains non bâtis les biens sur lesquels les établissements d'enseignement supérieur assument les droits et obligations du propriétaire, afin de les autoriser, par exemple, à consentir des autorisations d'occupation temporaire du domaine public.

Ces dispositions ne soulevant aucune difficulté, je vous propose d'adopter ces articles sans modification.

En conclusion, je vous invite à adopter l'ensemble du projet de loi dans sa rédaction résultant des travaux du Sénat, qui permet de bâtir les fondations d'une université des Antilles respectueuse à la fois de l'autonomie nécessaire de ses pôles et de l'unité indispensable à son succès.

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