Intervention de Laurent Baumel

Séance en hémicycle du 13 février 2015 à 15h00
Croissance activité et égalité des chances économiques — Article 71

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLaurent Baumel :

Avec cet article, monsieur le ministre, nous entrons dans la discussion des aspects de votre loi qui suscitent le plus de controverses dans une partie de la majorité de gauche issue des élections de 2012. C’est en effet sur le travail du dimanche, puis sur le droit du travail, que la philosophie générale qui inspire votre projet nous apparaît comme la plus problématique.

Je ne sais pas si vous accepteriez que l’on qualifie votre loi de libérale, mais, en tout cas, il me semble qu’elle a un fil directeur, votre volonté de vous attaquer à la règle, la règle qui entrave, bride, étouffe, cette espèce de nouvel ennemi sans visage dont il faudrait libérer les Français, les Français qui veulent créer, qui n’ont pas suffisamment de six jours pour consommer leur excédent d’épargne.

Nous qui vous parlons cet après-midi, nous ne sommes pas des fétichistes de la règle. Nous sommes nous aussi des pragmatiques, nous sommes des élus de terrain, nous pouvons nous aussi citer des exemples où l’application bureaucratique de la règle entrave le développement de nos territoires, mais nous sommes ici les représentants et les dépositaires d’une tradition politique, d’un héritage intellectuel, selon lequel la règle dans le domaine du droit du travail a plutôt une valeur positive et protectrice.

Comme cela a été souligné par d’autres collègues, nous sommes des sociaux-démocrates, et, en tant que sociaux-démocrates, nous pensons deux choses.

Nous pensons d’abord que la réforme de l’État-providence n’est possible, n’est souhaitable que si elle contribue effectivement à stimuler l’économie et la production, ce qui ne sera à l’évidence pas le cas de votre loi. Votre texte a probablement le mérite de répondre au critère caractérisant une réforme structurelle tel qu’il est posé par la technocratie bruxelloise, la technocratie libérale, mais, à l’évidence, il ne créera pas des milliers d’emplois sur le territoire français.

Et puis, parce que nous sommes sociaux-démocrates, nous essayons à chaque instant de nous souvenir, d’avoir conscience que, face au pouvoir des détenteurs de capitaux, face à la domination qu’ils exercent sur les salariés – ce n’est pas une image d’Épinal, vous savez très bien que la mondialisation libérale n’a fait qu’exacerber les rapports de forces en faveur du capital – les salariés n’ont comme ressource pour se défendre, outre les combats sociaux et syndicaux qu’ils peuvent mener par eux-mêmes, que la possibilité, grâce au suffrage universel, d’envoyer à l’Assemblée nationale des représentants qui auront à coeur d’inscrire dans la loi des limites, des contraintes que le capitalisme, vous le savez, ne consent jamais de lui-même.

C’est ce principe, qui correspond à notre identité et à notre histoire, que nous défendons cet après-midi. C’est pour cette raison que, dans les heures qui viennent, nous refuserons de renier les garanties que des générations précédentes de législateurs, portés par un combat pluriséculaire d’émancipation, ont voulu inscrire dans la loi, sur le repos dominical, ou sur la protection des salariés face au licenciement, par exemple.

Monsieur le ministre, j’ai lu dans un journal hier que, pour vous, la discussion qui s’engageait opposait les défenseurs de l’intérêt général à ceux qui seraient dans la posture. Je ne sais pas si vous avez réellement tenu ces propos et je vous crois trop respectueux des positions des uns et des autres pour le penser vraiment, mais je vous invite en tout état de cause à prendre au sérieux notre sincérité.

Notre sincérité, c’est celle d’hommes et de femmes qui sont réellement inquiets devant les conséquences qu’a déjà et qu’aura pour la démocratie française le brouillage idéologique des repères auquel ce type de loi contribue ; c’est celle d’hommes et de femmes qui ne résolvent pas à l’idée que le rôle des députés socialistes, c’est de limiter les ardeurs libérales de leur gouvernement en jouant la carte de la moindre casse sociale.

Cette sincérité, c’est celle d’hommes et de femmes qui sont entrés dans l’hémicycle en 2012 avec l’idée de défendre une certaine idée du progrès social, sans imaginer un instant que leur majorité les obligerait un jour à se prononcer sur l’extension du travail du dimanche ou sur des dispositions remettant en cause les protections accordées aux salariés en matière de licenciement, avec l’idée, plutôt, qu’ils pourraient partager l’enthousiasme d’avoir voté une grande réforme fiscale ou réellement lutté contre la finance.

Cette sincérité, c’est celle d’hommes et de femmes engagés depuis longtemps dans le combat socialiste, qui portent en eux une certaine idée de ce que signifie le fait d’être député socialiste, et qui attendent de leur gouvernement, de leur majorité les moyens d’être fiers d’avoir contribué à inscrire dans la législation française non pas de nouveaux reculs sociaux, fussent-ils aménagés, mais de nouveaux progrès sociaux.

Monsieur le ministre, je vous invite à prendre sérieusement en compte cette sincérité et nos convictions. Je pense que c’est l’intérêt du Gouvernement et de notre majorité dans les heures qui viennent.

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