Je répondrai d'abord aux questions institutionnelles.
Il existe aujourd'hui plusieurs organismes différents, et j'ai d'autres priorités que d'absorber les uns ou les autres. Depuis les rapports de M. Goujon et de M. Morel-A-L'Huissier, de l'eau a coulé sous les ponts… Nos relations avec les autorités administratives que vous évoquez – CNIL, CADA, Contrôleur général des lieux de privation de liberté… – sont aussi bonnes que possible.
Le Parlement sera bientôt appelé à se pencher sur la question du numérique, à la fois dans le cadre du projet de loi qui sera présenté par Mme Axelle Lemaire et du projet de loi sur le renseignement. Or je veux souligner que l'on a trop souvent tendance aujourd'hui, lorsqu'on s'approche des limites des libertés fondamentales, notamment pour des raisons de sécurité, à improviser les protections et les contrôles. Le meilleur exemple, c'est ce qui s'est passé récemment lorsqu'il s'est agi de contrôler le blocage de sites internet appelant au terrorisme, dans la loi du 13 novembre dernier : il a simplement été décidé que la CNIL désignera une personne qualifiée à qui il reviendra de dire si le blocage était bien justifié… Pourquoi cette solution en particulier ? Pourquoi pas une autre ? Il sera bon de réfléchir à ces problèmes.
Nous assistons, dans les relations des usagers avec les administrations, à une évolution culturelle : les demandes ne concernent plus seulement un papier que l'on n'arrive pas à obtenir – c'est ce qui avait justifié la création du Médiateur de la République en 1973. Aujourd'hui, les médiations se sont développées, et une culture des droits fondamentaux se développe. J'ai d'ailleurs créé un comité d'entente des usagers des services publics, qui se réunira pour la première fois dans quelques semaines.
Monsieur Dosière, vous m'interrogez sur notre usage des fonds publics. M. Luc Machard, directeur général des services, qui est ici présent, est lui-même conseiller maître à la Cour des comptes. À la demande de la commission des Finances de l'Assemblée nationale, la Cour a rendu au mois d'octobre un rapport qui conclut que la fusion des différentes autorités a été bien menée – ce qui doit être porté au crédit de mon prédécesseur. La mutualisation a produit ses effets ; compte tenu de la hausse des demandes qui nous sont adressées et de nos charges croissantes, nous avons plutôt réalisé des économies.
MM. Collard, Goujon et Popelin m'interrogent sur la déontologie de la sécurité. La loi, et notamment l'article L. 142-1 du code de la sécurité intérieure, dispose que le Défenseur des droits « veille au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité ».
Monsieur Collard, la « gestion démocratique des foules », c'est le terme à la fois technocratique et international pour dire « maintien de l'ordre ». C'est un sujet extrêmement difficile, puisque la situation est par nature asymétrique : la force de la loi et celle des armes – armes proprement dites, mais aussi moyens de maintien de l'ordre ou armes de force intermédiaire, les Taser par exemple –, sont d'un seul côté. La commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur le maintien de l'ordre est importante, et c'est pourquoi j'ai souhaité qu'elle puisse m'auditionner.
Nous devons en effet aujourd'hui, devant l'évolution des formes de manifestation, repenser les doctrines du maintien de l'ordre, et cela d'autant plus que nous demeurons très attachés au modèle européen, où le maintien de l'ordre est confié à des forces spécialisées – ce n'est pas le cas aux États-Unis, par exemple, où c'est l'armée qui en est chargée. Nous travaillons sur les demandes qui nous sont adressées ; mais nous menons aussi notre propre réflexion. C'est dans ce but que Dominique Baudis avait mis en place, il y a deux ans, un groupe d'autorités européennes, qui se réunira à nouveau à la fin du mois de mars. Les parlementaires seront naturellement invités à cette journée de séminaire.
Monsieur Popelin, vous faites référence à la décision du 24 novembre 2014, rendue après une longue enquête : nous avons en effet conclu que l'instruction générale qui avait mené à l'ordre, par exemple, de retirer les fanions, était trop générale, et n'était pas compatible avec la liberté d'expression et de manifestation. Certains ont applaudi, d'autres se sont plaints.
Nous agissons avec la même rigueur lorsqu'il s'agit de contrôles d'identité : comment équilibrer la liberté d'aller et de venir, la liberté d'allure, de parole, d'expression, de manifestation, de comportement, avec la nécessité, aujourd'hui essentielle, de sécurité ? Le Défenseur des droits a rendu public, en octobre 2012, un rapport portant sur les relations entre police et citoyens, ainsi que sur les contrôles d'identité. À la fin de l'année 2013, a été mis en place un groupe de travail sur l'article 78-2 du code de procédure pénale, qui pose le cadre juridique de ces contrôles. Celui-ci n'a pas encore rendu ses conclusions.
Tout récemment, nous avons transmis des observations à la cour d'appel de Paris, saisie par treize personnes qui ont fait l'objet de contrôles d'identité. Nous ne nous prononçons pas sur les cas d'espèce, comme je l'ai indiqué en introduction, mais nous invitons la Cour à se poser deux questions : les contrôles sont-ils aujourd'hui assez encadrés ? Le seul recours prévu aujourd'hui, sur le fondement de l'article 141-1 du code de l'organisation judiciaire, est-il suffisant, ou bien faut-il en inventer d'autres pour respecter nos propres principes ?
Nous pouvons, je crois, travailler avec le Parlement sur ces questions, comme sur celles du renseignement et des écoutes. La télévision a diffusé la semaine dernière une fiction fondée sur l'affaire Gordji, en 1986. Depuis, le monde a totalement changé ! Il y a une nouvelle efficacité de la police, mais aussi de nouveaux risques : il faut donc une nouvelle réflexion sur la déontologie de la sécurité. Nous sommes à votre disposition pour la mener.
MM. Ciotti et Coronado, dans des termes un peu différents, m'invitent à dire quelques mots du rapport de M. Muižnieks. Le Défenseur des droits se doit d'adopter une position sage et équilibrée. Ce rapport, publié hier, est le résultat d'une visite en France de plusieurs jours au mois de septembre dernier, c'est-à-dire il y a cinq mois ; j'avais d'ailleurs moi-même rencontré M. Muižnieks dans ce cadre. Disons-le clairement : j'ai eu l'occasion de dire que l'absence de chronologie intellectuelle était une erreur ; cette remarque s'applique ici. D'un autre côté, je rejoins les préoccupations dont il fait état. J'ai moi-même parlé d'avachissement des valeurs, de haine de l'autre. Nous constatons chaque jour, vous comme nous, l'existence de ces dangers ; vous luttez vous-mêmes contre ces dérives par votre travail. Il faut réagir, mais la loi, la justice sont fortes et réactives.
Monsieur Tourret, malgré mes positions exprimées en 1996 que j'ai rappelées tout à l'heure, je partage aujourd'hui vos préoccupations sur le passage de certaines dispositions de la loi sur la presse au code pénal. Je m'interroge notamment sur le fait qu'il serait dès lors possible de juger de telles affaires en comparution immédiate.
Nous répondons à ces affaires aussi bien que nous le pouvons, et il faut peut-être aller plus loin – avec le plan du Gouvernement, avec ce que je propose moi-même, avec les dispositions que vous allez certainement adopter. Mais, je le répète, la situation de la France n'est pas celle d'un pays où les droits de l'homme seraient bafoués : la protection des libertés, la promotion des droits de chacun sont assurés.
Allons toutefois plus loin. Nous sommes dans un pays où 0,5 % de la population – ceux qui ont la chance de faire des études supérieures juridiques – connaît le droit. Pourquoi n'apprend-on pas aux collégiens et aux lycéens les principes de droit qui découlent des valeurs de la République, comme la laïcité, dont Mme Vallaud-Belkacem a eu raison de dire qu'il fallait désormais les inculquer ? Pourquoi ne leur apprend-on pas ce qu'est un contrat – c'est-à-dire une relation synallagmatique qui, en effet, implique des droits et des devoirs ? Pourquoi ne leur apprend-on pas ce que sont la responsabilité civile et la responsabilité pénale, c'est-à-dire les droits et leurs limites ? Je suis sûr, monsieur le président, que les membres de cette Commission le savent mieux que personne : nous souffrons aujourd'hui d'une inculture juridique profonde. Aurait-on saccagé un cimetière juif à Sarre-Union si l'on apprenait ce qu'est le territoire d'une communauté, ce que sont une église, une mairie, un cimetière ?
Nous devons aussi apprendre aux enfants quels sont leurs droits. Monsieur Coronado, vous mettez l'accent sur la question des réfugiés et des demandeurs d'asile. Je me bats tous les jours pour faire respecter l'obligation scolaire au profit des enfants roms : nous sommes un pays, une communauté où les droits sont reconnus et doivent être rendus effectifs.
Je comprends le point de vue du commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe. Mais notre situation n'est pas celle qu'il décrit.
Monsieur Morel-A-L'Huissier, vous souhaitez que nos actions fassent l'objet de plus de communication et de promotion. C'est à ces fins que je souhaite la multiplication de nos délégués territoriaux, qui doivent en outre être mieux formés et jouir de compétences plus larges. Et, si je suis ici devant vous comme j'espère l'être deux fois par an désormais, c'est parce que nous souhaitons que nos relations avec la représentation nationale soient bien plus étroites.
Les injures, comme les propos racistes ou xénophobes, je l'ai dit, n'entrent pas dans mon champ de compétences.
Madame Le Dain, la situation que vous évoquez est grave. Je serai loyal : après une enquête de deux ans, nous avons formulé des recommandations, qui incluaient des mesures importantes, et nous avons donné quelques mois à la SNCF pour réagir ; je me tiendrai à ce contrat. Mais je suis bien de votre avis : ces faits doivent être pris très au sérieux. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que nos préconisations soient suivies d'effet ; si le Parlement pouvait appuyer ce combat, ce serait très important.
Monsieur Decool, pour notre part, nous avons envisagé ce drame national qu'est l'affaire de l'amiante essentiellement sous l'angle de la protection sociale, en particulier de l'accès à l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante. Notre dispositif ne fonctionne pas bien, et une harmonisation est nécessaire. Nous avions proposé un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale, mais on nous a répondu que l'on cherchait de nouvelles économies, et pas de nouvelles dépenses.
S'agissant du versant pénal de ce dossier, la réponse peut effectivement paraître faible. Mais un problème de preuve se pose là encore. Je vous rappelle également les termes de la loi Fauchon de 2000, tendant à préciser la définition des délits non intentionnels.