La loi de 1991 a créé l'Andra en tant qu'établissement indépendant des producteurs de déchets et lui a confié la mission d'assurer la gestion de l'ensemble des déchets radioactifs et des installations associées. Aussi, jusqu'à la fin 2009, l'Andra a très logiquement géré seule les travaux sur le stockage géologique profond, en respectant les délais fixés et en ne rendant de comptes qu'au Gouvernement et au Parlement.
Mais en 2010, suite à la divulgation d'une nouvelle estimation de l'Andra sur le coût du projet, nettement plus élevée que la précédente de 2005, les grands producteurs de déchets radioactifs ont rendu public un projet alternatif à celui de l'Andra et ont mis en doute la capacité de cette dernière à mener à bien son projet. Ils ont proposé de s'impliquer dans la maîtrise d'ouvrage, notamment en mettant à disposition leurs compétences internes et leur retour d'expérience sur de grands chantiers. Confrontés à cette situation durant leur évaluation du plan précédent, Christian Bataille et son co-rapporteur Claude Birraux ont exprimé sans détour leur position, en adressant aux producteurs un rappel à la loi sur l'indépendance et les missions de l'Andra. Malgré leur avertissement, l'Andra a signé, un an plus tard sous l'égide de la DGEC, une convention de coopération avec les producteurs. Nous avons dressé un bilan des effets de cette convention confidentielle que nous avons eue en main.
Nous ne négligeons ni l'apport des producteurs au projet Cigéo, en termes de retour d'expérience et de savoir-faire, ni la légitimité de leurs inquiétudes à l'égard de possibles dérives du coût de ce projet. Mais nous constatons que l'organisation mise en place pour assurer les échanges entre les producteurs et l'Andra n'est pas satisfaisante, puisqu'elle a conduit, pour la première fois, à des retards importants dans le calendrier du projet. Par ailleurs, nous considérons que l'opacité qui entoure les relations entre l'Andra et les producteurs dans le cadre de cette convention contredit l'esprit de la loi. S'il devait s'avérer demain que certains choix ont eu des conséquences néfastes, en termes de sûreté ou de coût, les conditions dans lesquelles ces décisions auront été prises risquent de rester mal définies. Une telle situation n'est pas acceptable. Aussi demandons-nous qu'à l'avenir la plus grande transparence possible soit assurée sur les échanges entre l'Andra et les producteurs et que l'impact de ces échanges sur les délais de réalisation du projet soit limité.
Mais le manque de transparence porte aussi sur les coûts de ce projet et plus largement sur toutes les charges de long terme de la filière nucléaire. La dernière évaluation du coût de Cigéo date de 2005 ! Une nouvelle évaluation devait être publiée en 2013 et nous sommes à la fin de l'année 2014 ; nous l'avons demandée, nous ne l'avons toujours pas.
La loi de 2006 sur la gestion des déchets radioactifs a créé une commission indépendante : la Commission nationale d'évaluation du financement des charges de démantèlement des installations nucléaires de base et de gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs (CNEF). Elle est chargée de vérifier l'adéquation des provisions constituées par les producteurs de déchets au financement de leurs charges de long terme. Dans le passé, l'Office avait rappelé à l'ordre, plusieurs fois, le Gouvernement concernant l'installation de cette commission qui a publié son premier rapport avec quatre années de retard. Compte tenu de la nécessité, pour le Parlement mais aussi le Gouvernement, de disposer des moyens permettant d'assurer un contrôle plus efficace sur les conditions de financement des charges de long terme des producteurs de déchets radioactifs, nous préconisons de transformer cette commission en une instance indépendante, disposant d'un secrétariat propre et avec une composition adaptée, à l'image de la Commission nationale d'évaluation. Cette CNEF renouvelée serait chargée d'un suivi permanent des charges de long terme de l'industrie nucléaire, ainsi que de l'adéquation des provisions et actifs correspondants.
Un autre point mis en évidence dans le cadre du débat public de 2013 sur Cigéo a tout particulièrement retenu notre attention, en raison des risques qu'il induit à court terme. Il s'agit du peu d'attention porté aux conditions d'insertion du futur centre de stockage au sein du territoire. Certains impacts du projet Cigéo vont se concrétiser dès 2015, par la mise en place des premières infrastructures indispensables à l'avancement du projet. Or, il n'existe à ce jour aucune structure administrative à même d'accompagner l'implantation du projet Cigéo dans le territoire. Cette situation pourrait se traduire par un manque de coordination entre les acteurs du projet et les acteurs locaux, susceptible de générer retards et insatisfactions. S'agissant d'un projet d'intérêt national, nous demandons au Gouvernement de créer sans tarder une « mission Cigéo » chargée d'accompagner l'insertion du projet dans le territoire, directement rattachée au Premier ministre et dirigée par un responsable de très haut niveau.
Le déploiement des premières installations représente une occasion de donner une nouvelle dynamique à l'accompagnement économique du territoire, prévu par la loi. La « mission Cigéo » serait également bien placée pour identifier suffisamment en amont les opportunités, informer les entreprises locales et étudier la meilleure façon d'en tirer parti. S'agissant de la fiscalité, dont les conditions de mise en oeuvre n'ont pas encore été étudiées en concertation avec les différentes parties prenantes, la « mission Cigéo » pourrait aussi avoir pour mandat de clarifier leurs attentes. En un mot, cette mission permettrait d'assurer une coordination, aujourd'hui inexistante et pourtant indispensable. Qui plus est, sa création constituerait, pour la population comme pour les élus locaux, une preuve de l'attention accordée à ce projet au plus haut niveau de l'État. Je passe maintenant la parole à Christian Bataille qui va évoquer le déroulement du débat public sur le projet Cigéo et ses suites.