Le Parlement a longuement débattu de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), avant de lui donner une naissance tardive. La Révolution française, ne l'oublions pas, fut aussi dirigée contre les juges, dans un esprit de sacralisation de la loi. Notre histoire, sur ce point, est à l'inverse de celle des États-Unis, où le contrôle de constitutionnalité par la Cour suprême fut reconnu dès 1803, alors qu'il a fallu attendre la loi organique du 10 décembre 2009 pour qu'il le soit en France. Trois ans plus tard, il nous a paru utile de faire un point d'étape.
L'article 61-1 de la Constitution, relatif à la QPC, fut institué par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Il créait, en plus du contrôle de constitutionnalité a priori, un contrôle a posteriori dont l'entrée en vigueur est effective depuis le 1er mars 2010. Le projet de loi organique à l'origine de cette disposition avait fait l'objet d'un relatif consensus au sein de notre assemblée, puisque les deux principaux groupes politiques lui avaient accordé leurs suffrages.
Les trois premières années d'application montrent déjà que la QPC, qui représente un bouleversement de notre tradition juridique, est un authentique progrès pour l'État de droit, progrès qu'avait d'ailleurs salué Jean-Luc Warsmann, alors président de notre Commission, dans un rapport d'évaluation présenté dès le 5 octobre 2010. Bien qu'il soit encore trop tôt pour prendre la mesure de tous les changements intervenus, nous avons décidé d'organiser une réunion afin de réfléchir à l'évolution de ce droit nouveau donné aux justiciables. Nous disposons, pour ce faire, d'une réelle matière, puisqu'on estimait, après seulement un an de mise en oeuvre – soit au 1er mars 2011 –, que près de 2 000 QPC avaient été posées devant les juges de première instance et d'appel. Au 1er janvier 2012, le Conseil constitutionnel avait enregistré 1 022 décisions en la matière – soit en moyenne dix QPC par semaine –, dont 224 décisions de renvoi – 96 émanant du Conseil d'État et 128 de la Cour de cassation – et 798 décisions de non-renvoi, soit respectivement 22 % et 78 %.
Un tel volume permet sans doute d'apaiser les craintes formulées lors de nos débats en 2009. Nous avions alors souhaité que les cours suprêmes soient associées à la procédure en jouant le rôle de filtres, car nous redoutions un engorgement lié à l'afflux de questions déjà tranchées, fantaisistes ou soulevées à des fins dilatoires, comme cela s'est observé à l'étranger. Le risque était aussi de déstabiliser notre organisation juridictionnelle par les éventuelles conséquences de la relation ascendante entre les cours suprêmes et le Conseil constitutionnel. Se posait aussi, comme le souligne Virginie Saint-James, maître de conférences à l'université de Limoges, dans un article de la Revue du droit public, une question d'équilibre interne entre, d'une part, les juridictions et, de l'autre, une volonté d'intégration et de juridictionnalisation accrue du Conseil constitutionnel.
Nous nous étions aussi beaucoup interrogés sur la latitude laissée aux juges du « second étage », c'est-à-dire au Conseil d'État et à la Cour de cassation, s'agissant du refus de transmettre une QPC. Devaient-ils avoir un rôle quasi mécanique d'appréciation de la recevabilité ou porter une première évaluation sur la constitutionnalité du texte ? Les arrêts de refus révèlent une certaine hésitation en ce domaine.
Enfin, les praticiens semblent de plus en plus nombreux à s'interroger sur l'opportunité d'audiences préliminaires, dont le rôle, purement technique, serait de purger les querelles de forme portant, par exemple, sur la recevabilité des pièces ou la prescription.
Monsieur le secrétaire général, soyez le bienvenu. Vous voudrez bien remercier le président Jean-Louis Debré de vous avoir permis de venir nous présenter vos analyses.