Jean-Yves Caullet y a justement fait allusion. Mais je ne vois pas en quoi son développement, et nous n’en sommes qu’aux prémices, conduit à ouvrir des supermarchés le dimanche ! Il y a là une étape de raisonnement économique qui m’échappe. Je le dis également à mon collègue François Brottes, dont j’apprécie beaucoup les connaissances économiques : je ne vois pas en quoi l’essor du commerce en ligne conduit inévitablement à ouvrir le dimanche des commerces en général, et des supermarchés en particulier. Nous n’avons donc pas de raison d’être, aujourd’hui, porteurs de cette régression alors que nous avions donné, il y a six ans, des arguments tout à fait définitifs.
Je le redis : notre majorité doit défendre ses principes, parce qu’ils sont le fruit de longs combats. Monsieur le ministre, il ne s’agit pas d’une histoire qui commencerait aujourd’hui. Ne cédez pas au vertige de la page blanche : vous seriez victime d’une illusion politique, ce dont vous – mais surtout nous – nous rendrions coupables. Je revendique donc notre constance : celle des paroles prononcées en 2009 par la plupart des dirigeants de la gauche française. Comme l’a dit Pascal Cherki, nous sommes comptables de ces engagements. Et nous ne nous trouvons pas, chaque matin, devant une page blanche. Peut-être certains le regrettent-ils.
Enfin, en ce début de débat sur le travail dominical, je veux poser à notre majorité trois questions. Cette extension du travail et de l’ouverture des commerces le dimanche est-elle économiquement efficace ? Nous avons tous pris connaissance des études : elle débouchera, certes, sur des créations, mais aussi sur des destructions d’emplois. Des milliers d’emplois seront probablement créés, mais des milliers seront aussi détruits dans le même temps. Cela avait d’ailleurs été parfaitement dit en 2009 dans cette tribune signé par 122 parlementaires de gauche : « Loin des créations d’emplois annoncées, c’est plutôt une destruction d’emplois qui nous attend, et particulièrement ceux du commerce de proximité ». La façon dont la grande distribution a cannibalisé le commerce de proximité n’est pas quelque chose que nous découvrons : c’est une longue histoire, qui s’étend sur plusieurs décennies. Or nous allons l’amplifier. Donc, sur le plan de l’efficacité économique, un doute profond subsiste.
Deuxième question : cette loi permet-elle d’engranger des garanties nouvelles ? La réponse est oui. Notre rapporteur, Stéphane Travert y a, avec d’autres députés de la commission spéciale, particulièrement oeuvré. Mais enfin celle-ci a été, en l’occurrence, la commission du moindre mal. Il est vrai que des garanties nouvelles sont prévues. Mais est-il indispensable, pour une majorité de gauche, de considérer qu’il faut les échanger contre l’extension du travail le dimanche ? Notre mission ne consiste t-elle pas, dans la fidélité aux engagements que nous avons pris en 2012 avec le Président de la République, à dire : la loi Mallié n’était pas une bonne loi, car il fallait des garanties sur les contreparties salariales ? Le volontariat, tel qu’il se pratique aujourd’hui, est tellement subjectif, compte tenu de la situation du salariat français – Benoît Hamon a eu raison de le dire. Était-il impensable qu’à l’occasion de l’examen de cette loi, des garanties nouvelles portant sur les contreparties salariales, le volontariat des salariés et les décisions des élus locaux soient apportées, sans avoir à rouvrir pour autant, et pour longtemps, et dangereusement, une brèche dans le droit social ? Telle est la question qui nous est posée.
Enfin, troisième question : cette extension – et, monsieur le ministre, pardonnez-moi si je reprends, là encore, un terme que vous affectionnez, mais cela constitue la preuve que nous vous écoutons – est-elle orthogonale avec le modèle de société que nous voulons ? Je réponds : oui, c’est vrai, comme nous l’avions écrit en 2009, il s’agit plutôt de la civilisation du supermarché et de la consommation vue comme un loisir.