Intervention de Christophe Premat

Réunion du 11 février 2015 à 9h30
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Premat, rapporteur :

Les auditions ont été restreintes par manque de temps, mais aussi en raison du décalage horaire avec les Antilles. Il était, en effet, important de consulter des gens sur place, qui vivent la situation présente, très difficile. À l'heure où je vous parle, l'université des Antilles n'existe pas : d'une part, le code de l'éducation ne connaît aujourd'hui que l'université des Antilles et de la Guyane, d'autre part, les incessants mouvements de grève ont fortement compliqué l'adoption des budgets, l'articulation des tâches et le travail.

L'urgence de la situation a justifié la décision de ne pas faire tabula rasa, mais plutôt de conserver la gouvernance actuelle et de faire des choix en pondérant le rôle et les pouvoirs de chaque acteur – c'est la difficulté majeure. J'entends bien votre message d'apaisement, monsieur Marie-Jeanne. Il n'y a certes pas de quoi se réjouir, et la scission du pôle guyanais est un échec, un drame même au regard des 2 250 étudiants et de la nécessité d'en augmenter le nombre, des enjeux de développement durable et du centre spatial de Kourou. À travers la ratification de l'ordonnance, nous avons la lourde tâche aujourd'hui de prendre acte de cette scission tout en assurant le bon fonctionnement de l'université des Antilles. De fait, il s'agit de sauver les meubles, et fonder les grands équilibres d'une nouvelle gouvernance apte à en encourager la survie. J'ai bien conscience que tout ne sera pas résolu par la loi, qui ne fait que fixer le cadre d'une gouvernance effective commune a minima de façon à pouvoir conduire un projet commun ; l'intelligence du terrain aura sa part à prendre.

La création d'une université de plein exercice en Guyane risque de déboucher sur un mini-collège universitaire, carencé en « jus », si je puis dire, avec un pôle manquant d'enseignants-chercheurs et s'isolant sur le plan international. J'espère que nous pourrons offrir d'autres perspectives à nos jeunes en Guyane. En particulier, madame Attard, ce territoire est extrêmement propice à des recherches précieuses dans les domaines de la gestion des forêts ou de la transition énergétique, que la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt a d'ailleurs fort opportunément promus.

Monsieur Hetzel, le nombre limité d'auditions est dû aux difficultés que j'ai rappelées. Mais nous avons ici la chance de pouvoir aussi nous appuyer sur l'existence du rapport extrêmement détaillé publié en avril 2014 du Sénat. Cela m'a permis d'auditionner d'autres personnes que celles déjà entendues par les sénateurs. C'est d'ailleurs grâce à cette mission d'information que nos collègues ont pris conscience de la nécessité de maintenir une cohérence dans la gouvernance qui motive la création du ticket de trois candidats.

La situation a évolué selon un développement que je qualifierais de dialectique : thèse, antithèse, synthèse. L'ordonnance du 31 janvier 2008 adaptant l'université des Antilles et de la Guyane à la réforme de l'autonomie a tenté de mettre en place un schéma universitaire de type fédéraliste. Mme Pécresse, alors ministre de l'enseignement supérieur, avait d'ailleurs parlé de promesse fédérale pour ces territoires. Cela n'a pas marché. Passant à l'antithèse de cette option, on pourrait envisager une régionalisation complète des pôles, qui présenterait certes l'avantage apparent d'une meilleure adéquation entre les formations de l'université et les besoins locaux. Mais ce schéma n'est pas conforme à l'esprit de la loi sur l'enseignement supérieur ; il ferait perdre tout lien avec la France et les services centraux, et priverait les Antilles de toute capacité de rayonnement et d'excellence universitaires.

Reste, dès lors, à imaginer une gouvernance de type confédéral, avec une autonomie renforcée des pôles. La scission du pôle guyanais, regrettable j'y insiste, remet néanmoins le colosse sur deux pieds, l'un martiniquais, l'autre guadeloupéen, surmontés d'une tête que je dirais « mosaïque », en référence à l'identité mosaïque louée par le poète guadeloupéen Ernest Pépin. Alors que l'université des Antilles et de la Guyane n'a jamais eu de président guyanais, on peut espérer qu'avec une gouvernance bipolaire, le bon sens – car il est impossible de l'imposer par la loi – conduira au retour de l'alternance de personnalités guadeloupéennes et martiniquaises à la tête de la présidence. On retrouverait ainsi un équilibre, avec une forte autonomie des pôles, sans tomber dans la régionalisation complète. C'est pourquoi l'amendement sénatorial sur le « ticket » est important : ce lien sera ainsi garanti par la loi.

J'entends votre critique sur les modalités d'organisation, monsieur Hetzel. Sachez toutefois que la création de l'université de la Guyane s'est accompagnée de celle de vingt-cinq postes. Et n'oubliez pas qu'il a fallu agir dans l'urgence.

Il paraissait risqué de construire une gouvernance commune entre les deux pôles après avoir fait table rase de l'existant, alors que l'attente de stabilité est forte et que des grands projets sont en cours. Mme Doucet a rappelé que l'université des Antilles, aussi modeste soit-elle avec 10 000 étudiants, doit nous procurer un rayonnement international. Des projets de coopération avec l'université des Indes occidentales (University of the West Indies) et avec certains centres de recherche français et des Amériques sont en voie de concrétisation, qui contribueront à la constitution d'un pôle fort, avec la présence de laboratoires aussi importants que l'INSERM. Ainsi l'université des Antilles se donnera les moyens d'être un fleuron à l'extérieur de la métropole.

Qui plus est, elle sera un vecteur de la francophonie dans les Caraïbes, où les Antilles occupent une position très importante. Grâce à l'innovation et la recherche, les jeunes Antillais auront des perspectives d'avenir ; l'échec scolaire et les difficultés à intégrer l'enseignement supérieur local déclineront ; non seulement les étudiants antillais ne seront plus tentés de partir dans d'autres universités, mais l'université des Antilles attirera des étudiants étrangers.

J'en viens à la modalité de la relation, telle que l'envisage Édouard Glissant dans sa poétique de la relation. La formule de « ticket » proposée par le Sénat est intéressante et semble faire consensus au sein de la Commission. Pour ce qui est de la présidence, l'ordonnance prévoit, pour l'avenir, un mandat non renouvelable de cinq ans. Toutefois, les statuts de l'université des Antilles n'ont pas été totalement remis à plat pour laisser à l'intelligence locale la possibilité de trouver une voie d'évolution. La présidente actuelle a été élue en janvier 2013. L'ordonnance dont le projet de loi sollicite la ratification, prévoit déjà clairement que les membres du conseil d'administration et le président restent en fonction jusqu'à l'échéance naturelle de leur mandat, c'est-à-dire décembre 2016, et précise même que le président en exercice « ne sera pas rééligible ». L'idée est de laisser une certaine continuité entre le dispositif existant et le prochain et de donner du temps à l'apaisement des tensions. Il demeure bien sûr loisible à la présidente de démissionner si elle l'estime nécessaire. Pour ce qui est du « ticket », il faut également laisser toute sa part au temps et à l'intelligence des acteurs sur le terrain. J'ai conscience que la loi ne changera pas tout. Il faut dépasser les questions de personnes pour vraiment se concentrer sur les procédures.

Avec la régionalisation complète, une concurrence s'est exercée entre la Martinique et la Guadeloupe du point de vue des périmètres universitaires et des formations, qui a conduit à recréer des formations. L'avantage du ticket, c'est qu'il permet de penser à la synergie des territoires : le pôle guadeloupéen est sans doute davantage versé dans les sciences « dures » alors que le pôle martiniquais est plus axé sur les sciences sociales.

Le risque évoqué par M. Hetzel d'une séparation des deux pôles restants dans l'université ne me semble pas écarté. Aussi devrons-nous nous montrer vigilants, et bien réfléchir à ce qu'il conviendra d'inscrire dans le cadre législatif et au rôle que nous confierons aux acteurs locaux de la gouvernance universitaire. Nous devons tenir compte de la persistance de tensions très fortes. N'oublions pas que la création de l'université des Antilles et de la Guyane, en 1982, a été concomitante aux grandes lois de décentralisation, et que des rivalités se sont exprimées à toutes les étapes de la vie de cette université. D'où l'importance d'avoir des procédures à même de permettre un débat. De ce point de vue, la gouvernance commune permettra de discuter des périmètres de compétences, des surfaces immobilières, de la répartition des dotations.

Mme Dessus m'a interrogé sur les formations à court terme et sur la lutte contre le décrochage scolaire. Le Gouvernement pourrait, par voie réglementaire, créer des IUT, dans le pôle martiniquais comme dans le pôle guadeloupéen. Il pourrait également offrir un cursus plus diversifié aux élèves de ces territoires. C'est pourquoi j'insiste sur la synergie : il serait dommage, à cause de la fragmentation des trois pôles, de se retrouver avec trois mini-collèges universitaires réduits au premier cycle. La bonne qualité d'un premier cycle dépend des perspectives sur les cycles suivants, et les étudiants doivent percevoir une réelle dynamique de la recherche à travers tous les cycles.

Mais nous n'en sommes pas encore là : il est question ici de prendre acte de la scission et d'essayer de protéger un périmètre commun pour la gouvernance de l'université des Antilles. Nous réfléchirons ensuite à l'architecture de cette université.

Nous pouvons, en tout cas, lancer un message optimiste dans la mesure où, solides sur nos deux pieds, nous avons le regard tourné vers l'avenir. J'espère que nous renouerons avec la stabilité et, surtout, que nous pourrons offrir une vraie vision pour l'université des Antilles. Ne ratons pas ce tournant important pour nos jeunes, pour notre coopération internationale, pour l'intérêt général.

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