Je suis gêné par cette espèce de quiproquo qu'il y a sur le terme d'élevage. Il n'y a rien de commun entre un troupeau de vaches allaitantes dans le Jura ou dans le Limousin, et une usine de 5 000 cochons ou de 10 000 volailles en Bretagne. Les élevages hors-sol industrialisés sont quasiment insoutenables d'un point de vue environnemental. Je tenais à apporter cette précision car on utilise souvent les qualités d'un type d'élevage pour défendre l'autre, ce qui est dangereux.
Le lien au sol sur lequel j'ai insisté tout à l'heure signifie qu'il faut déconcentrer l'élevage et le réimplanter dans toutes les régions. Il y a des excédents d'azote en Bretagne dont on ne sait que faire, et des terrains dans le Bassin parisien qui sont en train de perdre leur humus et donc leurs qualités agronomiques. Il va falloir résoudre ce problème. Il y va de notre responsabilité à l'égard des générations futures. La déspécialisation et la diversification des régions sont importantes.
Arnaud Gauffier a très bien présenté la problématique de la PAC. France Nature Environnement a commencé à travailler sur la nouvelle PAC dès 2007. Nous étions partis du constat qu'en tant que politique publique, la PAC devait financer les prestations d'intérêt général des agriculteurs globalement, c'est-à-dire de ceux qui cultivent et de ceux qui élèvent. Les premières positions du Parlement allaient dans ce sens. Mais au final, la PAC ne ressemble à rien du tout parce que les égoïsmes nationaux se sont manifestés, notamment au Parlement, et l'on a abouti à une juxtaposition de politiques nationales. En matière de diversification, par exemple, on a réussi ce coup de maître d'accepter qu'une exploitation ne puisse avoir que deux cultures sur 95 % de la SAU.
Je suis tout à fait d'accord pour dire que l'élevage lié au sol ne fonctionne pas, que les revenus ne suivent pas, et que l'obsession des jeunes qui s'installent est de basculer de la polyculture élevage vers la culture. On voit bien quelles sont les contraintes d'un élevage lié au sol : il faut être présent chaque jour, gérer un troupeau, etc. Je ne dis pas que la culture soit facile, mais elle laisse davantage de souplesse dans l'emploi du temps et des revenus sans commune mesure.
Soit les politiques publiques visent à maintenir un élevage lié au sol dans toutes les régions et s'en donnent les moyens, soit elles se contentent de ces incantations que nous allons encore entendre pendant le salon de l'agriculture, sans que les décisions suivent. Si, d'un côté, on ne cesse de dire que l'on veut préserver l'élevage tandis que, de l'autre, dans la restauration collective, par exemple, on rechigne à faire le choix d'acheter des produits locaux de qualité, on n'aura rien gagné. Il faut mettre en accord les actes avec les discours. La PAC ne fait rien pour les prairies, elles ne sont pas protégées. Il était prévu de les cartographier, et voici que, finalement, on ne va retenir qu'une partie de celles de Natura 2000, tandis que les autres devront se contenter du fameux ratio régional qui, autant que l'on sache, n'a pas préservé nos prairies jusqu'à présent. Disons les choses clairement : les surfaces de prairies diminuent, ce qui veut dire que le stockage de carbone dans les prairies diminue aussi.
Il y a un consensus national autour de l'agriculture et de l'élevage. Pourtant, les décisions ne suivent pas. Il faut prendre des décisions plutôt que de continuer à constater les dégâts.
S'agissant de la méthanisation, on ne peut pas aller vers le modèle allemand, car il met en place des méthaniseurs alimentés par des cultures dédiées. Ces élevages ont tendance à voir les revenus de la revente du gaz comme un revenu principal, les produits de l'élevage étant des revenus secondaires. Cela ne ressemble pas à notre modèle français d'agriculture. Mais je suis d'accord pour que les méthaniseurs résorbent une partie des excédents d'azote, même si cela ne peut être qu'un moyen très partiel.
En ce qui concerne les échanges, on ne peut pas dire que notre élevage doive répondre à des exigences de qualité et respecter des normes, et importer d'Amérique du Nord de la viande et des cultures pour alimenter nos élevages hors-sol. Il ne s'agit pas de fermer nos frontières, mais de réguler nos échanges en nous fondant sur des critères environnementaux et sociaux, sans quoi ce sera la foire d'empoigne au niveau mondial et, comme toujours, ce sont les plus faibles qui trinqueront. Nous voyons bien aujourd'hui que l'élevage hors-sol subit les conséquences de niveaux de salaires beaucoup plus bas en Europe de l'Est et en Allemagne que dans notre pays. Ce n'est pas normal. On ne peut pas travailler dans ces conditions. C'est la prime au brigand, à l'augmentation des exploitations, à l'industrialisation de l'élevage.
À chaque fois que l'on va vers l'industrialisation de l'élevage, on le fragilise et on rend la défense de l'agriculture beaucoup plus difficile. Il ne faut jamais oublier que l'élevage comme l'agriculture travaillent sur le vivant. Une vache, c'est très différent d'une machine à laver ou d'un fauteuil, ce n'est pas un produit industriel. Notre civilisation est basée aussi et surtout sur l'éthique, et nous devons en tenir compte. Il est dangereux de considérer un animal seulement comme une masse de viande.