Élargir la CSPE entraînerait un certain nombre de déséquilibres. Tout d'abord, cela enverrait un signal favorable au chauffage électrique qui sollicite des moyens de production fortement émetteurs de CO2, sans parler des tensions que ce mode de chauffage fait peser sur la sécurité électrique en période de pointe.
Cela reviendrait, ensuite, à opérer un transfert de charges vers des consommateurs souvent proches du seuil de précarité, voire précaires. Ces consommateurs verraient leur facture augmenter d'environ 10 %, ce qui, pour un consommateur de gaz, représenterait à peu près 111 euros par an, et cette augmentation serait loin d'être compensée par une baisse de leur facture d'électricité.
Élargir la CSPE aurait en outre pour effet de renchérir le prix du gaz pour le consommateur final, à tel point qu'il deviendrait impossible à celui-ci de supporter les surcoûts liés au développement des filières du biogaz et du biométhane, alors même que le coût rapporté à la tonne de CO2 évitée est beaucoup plus compétitif que dans le cas de l'éolien ou du photovoltaïque.
Cela conduirait par ailleurs à intégrer les actions de transition énergétique ou de solidarité que les filières du fioul et du gaz assument actuellement dans une sorte de « CSPE énergie ». Un tel dispositif serait antiéconomique dans la mesure où il ferait supporter aux consommateurs les coûts d'une énergie qu'ils ne consomment pas forcément. La rationalité économique impose, selon nous, que chaque énergie identifie précisément les coûts qu'elle supporte et les assume totalement.
Élargir la CSPE ne manquerait pas non plus d'être perçu comme un dispositif favorisant les subventions croisées, prohibées par le droit européen de la concurrence.
En conclusion, la CSPE est un dispositif pertinent dans sa forme et son périmètre actuels, cantonnée au secteur électrique. En revanche, un changement d'assiette ne saurait être une solution appropriée, son élargissement au fioul et au gaz étant non seulement antiéconomique mais aussi, et surtout, antisocial et anti-environnemental.
Si des éléments de réforme devaient être envisagés par votre Commission, il conviendrait selon nous qu'ils soient limités. Comme le rappelle la CRE, si des dérives sont identifiées, elles résultent du fait, je cite, que « …la compensation de certains frais déclarés n'est pas prévue par les textes réglementaires » et que « … certains frais ne relèvent pas d'une gestion efficiente et au meilleur coût ». S'il vous paraît nécessaire de stabiliser le montant de la CSPE, cela doit conduire à chercher à maîtriser le coût de développement des énergies renouvelables. La Cour des comptes indique que la situation actuelle engendre un écart croissant entre le coût réel du système payé par le consommateur et le prix de marché.
Cette maîtrise des coûts doit reposer sur des outils qui permettront de rendre le dispositif existant plus efficace, dans le respect des lignes directrices européennes. Un certain nombre de pistes sont d'ores et déjà envisagées dans le cadre de la loi de transition énergétique : la programmation pluriannuelle de l'énergie, qui permettra d'éclairer le coût des différentes technologies de production d'énergie renouvelable et d'ajuster les trajectoires en cas de dérive des coûts, la mise en place d'un comité de gestion de la CSPE et la prochaine évolution des mécanismes de soutien qui seront mis en oeuvre par le Gouvernement. L'obligation d'achat de l'électricité produite par les énergies renouvelables mais aussi la compensation intégrale du surcoût paraissent également susceptibles de faire l'objet d'une réflexion.
Enfin, une réforme devrait s'appliquer au seul secteur électrique et conduire à une solution sûre et simple au plan juridique. Une réforme de la CSPE doit prendre en compte le droit européen. La CSPE est une aide d'État. Elle a été déclarée partiellement compatible avec le droit communautaire, le 27 mars dernier, pour une durée de dix ans. L'élargir au fioul et au gaz nécessiterait une nouvelle notification à la Commission européenne, une modification ne pouvant entrer en application qu'après avoir reçu l'aval des autorités communautaires. Un élargissement de son assiette renforcerait le caractère d'aide d'État de la CSPE en constituant une modification substantielle du régime existant. On peut penser que la Commission européenne ne manquerait pas alors, sous la pression éventuelle des acteurs, d'examiner à nouveau l'ensemble du mécanisme, avec le risque d'une remise en cause des dépenses autres que celles induites par les énergies renouvelables.
De même, pour être conforme à la Constitution, une réforme de la CSPE devra reposer sur des critères objectifs et rationnels. La différence de situation entre, d'une part, l'électricité et, d'autre part, le gaz et le pétrole, est objective ; une différence de traitement est donc parfaitement justifiée. La jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la taxe carbone pourrait le conduire à valider la non-soumission du secteur du gaz et du pétrole à la CSPE, et cette soumission pourrait être considérée non conforme à la Constitution.
Présidence de M. Hervé Gaymard, président de la Commission d'enquête