Intervention de Denis Baupin

Réunion du 17 décembre 2014 à 17h30
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDenis Baupin, député :

Merci, Monsieur le président. Je veux dire quelques mots, parce que ce rapport n'a pas été adopté unanimement par l'OPECST. Chacun peut imaginer que nous ne partageons pas le même point de vue que vous, non pas sur le travail réalisé au sein du groupe de travail du PNGMDR, que je veux également saluer ici, mais sur un certain nombre d'analyses et recommandations.

Je veux aussi saluer votre lucidité, lorsque vous dites que décider d'une « poubelle nucléaire » n'est pas très porteur politiquement. Nous pouvons partager le constat que personne ne se précipite pour le faire. Mais ce constat en dit long sur le fait que, quarante ans après avoir lancé une filière industrielle, on n'a toujours pas de solution pour ces déchets radioactifs. Je ne qualifierai pas de solution le fait de creuser un grand trou, afin d'enfouir à 500 mètres sous la croûte terrestre ce que l'on ne veut plus voir en surface. Si on le fait pour les déchets nucléaires, pourquoi ne pas le faire demain pour les déchets chimiques ou d'autres dont l'on ne saurait que faire ? Quel exemple donnerait aux autres pays la patrie des droits de l'homme, qui va accueillir la conférence climatique, en creusant ainsi, à grande profondeur dans la croûte terrestre, pour cacher ce qu'il ne veut pas voir ? Vous comprendrez que nous ne faisions pas partie de ceux qui idéalisent le projet Cigéo.

Je note que, en effet, il a été envisagé de traiter cette question au travers de plusieurs textes législatifs, mais qu'aucun n'a été retenu. Cela correspond d'ailleurs à ce que nous avait indiqué Mme Marie-Claude Dupuis, directrice générale de l'Andra, lorsque nous l'avions interrogée dans le cadre de la Commission d'enquête sur les coûts du nucléaire. Elle avait reconnu que le projet n'était pas mûr aujourd'hui. Il y a en effet beaucoup de questions en suspens qui doivent être débattues avant qu'une éventuelle décision soit prise. Tout d'abord, l'Autorité de sûreté nucléaire demande, de façon récurrente, la clarification de l'inventaire des déchets destinés à Cigéo. Beaucoup de nos concitoyens seraient surpris d'apprendre qu'un projet de ce type, étudié depuis de longues années, reste si mal défini quant à son contenu, alors que l'on envisage d'en traiter dans un texte de loi. Cela apparaît comme un préalable.

Il y a ensuite la question des risques, pour lesquels l'IRSN a publié, il y encore quelques jours, des avis relatifs à l'étanchéité des fermetures, à différents niveaux de Cigéo. L'IRSN estime nécessaire de mener, en préalable à la mise en oeuvre, des expérimentations grandeur nature. Par ailleurs, nous connaissons tous les questions qui se posent en termes de sécurité sur Cigéo : incendie, fuite d'hydrogène, etc.

Il y a ensuite la question du coût que vous avez évoquée. Il apparaît stupéfiant qu'aujourd'hui l'évaluation varie du simple au double entre l'Andra et les producteurs de déchets. Cet écart amène à des interrogations importantes sur les provisions constituées par les producteurs de déchets radioactifs destinées à financer la gestion de ces derniers. Je pense que nous sommes tous d'accord pour dire que c'est notre génération, consommatrice de l'électricité à l'origine de ces déchets nucléaires, et non les générations futures, qui doivent payer pour l'enfouissement ou le traitement de ces déchets. Encore faut-il pour cela que le coût correspondant soit correctement évalué aujourd'hui. Nous constatons qu'existe un véritable risque que, demain, le contribuable se trouve contraint de payer. Sur ce point, je partage entièrement votre recommandation relative à une instance indépendante chargée de la sécurisation des charges futures du secteur nucléaire.

De plus, la question de la réversibilité reste un sujet à traiter par le Parlement. Chacun a pu voir des suggestions de définition envisagées dans des textes de loi. Le moins que l'on puisse dire c'est qu'elles n'ont pas été largement débattues. On pouvait envisager qu'entre les lois précédentes et celle-ci il y aurait un grand débat, notamment éthique, avec des personnes qui ne soient pas simplement les ingénieurs en charge du dossier. Etant moi-même ingénieur, mon intention n'est évidemment pas de dénigrer ces derniers qui doivent demeurer en charge des aspects techniques, mais pas des questions d'éthique. Voir apparaître dans un projet de loi une définition dont on ignore la provenance exacte qui aurait pu être examinée à la va-vite, comme cela avait été envisagé dans la prochaine loi sur la croissance, pose évidemment des questions, aujourd'hui encore non résolues.

Enfin, je voudrais rappeler ce que la Commission d'enquête de l'Assemblée nationale sur les coûts du nucléaire, dont j'étais le rapporteur, avait inscrit dans ses conclusions relatives aux déchets nucléaires, adoptées à la majorité de ses membres. Je pense qu'elles résument bien un certain nombre de questions partagées par les parlementaires membres de cette commission : « [La commission] Regrette de n'avoir pu, dans le calendrier qui était le sien, avoir connaissance des coûts potentiels d'un site d'enfouissement de déchets à Bure. Elle s'interroge sur la persistance d'écarts importants entre les évaluations respectives des différents acteurs et souligne, comme la Cour des comptes, la nécessité d'aboutir rapidement à un coût entériné par les pouvoirs publics. Prend acte de la volonté de l'ANDRA et du Gouvernement, suite au débat public, de conduire une phase pilote préalable d'expérimentation avant toute décision. Rappelle la demande de l'ASN de clarification de l'inventaire et de la nécessité d'évaluation des coûts selon les différents scénarios possibles. Insiste sur le rôle du Parlement dans la définition préalable des conditions de récupérabilité, dans le respect des principes fixés par la loi. Estime que la recherche sur l'entreposage en subsurface de longue durée devrait être conduite en parallèle. Estime que, comme cela a toujours été le cas concernant les déchets nucléaires, la décision finale devrait revenir au Parlement. Souligne, par ailleurs, l'importance de veiller dans la durée au traitement le plus sécurisé de l'ensemble des matières radioactives présentes sur le territoire, et de leur conditionnement dans le respect des règles fixées par l'ASN. »

C'est ce que je souhaitais dire ici, au moment où ce rapport est présenté, afin de marquer l'existence d'avis différenciés au sein de nos assemblées, notamment en ce qui concerne le projet Cigéo.

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