À mon tour, je voudrais profiter de cette discussion générale sur les dispositions du texte portant sur le travail dominical pour revenir sur trois éléments qui me donnent véritablement le sentiment qu’avec cette partie du projet de loi, la gauche agit malheureusement à contre-emploi.
Le premier argument, qui sous-tend la présence dans le texte de ces dispositions, ainsi que la volonté d’étendre le travail dominical, est bien économique : on nous explique que cette extension aura un impact économique positif, sans quoi ces dispositions n’auraient pas lieu de figurer dans le texte. L’étude d’impact réalisée à l’appui de ce projet de loi par France Stratégie affirme d’ailleurs très clairement que l’efficacité économique du dispositif sera d’autant plus importante que l’ouverture dominicale sera massive.
Au-delà de la faible crédibilité scientifique de ces arguments économiques, qui ont déjà été rappelés par plusieurs collègues avant moi, je voudrais surtout relever que le monde économique est loin de soutenir, dans son ensemble, cette extension du travail dominical. Parmi les plus fervents opposants aux projets d’extension du travail dominical figurent ainsi, avant tout, les artisans et les représentants du petit commerce et du commerce de proximité. Encore une fois cette extension n’est pas soutenue par l’ensemble des acteurs économiques : il existe aujourd’hui une vraie crainte relative à l’avenir de l’artisanat et du commerce de proximité eu égard aux dispositions présentes dans le texte.
Le deuxième argument que je voudrais évoquer, et qui me fait dire que nous agissons clairement à contre-emploi, c’est que j’ai beaucoup de mal à accepter que ce soit la gauche qui, à travers les dispositions relatives aux zones touristiques internationales, ouvre une brèche en poussant à la banalisation du travail de nuit après vingt et une heures. Auparavant, le travail de nuit ne pouvait se justifier que pour certaines activités particulières. Désormais, avant minuit, il pourra être autorisé dans l’ensemble des commerces de détail de toute une zone. Certes, des protections et un certain nombre de dispositifs ont été prévus pour essayer de protéger au mieux les salariés qui travailleront la nuit. Mais enfin, est-ce vraiment le rôle de la gauche que d’être à l’initiative de cette brèche ? Est-ce vraiment ce projet-là que nous voulons aujourd’hui présenter aux salariés de notre pays ? Encore une fois, cela ne va pas dans le sens des conquêtes sociales que notre majorité de gauche devrait continuer à porter, dans le droit fil de son histoire et des conquêtes passées, comme cela a été dit précédemment par plusieurs collègues.
Troisième argument, je voudrais souligner à quel point les notions de liberté et de volontariat que nous évoquons régulièrement me semblent toutes relatives.
On a parlé de la gauche pragmatique. Pour moi, c’est celle qui sait ce qu’est la réalité sociale, celle qui sait que, face aux pressions des employeurs, aux pressions économiques, qui, on le sait, existeront toujours, la liberté d’un salarié, ou d’une salariée parce que, dans le commerce de détail, 64 % des salariés sont des femmes, et le volontariat ne sont en réalité que des notions relatives. Faisons donc attention à ne pas paraître cyniques quand nous les utilisons.
Pour moi, le rôle de la gauche, c’est de protéger les plus fragiles et les moins armés face aux inégalités qui existent dans le marché du travail, et non de considérer que nous avons fait notre travail parce que, pour les protéger, nous prévoyons la soupape de sécurité du volontariat, qui, encore une fois, est loin de la réalité sociale que vivent grand nombre de salariés de notre pays dans les entreprises.
J’appelle encore une fois l’attention sur ce que nous sommes en train de faire. À mon sens, les dispositions de ce texte concernant l’extension du travail dominical risquent d’accroître encore la défiance de tous ceux qui comptent sur la gauche pour porter à chaque époque de nouvelles conquêtes sociales et non des régressions, fussent-elles encadrées ou aménagées.