Si je suis membre de la commission des affaires économiques, c'est pour y défendre mes conceptions sur l'agro-écologie et je suis fier de présenter les conclusions de mon rapport devant la commission du développement durable, dont je suis les travaux et dont je partage l'esprit.
La mission que m'a confiée le Premier ministre se situait à mi-parcours, soit cinq ans, de la mise en oeuvre de l'engagement 129 du « Grenelle de l'environnement », et à la croisée de la directive 2009128CE du Parlement européen et du Conseil relative à la maîtrise des pesticides. Celle-ci prévoyait, à échéance de cinq ans, une révision du plan ainsi qu'une évaluation des politiques nationales. Le Gouvernement français a procédé, au sein de ses services, à cette évaluation outil par outil ; il a aussi souhaité confier à un parlementaire une mission qui permettrait de dire des choses que l'administration ne pouvait dire sur elle-même.
La France connaît une période de transition de l'État-providence, de l'appareil productif et de l'écologie ; c'est au point de rencontre de ces deux dernières que se situe l'agro-écologie, promue par Stéphane Le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt. « Écophyto » et la gestion des pesticides sont à la pointe de cette démarche, à la fois comme indicateur et comme condition de réussite – car, si ce plan échoue, c'est que l'agro-écologie n'aura été qu'un discours.
Les conclusions ont été présentées il y a deux mois devant le Premier ministre, Mme Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, et M. Stéphane Le Foll. Un comité d'orientation stratégique a avalisé la charpente du rapport, et le Gouvernement a fait siennes la plupart de ses propositions. L'année 2015 a été donnée comme date de départ pour l'agro-écologie.
Le rapport prend acte d'un relatif consensus sur ces questions au sein des différentes familles de pensée représentées au Parlement. Des travaux du Sénat ont abouti à des propositions relatives aux phytovictimes, dont certaines ont été reprises dans la loi d'avenir pour l'agriculture – je pense à la phytovigilance. Un certain nombre de nos collègues ont également travaillé sur ces sujets : Bertrand Pancher ; Antoine Herth, qui avait, à la demande de François Fillon, remis un rapport sur les biotechnologies ; Brigitte Allain, qui a conduit avec moi de nombreuses auditions. Sur tous les bancs, je constate un grand pragmatisme et une relative indulgence envers l'échec de la France à tenir les ambitions affichées par le Grenelle. L'objectif, je le rappelle, était de réduire de 50 %, entre 2008 et 2018, l'usage et la consommation de pesticides dans notre pays.
Où en sommes-nous, cinq ans après ? En 2012, un palier a été atteint, puis, en 2013, une reprise de 9 % de la consommation a été observée, ce qui donne, en moyenne annuelle depuis 2008, de 2 à 3 % d'augmentation. Force est donc d'admettre l'échec. Mais chacun, par-delà les clivages politiques, s'accorde sur le fait qu'il faut chercher à comprendre ce qui n'a pas marché, et reconnaît humblement que les transitions exigent du temps et qu'une volonté ferme est nécessaire pour avancer.
Il convient de souligner tout d'abord que les intuitions des acteurs du Grenelle étaient fondées et qu'elles ont été confortées par la suite des événements. Un rapport de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) a confirmé la corrélation entre l'exposition aux pesticides et le développement de cancers ou de maladies endocriniennes. Cela doit nous conduire à ne pas attendre vingt ans pour protéger toutes les populations exposées à ces produits.
Nous avons ensuite découvert que, si nous nous sommes laissés obséder par les effets des pesticides sur la qualité de l'eau, les études sur l'air sont encore balbutiantes et doivent être approfondies, tandis que la microbiologie des sols demeure largement une terra incognita… (Sourires). Il reste à mettre en évidence comment, à long terme et même à doses d'exposition minimes, les sols sont affectés.
Enfin, l'évolution des marchés européens a montré à quel point ceux-ci sont sensibles à la question des pesticides dans l'alimentation. Coca Cola, par exemple, est plus exigeant dans ses contrats à long terme que les directives européennes elles-mêmes. Cela répond à une demande des consommateurs et nécessite une évolution de nos pratiques de production.
La prise de conscience par les agriculteurs du risque pour eux-mêmes est significative. Ils ont formé, en lien avec l'État, 200 000 personnes à ces questions, dont 95 % d'agriculteurs et 5 % de jardiniers amateurs ou de gestionnaires d'espaces publics. L'ensemble des outils mis en place – bulletin de santé végétal, Certiphyto, fermes Dephy (acronyme de « Démonstration, expérimentation et production de références sur les systèmes économes en phytosanitaires »), etc. – ne pouvait cependant donner de résultats rapides.
Par ailleurs, l'évolution des structures de production agricoles, influencée par la politique agricole commune (PAC) dont le virage agro-environnemental ne date que de 2013, a constitué un facteur d'échec. Nous avons connu deux années où les prix des matières végétales étaient très favorables, ce qui a primé sur toute autre considération, tandis que les conditions climatiques, particulièrement mauvaises au printemps 2013, ont motivé un traitement accru aux pesticides.
Il nous faut donc agir en nous fondant sur des principes. Sur la base de la loi du 6 février 2014 visant à mieux encadrer l'utilisation des produits phytosanitaires sur le territoire national, dite « loi Labbé », et avec l'accord de Mme Ségolène Royal, il convient d'accélérer la mise en oeuvre des interdictions d'utilisation des phytosanitaires dans les espaces publics, en établissant un mémento pédagogique et réglementaire à l'intention des intercommunalités. L'interdiction portera aussi sur la vente en libre-service de ces produits aux jardiniers amateurs. Il s'agit là de mesures immédiates propres à sensibiliser aux risques que représentent ces produits et de préparer leur interdiction future.
Cependant, l'essentiel de notre action doit porter sur l'agriculture, et en particulier sur le blé, le colza, la vigne et l'arboriculture, qui représentent 60 % de l'utilisation des pesticides.
Nous préconisons de maintenir le principe d'une réduction de moitié, en procédant en deux étapes.
Pour les cinq premières années, l'objectif est l'amélioration des usages. Cela consiste à réduire le gaspillage, en utilisant mieux les pesticides, au bon moment, à la bonne dose, avec des règles d'application et du matériel différents. Un accord a été passé avec les instituts de recherche des coopératives, Arvalis-Institut du végétal et InVivo AgroSolutions, et nous discutons encore d'ajustements à la marge avec Orama. Cela doit conduire à une réduction de 20 % de l'usage des produits, tout en conservant nos structures de production, et sans perte de parts de marché.
Nous proposons également de mettre en place une surveillance tous azimuts des impacts : cessons d'être obsédés par la seule qualité de l'eau, quand nous savons que celle de l'air et la microbiologie des sols ne sont pas moins importantes ! Quant à l'alimentation, elle doit faire l'objet de nouveaux indicateurs. Bref, il ne saurait y avoir de politique phytosanitaire qui ne s'inscrive dans un plan global d'agro-écologie : on ne peut pas prendre les problèmes isolément.
L'entreprise doit être au coeur de notre action. Le premier plan Écophyto a privilégié les organismes de développement, de recherche et d'infrastructures, mais c'est au niveau des entreprises, des exploitations, des administrations locales ou encore des jardiniers amateurs, que se prennent les décisions. Nous devons mieux accompagner les décideurs, grâce à des aides et des conseils, et proposer aux deux filières les solutions de nature à favoriser la mise en oeuvre commune des moyens disponibles au niveau territorial. Par ailleurs, le rapport suggère une fiscalité en légère augmentation, mais dont les recettes soient entièrement recyclées au bénéfice de la transition agroécologique.
Notre action s'exercera nécessairement dans un cadre européen, car nos producteurs se trouvent placés dans une situation insupportable. Certains produits qui pénètrent le marché français sont soumis à des règles sanitaires bien moins contraignantes que les nôtres. C'est le cas, en particulier, des importations en provenance de plusieurs pays de l'Union européenne, mais aussi de pays tiers, la Chine notamment, dont certains se livrent à la fraude fiscale aux redevances sur les produits phytopharmaceutiques et à la contrefaçon de molécules. Il nous faut donc lutter pour l'harmonisation des contraintes, ainsi que pour celle des produits, qui ne sont pas les mêmes, par exemple, dans le Nord-Pas-de-Calais et en Belgique. Il y va de notre capacité à concilier transition et maintien de nos chaînes de production.
Pour atteindre la baisse de 20 % ou 25 % qu'il s'agit d'atteindre dans cette première étape, le rapport préconise la mise en oeuvre de mesures déjà connues. Les produits de biocontrôle, qui représentent actuellement de 3 à 5 % de la substitution à l'agrochimie, pourraient voir cette part passer à 10 % ou 15 % à un horizon de cinq à dix ans selon les experts. Le plan Écophyto a par ailleurs largement ignoré la question de l'équipement ; or, dans les vignes, l'utilisation de machines adéquates permet de réduire de 40 % la consommation de produits. Des progrès importants restent également à accomplir dans le domaine de la génétique, s'agissant notamment de la résistance aux produits.
Mais la question essentielle demeure à mes yeux celle de l'allongement des rotations de cultures. Une des causes de notre échec est liée à l'un des traits majeurs de l'évolution de la « ferme France » : l'agrandissement des exploitations, qui s'est souvent accompagnée d'une spécialisation nuisible à la biodiversité. La défense de celle-ci, par exemple à travers les plans « protéines végétales » et « Ambition bio », est une réponse à la dépendance aux pesticides et un moyen de réduire structurellement le poids des biodépresseurs.
Dans la perspective d'une réduction de 50 % d'ici 2020, date de la réforme de la PAC, il est souhaitable que la régulation foncière et la politique d'installation contribuent à garantir cette biodiversité économique, importante pour nos paysages comme pour l'environnement. Je propose même que l'allongement des rotations et la diversité des cultures deviennent un élément d'éco-conditionnalité dans la future PAC, ce qui ne manquera toutefois pas de se heurter aux intérêts de certains bassins de production. Je demande également l'harmonisation des normes européennes : en arboriculture et viticulture, les doses d'homologation sont actuellement liées à la surface cadastrale, alors que seule la surface foliaire est pertinente. Un outil informatique d'aide à la décision permettrait de calculer le taux de conversion et de réduire d'autant l'impact sur l'eau et les sols.
Je n'énumérerai pas les 68 préconisations du rapport, et me bornerai à en citer encore deux en guise de conclusion. La première est que soit nommé un délégué interministériel, coordonnant l'action des ministères de l'agriculture et de l'écologie, et ayant autorité sur les programmes afin de mieux utiliser les ressources, très importantes, des agences de l'eau. La seconde est que les nouvelles régions soient l'échelon retenu pour la mise en oeuvre de ces mesures, afin que celles-ci s'articulent bien avec les actions relevant des fonds européens.