Intervention de Pierre-René Lemas

Réunion du 12 février 2015 à 11h00
Mission d'information commune sur la banque publique d'investissement, bpifrance

Pierre-René Lemas, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations :

Je me présente à vous à double titre : d'une part, en tant que directeur général de la Caisse des dépôts, dont Bpifrance est la première filiale – elle est détenue à parité par l'État et la CDC –, d'autre part, en tant que président de l'exécutif du conseil d'administration de Bpifrance, une fonction qui me conduit à diriger les débats de son conseil d'administration et à être le gardien de certaines de ses prérogatives, notamment pour ce qui est de l'approbation de la stratégie de son budget et de l'arrêté des comptes.

Je veux souligner en préambule la réussite que constitue, dix-huit mois après sa naissance juridique en juillet 2013, la création effective de Bpifrance. L'idée était de rassembler en une même structure – une banque publique d'investissement – les principaux outils d'intervention publique en matière d'entreprise. Cela n'allait pas de soi, car chacun de ces outils pris séparément avait sa propre histoire et sa trajectoire, qu'il s'agisse d'Oséo, reconnu comme un outil de financement efficace, des filiales d'investissement en fonds propres de la Caisse des dépôts telles que CDC Entreprises – dédiée depuis près de vingt ans aux « petits tickets » de capital-investissement, ou fonds de fonds –, ou du FSI, créé plus récemment et intervenu dans plusieurs grosses opérations au cours des dernières années. Toutes ces entités avaient leur propre légitimité et ont fait preuve, dans la durée, d'une efficacité reconnue.

Je veux en profiter pour faire une incise. Parmi les trois structures essentielles ayant donné naissance à Bpifrance, il en est une qui se trouve sous les feux de l'actualité depuis hier : je veux parler de CDC Entreprises, qui a fait l'objet d'observations assez sévères de la part de la Cour des comptes dans le rapport que celle-ci a présenté au Parlement. Il s'agit d'une affaire remontant à 2007 et concernant l'attribution d'actions gratuites au personnel de cette filiale de la Caisse des dépôts, dans le cadre d'un mécanisme de type actionnariat salarié, introduit dans une filiale à 100 % de la Caisse des dépôts – c'est sans doute cet élément-là qui mérite que l'on s'y attarde.

La construction juridique du dispositif est sans doute solide, mais les dérives auxquelles on a pu assister sont inacceptables. De ce point de vue, la Cour des comptes a formulé un certain nombre de recommandations, que la Caisse des dépôts va suivre et qu'elle a d'ailleurs assez largement anticipées. Nommé à mon poste en mai 2014, j'ai souhaité engager une réorganisation de la Caisse des dépôts, qui s'est d'ores et déjà traduite par la création d'une direction des ressources humaines du groupe – et non plus seulement de l'établissement public –, assurant la mise en cohérence de l'ensemble des politiques de personnel du groupe Caisse des dépôts.

J'ai également renforcé les fonctions de pilotage des filiales de la Caisse des dépôts, ce qui m'a amené à prendre la décision de supprimer un certain nombre de filiales – celles dont l'autonomie n'est pas justifiée – pour les internaliser au sein de l'établissement public : c'est une politique que j'ai l'intention de continuer tout au long de l'année qui vient, et qui va permettre à la fois de réaliser des économies d'échelle et de mettre en cohérence les politiques, notamment en matière d'investissement.

Toujours en ce qui concerne la gestion des personnels, j'ai demandé à la direction des ressources humaines d'engager un recensement exhaustif des rémunérations des cadres dirigeants du groupe, quel que soit leur statut – comme vous le savez, le groupe comprend d'une part des salariés de droit privé, d'autre part des agents de droit public ou des fonctionnaires, qui ont des statuts juridiques et salariaux différents –, et demandé que l'on élabore un référentiel des rémunérations, notamment des cadres dirigeants, qui soit cohérent avec les missions d'intérêt général de la Caisse des dépôts.

J'ai naturellement confirmé à mon arrivée les décisions prises par mon prédécesseur : je pense notamment à la suppression de toutes les formules de stock-options qui existaient dans certaines des filiales de la Caisse des dépôts, ou encore au respect strict de la règle de plafonnement des rémunérations fixée par une loi de 2012, qui devait nécessairement s'appliquer à la Caisse des dépôts. Je serai sans doute amené, dans les semaines qui viennent, à prendre d'autres décisions résultant du travail déjà engagé.

En ce qui concerne le travail commun des trois filiales, l'objectif de la BPI était de retrouver un élan au service du développement économique et de l'intérêt général, tout en préservant le succès de ce qui avait été engagé précédemment. Le choix fait à l'époque a consisté à renverser le prisme, c'est-à-dire à partir des clients plutôt que des institutions, et à considérer que, du point de vue des entreprises, la mise en place d'un guichet unique, venant se substituer aux anciennes entités, avait du sens. Évidemment, les métiers du financement et de l'investissement sont bien distincts, mais le pari qui a été fait de les rassembler – un pari que l'on peut aujourd'hui estimer réussi – avait pour objectif de créer des synergies et surtout d'offrir une plus grande lisibilité aux entrepreneurs sur la gamme des outils dont ils disposent. Il s'agissait donc de créer une dynamique contribuant à la relance de l'investissement et de la croissance.

Le bilan 2014 présente une activité en hausse pour tous les métiers de Bpifrance, et la création d'une dynamique qui semble très encourageante : plus 35 % pour les prêts de développement, un décollage du préfinancement du CICE largement dû à l'action de la BPI – avec un doublement des engagements –, un milliard d'euros pour le financement de l'innovation, soit plus 40 % par rapport à 2013, et une progression de 73 % du pôle investissement – ce qui représente actuellement 154 millions d'euros investis en direct dans les PME, 500 millions d'euros dans les entreprises de taille intermédiaire (ETI) et les grandes entreprises, et environ 800 millions d'euros dans les fonds de capital-investissement. Le lancement du fonds Large Venture, dédié à des opérations de capital-risque, est également un succès.

Enfin, je me félicite de la signature de dix-sept conventions-cadres avec les régions. C'est l'un des aspects que j'ai souhaité donner à l'action de la Caisse des dépôts, consistant à être plus présente dans sa dimension territoriale, en partant de l'idée simple que le développement, l'initiative, l'action économique et les entreprises ne se font pas hors sol, mais d'abord sur les territoires, et que la dimension territoriale des activités de la Caisse en général, et de Bpifrance en particulier, est une priorité très forte. Un effort considérable a été accompli en ce sens par les antennes de Bpifrance, qui se sont mobilisées. Je suis persuadé que la proximité est l'une des clés de la réussite, et j'insiste beaucoup, dans les fonctions qui sont les miennes, pour que les décisions soient prises au niveau territorial aussi souvent que possible – c'est le cas pour 90 % d'entre elles à l'heure actuelle –, car c'est en étant près des entreprises que nous sommes efficaces : l'écosystème est d'abord local.

Rien de tout cela n'aurait été possible sans la construction de Bpifrance, qui s'est faite entre 2012 et 2013 avec beaucoup de dynamisme – j'en profite pour rendre hommage aux équipes qui s'en sont chargées. La culture commune du groupe s'articule autour d'une doctrine d'intervention, communiquée au Parlement, qui n'a pas été créée ex nihilo, mais s'inspire des cadres d'intervention des entités constitutives de Bpifrance. Il était important de disposer d'entrée de jeu de ce cadre d'intervention, à la fois pour montrer le cap et pour assurer une certaine protection contribuant à asseoir la légitimité et la crédibilité de place de Bpifrance. À mon sens, cela permet aussi et surtout d'expliquer aux entreprises sollicitant Bpifrance quelles sont les raisons sous-jacentes des réponses qui leur sont faites. Enfin, l'intérêt de se fonder sur une doctrine est aussi de garantir, aux yeux des institutions européennes, que Bpifrance se comporte en investisseur avisé.

De ce point de vue, je sais que la règle de cofinancement « un pour un » que nous appliquons actuellement peut susciter des interrogations, mais je veux souligner que cette règle est plus souple que celle qui prévalait antérieurement, puisque les financements privés exigés par Oséo pour octroyer un prêt représentaient souvent deux fois leur montant et non leur simple équivalent – c'était la règle du « deux pour un ». De plus, en cette phase de lancement, il est important de montrer à Bruxelles que nous intervenons en accompagnant un partenaire privé.

Pour ce qui est de la gouvernance, Bpifrance est détenue à 50 % chacun par l'État et la Caisse des Dépôts. Sa création s'est accompagnée d'un pacte d'actionnaires dont les principaux éléments ont été portés à la connaissance du Parlement comme le prévoit l'article 12 de la loi créant la BPI. Ce pacte fixe les grandes lignes des relations entre la Caisse des dépôts et l'État – en pratique, l'Agence des participations de l'État (APE). Nous avons fait le choix de voir la Caisse des dépôts disposer d'une prépondérance dans les métiers qu'elle exerçait précédemment, c'est-à-dire dans les instances de gouvernance de la branche investissement de Bpifrance ; cette branche réunit régulièrement des comités d'investissement auxquels le président Emmanuelli assiste en tant qu'observateur. En pratique, les échanges entre actionnaires – l'APE, la direction du Trésor et l'équipe de la Caisse des dépôts chargée des finances, dirigée par Franck Silvent – sont quasi quotidiens.

Quelle est la place de Bpifrance dans le groupe Caisse des dépôts ? J'ai fait en arrivant le choix de prendre la présidence du conseil d'administration de Bpifrance, considérant que celle-ci était la première filiale de la Caisse des dépôts, dont elle mobilise près de la moitié des fonds propres. Ceci explique que Bpifrance ait obtenu une place majoritaire dans la branche investissement de la Caisse des dépôts – à laquelle elle est intégrée en transparence, ce qui permet de disposer d'une vision précise des activités et des investissements de la Caisse et de Bpifrance – et que cette branche soit soumise au modèle prudentiel spécifique de la Caisse des dépôts.

Nous échangeons actuellement avec les services de l'État sur la question des dividendes versés par Bpifrance qui, de notre point de vue, doivent être portés à un niveau normatif pour montrer à Bruxelles que nous versons des dividendes comme le font toutes les banques : si le capital n'était pas rémunéré, nous risquerions d'être considérés comme « hors marché ». J'estime que ce dividende a vocation à sécuriser les dotations de l'État au service de l'innovation – ce que nous souhaitons – et doit permettre à la Caisse des dépôts, qui, faute d'actionnaires, est aujourd'hui la seule institution financière européenne à ne pas avoir bénéficié d'une augmentation de ses fonds propres, de renforcer sa capacité à investir dans ses missions d'intérêt général.

Plus largement, Bpifrance partage les mêmes valeurs que la Caisse des dépôts, à savoir la défense de l'intérêt général et l'appui des politiques publiques, mais c'est une banque – non pas une banque comme les autres, mais une banque publique dont le rôle est de prêter de l'argent aux entreprises auxquelles le marché bancaire ou les autres investisseurs seuls ne donneraient pas nécessairement leur chance.

Enfin, j'estime que la BPI doit s'intégrer dans la dynamique que je souhaite donner à la Caisse des dépôts, et que j'avais exposée devant les commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat. Mes priorités pour la Caisse des dépôts sont l'investissement, l'appui aux territoires – sur lequel nous devons encore progresser – et la thématique des transitions – numérique, énergétique et environnementale. Bpifrance assume son rôle de banque publique dans tous ces domaines, mais je souhaite qu'elle s'intègre davantage dans les stratégies de la Caisse des dépôts. Ainsi, dans le cadre de la réorganisation en cours, nous sommes en train de créer une nouvelle direction de l'investissement afin de rassembler tous les moyens d'investissement sur les projets de la Caisse des dépôts, ce qui est tout à fait cohérent avec la mobilisation de la BPI sur les petites et moyennes entreprises ; un lien de travail quotidien a été mis en place à cet effet.

J'ai souhaité que la Caisse des dépôts et la BPI travaillent de manière conjointe sur le thème de l'international et des affaires européennes, notamment sur le plan Juncker. Nous avons donc organisé des réunions de travail en Allemagne, en Italie et auprès des instances communautaires, que ce soit auprès des directions générales ou du commissaire Katainen, et nous espérons bien rencontrer prochainement le président Juncker. Nous avons plusieurs idées communes, à commencer par celle voulant que nous ayons intérêt à démultiplier la force de frappe de nos capacités d'initiative. Par ailleurs, nous avons l'intention, en ce qui concerne les projets – essentiellement pour la Caisse des dépôts – comme en ce qui concerne les entreprises – plutôt pour la BPI –, de pousser les feux d'un mécanisme de cofinancement et de co-investissement. Cela signifie que nous ne souhaitons pas entrer directement dans un fonds européen de garantie qui, avec la Banque européenne d'investissement (BEI), assurerait la gestion de l'ensemble des projets provenant des vingt-huit pays de l'Union européenne : nous préférerions un système plus simple de co-investissement, soit au moyen de véhicules dédiés à vocation bilatérale ou multilatérale, tel le fonds Marguerite, soit au moyen de projets.

Enfin, il nous semble que nous pouvons gagner beaucoup de temps, d'énergie et d'efficacité en nous appuyant sur les réseaux dont nous disposons déjà – les directions régionales et interrégionales de la Caisse des dépôts, ainsi que les agences de la BPI, qui connaissent bien le tissu industriel – et sur leur expérience plutôt qu'en créant de nouveaux réseaux européens. Avec nos collègues allemands de la Kreditanstalt für Wiederaufbau (KfW), nos collègues italiens de la Cassa Depositi e Prestiti et nos collègues espagnols de la Caja General de Depósitos y Consignaciones, nous défendons auprès de la Commission européenne une position qui nous paraît de bon sens, selon laquelle investir dans des projets suppose que l'Union européenne accepte que les investisseurs institutionnels que nous sommes puissent bénéficier du même type de garanties que celles accordées à la Banque européenne d'investissement – notamment la garantie de première perte –, travailler en s'appuyant sur des véhicules dédiés par projet ou par type de projets et mettre à disposition de l'Union européenne leurs réseaux respectifs. Un tel dispositif nous paraît plus simple que celui envisagé actuellement, dont la mise en oeuvre se traduirait par le recrutement de personnels au niveau de l'Union européenne afin de recréer des niveaux d'instruction des projets au niveau communautaire.

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