Intervention de Pierre-René Lemas

Réunion du 12 février 2015 à 11h00
Mission d'information commune sur la banque publique d'investissement, bpifrance

Pierre-René Lemas, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations :

Il faut reconnaître que la structure globale du dispositif de financement reste compliquée, même si la création de la BPI l'a un peu simplifiée. L'innovation est l'une des missions permanentes de Bpifrance, et cette orientation figure même dans la loi. Cela se traduit dans les chiffres par une très forte hausse des engagements, qui sont passés de 700 millions d'euros à environ un milliard d'euros pour 2014. Ces engagements sont très diversifiés puisqu'ils comprennent aussi bien des aides à l'innovation au sens classique du terme que des prêts ou du capital-innovation, et nous souhaitons continuer dans cette direction.

J'ai lu le rapport de la Chambre de commerce et d'industrie de Paris Île-de-France et, si je laisse aux spécialistes le soin de débattre de la méthodologie utilisée, toujours est-il que les baromètres semestriels d'Ernst & Young, entre autres, aboutissent à d'autres conclusions. En tout état de cause, je considère que la Caisse des dépôts et surtout Bpifrance ont assez largement contribué à la bonne tenue du marché du capital-innovation en France : nous sommes désormais quasiment ex aequo avec l'Allemagne, et même premiers dans certains secteurs. Certes, des marges de progrès subsistent, mais l'innovation constitue pour nous une priorité structurelle et la démarche engagée en ce sens, qui s'est traduite par une forte augmentation des volumes, doit se poursuivre.

Cela renvoie à une difficulté que l'on connaît bien, à savoir le fait que les ressources publiques consacrées au financement de l'innovation – je pense à toutes les ressources, qu'il s'agisse des programmes collaboratifs, des aides individuelles, des concours et des avances remboursables, des prêts à l'innovation – ont subi une baisse importante au cours des dernières années : la dotation de l'intervention de l'État a quasiment diminué de moitié entre 2008-2009 et aujourd'hui. La politique de l'État a consisté à compenser une bonne part de cette diminution des dotations par les engagements du Programme d'investissements d'avenir (PIA), à peu près à due proportion – je dis « à peu près » parce la compensation n'est pas intégrale : elle l'est peut-être en dépenses, mais pas en engagements. J'ai appelé l'attention de nos interlocuteurs de l'État sur notre souhait de voir fixer un objectif raisonnable afin de sanctuariser au moins un volume, de l'ordre de 150 à 180 millions d'euros en exécution, qui nous permette de poursuivre sur la voie que nous nous sommes fixée. L'une des pistes que nous avons soumises au Gouvernement pourrait consister dans le recyclage par l'État d'une partie du dividende de Bpifrance, qui permettrait sans doute de minorer l'effet des baisses de dotations. En tout état de cause, il n'est pas question de baisser les bras : nous voulons continuer à considérer l'innovation comme un axe très fort de notre action.

L'appui au développement territorial constitue désormais une orientation forte de la Caisse des dépôts. Historiquement, la CDC a d'abord été un établissement public ancré sur les territoires, accordant des prêts aux collectivités locales, intervenant dans le développement économique des territoires comme acteur des sociétés d'économie mixte – dont elle avait pris l'habitude de boucler les financements – et accompagnant les collectivités sur l'ensemble des projets de développement local. Si tout cela est encore en grande partie vrai aujourd'hui, la Caisse des dépôts a, entre-temps, traversé une autre période historique durant laquelle les pouvoirs publics ont souhaité qu'elle se bancarise, se financiarise, s'ouvre au marché et soit en situation de jouer son rôle contracyclique dans une économie globale et ouverte. Si nous ne sommes pas entièrement sortis de ce contexte, la nécessité de s'appuyer à nouveau sur les territoires s'est fait jour, car la capacité de développement est locale, départementale ou régionale, et c'est à cette échelle que la Caisse des dépôts doit jouer son rôle au sein des écosystèmes.

En pratique, cela s'est traduit pour la Caisse par deux décisions. La première a consisté à créer une direction de l'investissement ne venant pas s'ajouter à l'existant, mais ayant pour objet de regrouper tous les moyens d'investissement territorialisés de la Caisse des dépôts. En effet, la capacité à fournir de l'actif se trouvait répartie entre la Caisse des dépôts, certaines de ses filiales – CDC Infrastructure, CDC Climat et CDC Numérique – et les directions régionales, ce qui ressemblait davantage à un saupoudrage qu'à un dispositif faisant apparaître des thèses d'investissement clairement identifiées. Le regroupement va se traduire par la suppression, dans les semaines qui viennent, des filiales que je viens de citer. La nouvelle direction de l'investissement aura pour mission de définir des thèses d'investissement, des gammes de projet sur lesquelles nous souhaitons pouvoir investir de manière plus forte, en mobilisant les crédits de façon plus ciblée. Cette nouvelle organisation nous permettra de soutenir des projets auxquels nous ne nous serions peut-être pas intéressés auparavant.

La seconde décision prise par la Caisse a consisté à recréer une décision du territoire et des réseaux, afin de disposer d'une direction dédiée aux territoires, rattachée au directeur général et permettant le renforcement des directions interrégionales et régionales, dont le nombre de vingt-huit sera amené à évoluer prochainement pour tenir compte de la nouvelle carte des régions. Cela dit, nous ne pourrons nous calquer strictement sur cette nouvelle carte des régions, car nous devons veiller à maintenir une certaine proximité avec les acteurs locaux : nous devrons donc rechercher d'ici à la fin de l'année – ce travail a été engagé – le découpage le plus pertinent entre le nouveau niveau régional et les niveaux infrarégionaux, en concertation avec les acteurs locaux.

L'idée n'est pas simplement de modifier le découpage géographique. Il s'agit surtout de donner aux directions régionales de la Caisse des dépôts la possibilité de représenter toute la Caisse, et donc de déconcentrer le pouvoir : les directions régionales pourront prendre des décisions à leur niveau, sans que tout remonte systématiquement à des comités d'engagement parisiens, et cela sur une gamme de produits.

La Caisse des dépôts propose par exemple des prêts aux collectivités locales : nous disposons d'une enveloppe de 20 milliards d'euros de prêts au taux du livret A plus 100 points de base, pour des durées parfois très longues, et au sein de cette enveloppe de 5 milliards au taux du livret A plus 0,75 point de base, c'est-à-dire 1,75 % pour les prêts « croissance verte ».

Nous avons aussi une capacité d'intervention en fonds propres, d'accompagnement du développement des sociétés d'économie mixte, d'ingénierie financière que nous pouvons mettre à disposition des acteurs locaux pour imaginer des modèles de financement nouveaux. En effet, traditionnellement, on cherchait une subvention, puis on demandait un prêt… Or les dotations de l'État diminuant, les subventions diminuent aussi : il faut donc imaginer de nouveaux modèles, et mobiliser des fonds propres. La Caisse des dépôts met son savoir-faire à la disposition des acteurs locaux.

S'agissant de la Banque publique d'investissement, nous souhaitons nous appuyer davantage sur les comités régionaux d'orientation, qui ont été créés par la loi, et qui doivent devenir de véritables comités de place régionaux, permettant aux différents acteurs locaux – banques, organisations patronales, syndicats, région, autorités déconcentrées de l'État, société civile – de partager leur analyse des besoins, et donc d'orienter l'action de Bpifrance.

La BPI noue de nombreux partenariats avec les régions – dix-sept à ce jour, je l'ai dit, mais nous devrions à mon sens établir un partenariat-cadre avec chacune des régions. Vingt-deux d'entre elles disposent maintenant d'un fonds de garantie, abondé par les régions elles-mêmes. Il existe également désormais une vingtaine de fonds d'innovation. Une douzaine de régions ont aujourd'hui créé des produits de financement spécifiques, mais toutes ne souhaitent pas le faire, ce qui est un choix parfaitement légitime. Toutefois, je constate que, l'an dernier, 130 millions de fonds régionaux ont été confiés à Bpifrance : nous pouvons à mon sens aller au-delà et élargir nos partenariats.

En élargissant la focale, on constate qu'il existe environ quatre-vingt-dix fonds régionaux avec une participation régionale. C'est, je crois, la bonne direction.

Il me paraît essentiel de souligner que, lorsqu'une région souscrit, même pour une petite somme, à un fonds d'investissement, elle doit nécessairement participer aux instances de gouvernance, y compris au comité d'investissement ; c'est la clé de la confiance. La BPI est prête à aller plus loin : je pense que nous pouvons pousser un peu les feux.

Sur la complexité du dispositif et l'unification des sources de financement, monsieur le rapporteur, je commencerai par la Caisse des dépôts. Les filiales de la Caisse ont été intégrées à Bpifrance. Certaines demeurent marginales : c'est notamment le cas de Qualium Investissement, dont le statut est très particulier, et que l'on cite en général pour donner des exemples d'investissements incongrus de la Caisse des dépôts – dans Quick, par exemple, ou naguère dans La Foir'Fouille.

Qualium Investissement est une société de gestion, agréée par l'Autorité des marchés financiers (AMF), qui investit notamment en capital-transmission dans des entreprises non cotées. C'est une société indépendante – la Caisse des dépôts ne peut pas donner d'instructions –, qui est souvent actionnaire majoritaire, ce qui n'est pas le cas de la BPI. Qualium n'a donc pas vocation à faire partie de Bpifrance ; en revanche, on pourrait se demander si elle doit rester à tout jamais filiale de la Caisse des dépôts, puisqu'elle atteint aujourd'hui sa maturité, avec un niveau de savoir-faire et d'efficacité tout à fait reconnu.

Les autres institutions que vous citez – Médiation du crédit, CIRI… – occupent des fonctions différentes, même si l'objet de nos attentions est le même. Bpifrance a des relations avec la Médiation du crédit, mais leurs rôles sont différents. Le CIRI est une institution d'État, et nous participons parfois à ses travaux. Nos relations avec les outils que sont Atout France ou Business France sont très étroites. Une partie des équipes de Business France sont même aujourd'hui hébergées dans les locaux de la Caisse des dépôts.

On peut, je crois, faire mieux encore, mais l'évolution est très positive.

Quant à CDC International Capital, filiale de la Caisse des dépôts dont le statut est un peu particulier, sa situation est un peu différente, puisque cette filiale doit notamment servir de porte d'entrée en France des capitaux des fonds souverains étrangers. Elle doit donc mettre en place des partenariats pour créer des objets juridiques, des véhicules communs avec les fonds étrangers prêts à investir en France, afin de définir des doctrines d'investissement. Intervient-on dans le pays d'origine du fonds souverain et en France, ensemble en France, ensemble ailleurs… ? Nous souhaitons attirer des capitaux étrangers vers des thèses d'investissement qui vont dans le sens de l'intérêt national français, sans se limiter aux seules entreprises. Nous sommes prêts également à accompagner des entreprises françaises qui vont investir dans le pays d'origine du fonds souverain, et ainsi y créer de l'activité, mais aussi par là même créer de l'activité et de l'emploi en France.

C'est un métier en soi. Ensuite, il reste la gestion des projets, du travail avec les entreprises : nous travaillons actuellement avec Bpifrance pour éviter toute déperdition d'énergie en chemin.

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