Intervention de Général Pierre de Villiers

Réunion du 10 février 2015 à 17h15
Commission des affaires étrangères

Général Pierre de Villiers, chef d'état-major des armées :

Les armées ont effectivement un rôle important à jouer en matière de cohésion sociale. Chaque année, nous redonnons à la société 20 000 jeunes que nous avons formés, dont certains étaient au départ en difficulté et se sont comportés comme de vrais héros. C'est dans cet esprit qu'avec le ministre de la défense nous avons proposé au Président de la République, l'instauration d'une expérimentation sur le service militaire adapté (SMA) d'outre-mer en métropole pour cette catégorie de jeunes refusant les dispositifs socio-éducatifs actuels et que seule l'armée peut peut-être contribuer à remettre dans le droit chemin. Nous sommes en effet un véritable exemple d'ascenseur social : plus de 50 % de nos sous-officiers proviennent des militaires du rang et on peut s'engager comme simple soldat et terminer général de brigade.

Nous avons un groupe de travail « modèle ressources humaines » (RH) dans le cadre de la transformation des armées. C'est un grand chantier et les hommes sont au coeur de mes préoccupations. Si les armées sont ce qu'elles sont, c'est parce que nous avons le souci des hommes et des femmes qui y travaillent. Notre démarche vise à dynamiser les parcours en favorisant les départs de l'institution à plusieurs moments de la carrière. Ceci permettra de dépyramider le système et améliorer ainsi la cohérence entre le grade, la responsabilité et la rémunération.

Madama est une base isolée, qui n'est pas achevée. La base incarne la présence française aux côtés des Nigériens face à la frontière libyenne. Nous avons fait des opérations conjointes avec nos amis tchadiens et nigériens, telle que l'opération Mangouste entre Noël et le nouvel an, qui nous a permis d'intercepter deux tonnes de drogue et de montrer notre présence pour perturber les terroristes. La base devrait aussi nous apporter beaucoup en termes de renseignement et de capacité d'action. Je suis très vigilant sur les rapports de forces.

Concernant Boko Haram, s'il s'agit d'une préoccupation incontestable, mon front est au nord, sur la BSS, depuis la Mauritanie jusqu'au Tchad. Mais mes alliés nigériens et tchadiens ne comprendraient pas que je ne m'occupe pas du sud. Si cette zone est davantage dans la sphère d'influence des Américains et des Britanniques, nous sommes, avec la cellule de coordination et de liaison, chargés de mieux faire travailler ensemble les forces. La solution est la force africaine annoncée sous l'égide de l'Union africaine, à laquelle nous pouvons apporter soutien et conseil. Les forces tchado-nigériennes se heurtent à de violentes résistances, Boko Haram étant d'une violence inouïe et agissant comme Daech. Le problème est avant tout politique : il faut que la communauté internationale s'engage et que l'on soutienne cette force africaine pour régler le problème.

Face à Daech, nous ne gagnerons pas la guerre uniquement par des bombardements aériens. Je suis persuadé que nous triompherons, car nous disposons d'une coalition de 30 pays bien organisés, mais avec des actions au sol menées par les forces locales. Il nous faut le temps de les reconditionner et de les rééquiper. Cela va assez vite du côté des peshmergas, plus lentement du côté des forces de sécurité irakiennes, mais des centres de formations dirigés par les Américains se mettent en place. Je rappelle que la coalition est à 90 % américaine. L'état-major de la coalition au Koweït sera composé d'un millier d'Américains alors que nous y serons dix à quinze.

Nous bombardons Daech. Nous l'avons empêché de mener une offensive tactique, de continuer à avancer vers Erbil et Bagdad et de faire tomber Kobané, mais, je le répète, il faut des offensives terrestres au sol, sachant que ce combat sera long et difficile.

Quant à l'Algérie, elle est un pays clé pour toute la BSS. Nous ne ferons rien avancer en Libye sans elle. Il en est de même s'agissant du problème des Touaregs. C'est la raison pour laquelle je me suis rendu dans à Alger voir mon homologue. Nous avons amélioré notre coopération en termes de renseignement. Concernant les sociétés de projets, je suis favorable à ce que ce montage soit étudié jusqu'au bout. A ce stade, je n'ai pas de plan B. Mon problème est d'avoir les 31,4 milliards d'euros pour mener à bien mes missions, et ce, avant le 1er juillet, pour pouvoir les dépenser. En outre je souhaite être associé au choix des équipements, que cela ne me limite pas en termes d'opérations et que les conditions financières soient prises en compte dans la LPM. Mais je n'ai pas les compétences pour examiner la question des sociétés de projets, qui est complexe : je fais confiance aux experts et aux autorités politiques. Il me faudra en tout cas les 2,3 milliards d'euros de ressources exceptionnelles. Je suis très confiant et serein compte tenu de ce qu'a décidé le Président de la République.

Si nous menons la guerre contre le terrorisme, elle relève d'abord du ministère de l'intérieur sur le territoire national, où j'apporte une force de protection supplémentaire pour rassurer les Français et accroître la capacité de garde des points sensibles.

Le Président de la République a fixé le contrat protection à 10 000 hommes pendant quatre semaines pour la période 2015-2019. Nous sommes en train de faire les relèves et adoptons un dispositif plus mobile, moins vulnérable et plus efficace en diminuant progressivement notre empreinte au sol, sachant qu'on ne peut relever 10 000 hommes aujourd'hui, sauf à aller en chercher en OPEX ou à rallonger les séjours dans ces opérations au-delà des délais prévus – ce que le Président, à raison, ne souhaite pas. Nous jouons sur les marges en termes de formation et d'entraînement pour récupérer tous les personnels disponibles. Les soldats relevés auront été dans l'ensemble mobilisés entre quatre et six semaines. Je rappelle que c'est parce que j'ai précisé au Président que je ne serais pas en mesure dans deux ans de lever 10 000 hommes qu'il a réduit et lissé la déflation.

Le contrat prévoit par ailleurs que si le Président le décide, nous devons être capables de remonter immédiatement en puissance à 10 000 hommes.

Quant à l'armée malienne, elle est en cours de formation : on a formé six bataillons en quelques semaines avec le dispositif EUTM. Mais il lui faudra du temps pour pouvoir faire face à des terroristes aguerris. Par ailleurs, nous menons des opérations conjointes très efficaces avec nos partenaires africains dans le cadre du G5 Sahel, notamment sur les frontières, où les terroristes se mettent à l'abri. Si nous avons neutralisé 200 terroristes et récupéré des tonnes d'équipements, de munitions et de matériel sensible, c'est parce que nous travaillons avec les armées et la population locales.

Derrière le dossier syro-irakien, il y a deux acteurs, que sont la Russie et l'Iran. C'est pour cela qu'il y a un lien entre le flanc est, avec le dossier ukrainien, et le flanc sud, avec le terrorisme international de Daech notamment. Mais la situation est compliquée, entre les chiites, les sunnites et, au sein de ces derniers, les modérés et les autres. Il faut regarder la scène, mais aussi ce qui se passe derrière pour comprendre les ballets diplomatiques, sachant qu'il y a aussi un risque, au sein de l'OTAN, d'une coupure entre les pays du sud et ceux de l'est. Il faut donc être vigilant pour préserver l'alliance actuelle ; la France a un rôle singulier à jouer entre ces deux flancs.

S'agissant de la mer de Chine, pour m'être rendu dans ce pays à la demande du Président de la République, je pense que l'avenir du monde va se jouer en partie dans cette zone. Mais les 31,4 milliards du Livre blanc limitent nos capacités pour y être présents. La France est réclamée dans tous les pays de la région et nous avons une carte à jouer vis-à-vis de la Chine.

S'agissant du conflit ukrainien, je ne me place pas dans un rapport de force militaire avec la Russie et me refuse à imaginer qu'il y ait un conflit entre l'OTAN et ce pays, qui serait désastreux, d'autant que ce dernier dispose de l'arme nucléaire. La position du Président de la République, qui est très actif sur ce dossier, est la désescalade et j'espère que les voies diplomatiques vont prévaloir, que le bon sens va l'emporter et que l'on va pouvoir trouver une solution acceptable pour les deux parties. Dans le cadre des mesures de réassurance de l'OTAN, nous avons projeté quatre Rafale en Pologne, mis des bâtiments, renforcé l'état-major de planification et nous allons avoir un exercice avec un sous-groupement blindé mécanisé et des chars Leclerc au printemps dans ce pays. Mais la solution n'est pas militaire et la désescalade me paraît être la seule voie possible.

Sur la stratégie globale, il nous faut continuer à progresser. Au Levant, la question est de savoir quelle stratégie globale nous avons et quel effet final nous recherchons, ce qui suppose d'intégrer l'ensemble des facteurs, à savoir, outre le facteur militaire, la solution politique, la gouvernance choisie ainsi que les instruments retenus à cet effet. Si on a gagné militairement en Libye, on n'y a pas forcément gagné la paix.

Je pense aussi que les armées sont de plus en plus populaires et que les Français ressentent un besoin nouveau de protection, ce dont je ne peux que me réjouir. Je ne peux qu'être satisfait également que l'on envisage une augmentation de ce budget car, par rapport à ce que prévoyait le Livre blanc, les facteurs stratégiques tendent tous à la hausse.

La guerre hybride est un concept otanien, que nous connaissons bien. Il fait allusion aux facteurs psychologiques et à la cyberdéfense, que nous intégrons, sachant que dans ce dernier domaine, la France est dans le peloton de tête mondial.

Il y a parfois une confusion entre la réassurance face à l'Ukraine et la force de réaction rapide de l'OTAN. Nous souhaitions au départ, au comité militaire, avec mes collègues américain et britannique, qu'on organise mieux l'OTAN face au facteur clé qu'est le temps. Les crises exigent une réaction rapide. Notre système de NRF et de bataillon d'alerte n'est pas totalement adapté. D'où la création de la force de réaction très rapide. Nous avons dit que la France serait une nation cadre en 2020 pour cette force, sous certaines conditions, notamment que ce soit sous enveloppe du budget de l'OTAN et qu'on nous laisse organiser notre système de commandement. Aujourd'hui, nous commandons 3 500 hommes dans l'opération Barkhane sur 4 000 kilomètres de front avec 120 personnes : on n'a donc pas besoin d'états-majors en comportant 500 ou 1 000 !

S'agissant de Sangaris, nous sommes intervenus pour éviter un désastre humanitaire et avons dit que nous serions une force de transition avant l'arrivée de la force internationale. Nous sommes aujourd'hui dans une phase de descente en puissance progressive de notre dispositif au fur et à mesure de la montée en puissance de la MINUSCA. De 2 000 hommes, nous allons passer à 1 700 fin mars. Et nous continuerons à réduire notre dispositif si cette force est capable de prendre le relais, zone par zone. Mais nous garderons une force de réaction rapide en toute hypothèse, avec des hélicoptères, Tigre notamment, qui nous ont permis la semaine dernière d'arrêter une offensive. En tout cas, la MINUSCA monte en puissance et fait preuve d'une certaine réactivité. Le problème maintenant est politique : il faut une gouvernance stable, des élections et que petit à petit la paix s'instaure. Le passage de relais se présente plutôt bien à ce stade, même si la situation reste extrêmement fragile – nous avons d'ailleurs encore eu aujourd'hui un accrochage violent.

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