Intervention de Pouria Amirshahi

Séance en hémicycle du 13 février 2015 à 15h00
Croissance activité et égalité des chances économiques — Article 71

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPouria Amirshahi :

D’abord, monsieur le ministre, je suis surpris de devoir discuter d’une disposition que personne ne demandait dans cette majorité, ni les députés du parti socialiste et de tous les partis membres du groupe majoritaire, ni les partis de la gauche, et pour cause. Non seulement ce n’était pas un engagement des campagnes présidentielle ou législatives, mais c’est même une disposition à laquelle, ensemble, nous nous étions opposés en 2006 et en 2009.

Avant d’entrer dans les dispositions techniques de la loi, dont nous parlerons au fur et à mesure des amendements, il est une chose sur laquelle je voudrais appeler votre attention, en tant que ministre de la République.

Lorsque l’on est dans une telle crise démocratique, profonde, on s’interroge, pour reprendre la formule du Premier ministre, sur la portée de la parole publique. Si nous condamnons quelque chose pour le mettre en oeuvre après, si nous mettons nous-mêmes en place ce que nous condamnions, la parole publique devient une langue morte, et il faut faire très attention à ce que cela peut susciter comme frustrations, rancoeurs, résignation, renoncements démocratiques ensuite lors des périodes électorales.

On peut toujours reconnaître, avec raison, l’attention que vous avez portée aux remarques des parlementaires, notamment ceux qui, dans la majorité, ont cherché à minimiser les risques de dérive qui étaient inscrits dans la philosophie initiale du projet que vous aviez présenté, il n’empêche que nous parlons bien de l’extension du travail du dimanche et de l’extension du travail en soirée.

Ce qui était jusqu’à présent exceptionnel, la nuit, devient maintenant banal jusqu’à minuit et, là, mesdames, messieurs de la majorité, cela ne peut être la philosophie, le fil directeur qui nous conduit, ensemble, à dire aux salariés et aux chômeurs de ce pays que nous allons les représenter et leur proposer une solution à la crise économique par ce genre de dispositions.

D’abord, en effet, les personnes les plus concernées sont les plus fragiles, cela a été parfaitement souligné par les intervenants précédents. Ce sont, parmi nos concitoyens, ceux qui ont le moins le choix, ceux qui subissent le travail du dimanche, le travail en soirée, le travail de nuit, ceux-là mêmes, Laurent Baumel vient de le rappeler, que nous avons eu à coeur de représenter ardemment pendant des décennies, relayant les luttes sociales, en leur permettant, de législature de gauche en législature de gauche, de progresser dans la société avec des sécurités collectives – c’est ce que l’on appelle le droit du travail.

Permettez-moi enfin d’insister sur un autre aspect.

On parle beaucoup des travailleurs, à juste titre, et vous avez entendu dans mes propos, ainsi que dans ceux d’autres intervenants, des arguments en leur faveur ; mais il y a aussi des arguments, que je ne comprends pas, en faveur des consommateurs. Il serait plus agréable, plus simple, plus moderne même, pour des citoyens consommateurs, de pouvoir aller consommer à n’importe quel moment de la semaine : ce serait d’une certaine façon une preuve de modernité. J’ai même entendu le Premier ministre vanter à nos amis chinois, lors de son voyage en Chine, l’assouplissement du code du travail et des règles collectives, l’attractivité nouvelle de la France, en expliquant que, désormais, en France, ils pourraient aller au musée ou au cinéma ou se promener le samedi et consommer le dimanche.

Je vous rappelle juste, monsieur le ministre, qu’aujourd’hui, on peut parfaitement consommer le samedi et aller au musée, au théâtre ou au cinéma le dimanche. Si on pouvait préserver un tel modèle, je pense que nous en sortirions renforcés dans un moment particulier pour la France. Au lendemain des événements que nous avons vécus, nous avons sans doute d’autres perspectives à proposer à notre pays qu’une extension qui risque demain, malheureusement, de se généraliser à la faveur d’un autre gouvernement ou d’une autre philosophie politique, avec des risques de précarité, d’aggravation de la fragilité d’un corps social qui doute de plus en plus.

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