Le Conseil du 26 janvier ne sera pas décisif puisqu'il coïncide avec le début de la présidence lettonne. Il ne fait donc qu'amorcer les travaux sur des sujets de fond dont nous discuterons dans les six prochains mois, s'agissant en particulier du règlement relatif à l'agriculture biologique, à propos duquel la France a insisté pour que la présidence italienne obtienne un rapport d'étape. L'enjeu est de préserver l'architecture de la labellisation ainsi que la mixité, dans laquelle de nombreuses exploitations sont engagées et dont la suppression brutale eût suscité de fortes oppositions en France. Le rapport d'étape a donc été adopté par le dernier Conseil Agriculture et pêche, et le sujet sera l'une des priorités de la présidence lettonne.
Se pose aussi la question de l'application de la réforme de la Politique agricole commune (PAC) et de la mise en oeuvre des programmes de développement rural, avec le transfert du deuxième pilier aux régions. Nous sommes mobilisés auprès de la Commission pour assurer la mise en oeuvre effective, dès 2015, de ce que nous avons obtenu, étant entendu que l'État s'est engagé à avancer les crédits nécessaires aux programmes, par pré-financement, avant même l'apposition du contreseing définitif de la Commission. Ces programmes, discutés avec les régions et l'association qui les représente, l'ARF, touchent en effet à des enjeux essentiels, s'agissant par exemple de la modernisation des bâtiments d'élevage. Sur les règlements liés à la réforme de la PAC, relatifs en particulier aux mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), les négociations se poursuivent avec la Commission, auprès de laquelle il n'est pas toujours facile de faire valoir nos positions. Nous avons eu, à la fin de l'an dernier, un échange un peu « musclé » avec elle au sujet des MAEC et des indices de fréquence de traitement (IFT) des pesticides. La Direction générale de l'environnement de la Commission était en effet favorable à notre proposition, alors que la Direction générale agricole s'y opposait.
Depuis notre arrivée aux affaires, la production laitière a fait l'objet de plusieurs papiers adressés à la Commission : un premier dès l'automne 2012, un deuxième en 2013 et un troisième en 2014. Il s'agit de faire valoir auprès des États membres que l'on ne saurait, après la suppression des quotas laitiers, s'en remettre à la seule logique du marché, et moins encore à la conquête de marchés d'exportation. Certains pays, tels les Pays-Bas et l'Irlande, ont très sensiblement augmenté leur production laitière, parfois à hauteur de 15 à 20 % ; or, si la demande extérieure vient à se tarir, la surproduction revient sur le marché européen, avec les risques de crise que l'on connaît. La France a donc obtenu, dans le cadre de la négociation de la PAC, le maintien de mécanismes de sécurité, tels le fonds de gestion de crise au profit duquel sont prélevés les crédits alloués au premier pilier, et qui verra son abondement atteindre quelque 400 millions d'euros.
Nous avons déposé, en fin d'année dernière, un texte sur la production laitière, en premier lieu pour refuser les demandes, formulées par plusieurs pays, tendant à supprimer les pénalités applicables en cas de dépassement des quotas. En 2008, les quotas ne furent supprimés qu'au profit d'un principe de « soft landing » autorisant chaque pays à augmenter sa propre production selon une progression régulière de 1 % de 2009 à 2015 ; or plusieurs pays, dont la production était excédentaire par rapport à ce qui fut négocié, devaient à ce titre acquitter des pénalités : ce fut le cas de l'Allemagne, de l'Autriche, de l'Irlande et des Pays-Bas, qui, l'an dernier, ont tous demandé la suppression des pénalités en arguant d'une demande soutenue à l'exportation. Lors d'un récent Conseil des ministres, j'ai fait valoir que ce contexte ne devait pas nous faire oublier les leçons de la crise de 2009 : les menaces demeurent, et elles sont sérieuses. La France, ai-je indiqué, pourrait accepter la suppression des pénalités en contrepartie d'un texte qui régulerait le marché du lait. Les pays concernés ayant refusé cette contrepartie, les pénalités ont été maintenues.
C'est aussi dans le cadre de la négociation de la PAC qu'a été créé un observatoire européen des prix du lait, afin d'anticiper les crises par d'éventuelles mesures correctives ; mais l'évolution des marchés extra-européens échappe à cette instance, notamment le marché qui est devenu l'enjeu essentiel, la poudre de lait, dont la Chine est devenue grande importatrice compte tenu de ses besoins non seulement quantitatifs, mais aussi qualitatifs ; d'où les investissements dans des tours de séchage, en particulier à Carhaix, en Bretagne, pour un niveau d'approvisionnement de 150 à 200 millions de litres. De fait, la demande ne cesse de progresser sous l'effet de la croissance de la démographie, donc du nombre d'enfants concernés. Une stratégie s'élabore, à l'échelle de certaines coopératives et à travers différents projets, notamment en Bretagne et en Ille-et-Vilaine, la France étant en mesure de produire des laits infantiles en poudre de qualité ; de ce point de vue, elle n'a pas la même stratégie que l'Irlande, les Pays-Bas ou l'Allemagne, qui ont opté pour une croissance de leur production. Quoi qu'il en soit, ce marché influence directement le prix du lait en Europe : lorsque la production a repris en Nouvelle-Zélande, le prix du lait, notamment en poudre, a aussitôt diminué. Le système étant contractualisé, les industriels européens achètent la totalité du lait européen, à un prix qui est une moyenne entre la partie réservée à la poudre et celle réservée au lait de qualité, voire au fromage. En d'autres termes, lorsque le prix de la poudre baisse, c'est le prix du lait dans son ensemble qui baisse : il est impossible d'anticiper les crises si l'on ne tient pas compte de cette réalité. Ainsi, la diminution du prix de la poudre à l'automne 2014 a eu des effets immédiats sur l'attitude des industriels, à commencer par Lactalis, attitude dont les producteurs se plaignent. C'est pourquoi je plaide pour l'intégration du secteur de la poudre dans la gestion du marché laitier européen.
Parmi les pays ayant augmenté leur production de lait, certains l'ont fait via une augmentation par vache qui peut atteindre 10 % à la faveur d'une meilleure alimentation ; d'autres, par une augmentation du troupeau lui-même, laquelle, outre qu'elle a des effets de bien plus long terme que la solution précédente, permet aux exploitants, lorsqu'ils anticipent une baisse du prix du lait, d'augmenter le nombre de vaches réformées, ce qui a pour effet de tirer le prix de la viande bovine vers le bas : les deux phénomènes sont donc liés. Aussi ai-je également proposé, dans le papier adressé à la Commission fin 2014, que soit pris en compte, dans le système de gestion « post quotas », l'impact de la production laitière sur l'évolution des troupeaux et, partant, du prix de la viande bovine.
Il faut aussi s'entendre sur les outils de correction. Jusqu'à présent, ce sont les producteurs laitiers qui assumaient les pénalités en cas de dépassement des quotas. Je suis favorable à une approche plus collective, qui permette d'anticiper sur l'évolution des troupeaux et sur la mobilisation de fonds lorsque les prix descendent trop bas. Le niveau du prix d'intervention fait également débat, pour la viande bovine comme pour le lait ; et face aux pays qui défendent la production comme une fin en soi, la France plaidera en faveur d'une coopération et d'une meilleure organisation du marché.
Il convient aussi de prendre en compte la situation des zones de production plus fragiles. Liés au sol, les quotas ont permis, en France, de maintenir une production laitière dans ces zones, notamment dans les piémonts ; depuis la fin des quotas, la production y a déjà connu de fortes diminutions, pour se transférer dans le grand Ouest ; d'où les logiques d'organisation de filières et d'identification, par exemple du lait de montagne ou du lait de France. En l'absence de majorité sur ce sujet, la discussion n'est pas facile : l'Allemagne ne suit pas la France, même si elle commence à nourrir des craintes quant à la production laitière, et même si mon homologue allemand nous a invités à prendre l'initiative, ce qui est désormais chose faite. D'autres pays tournés vers l'export, comme l'Irlande, sont difficiles à mobiliser ; mais nous ne relâchons pas nos efforts.
Le problème de l'embargo russe s'est posé dès cet été avec les fruits et légumes, la viande porcine et la viande bovine ; il n'a fait qu'accroître des difficultés de marché déjà connues. La Commission, dans ce contexte, a rapidement décidé de débloquer près de 350 millions d'euros au total. La France s'est employée, avec l'Espagne, à orienter notamment les aides vers les pêches et les nectarines à l'été. L'exportation de pommes polonaises vers la Russie se montait alors à 600 000 tonnes environ : on conçoit que de tels volumes aient pu déstabiliser le marché européen sur lequel ils sont revenus. Cela dit, les Polonais ont un peu tiré sur la corde, si vous me passez l'expression, sollicitant des aides supérieures à ce que représentaient leurs exportations en temps normal. Résultat : la Commission a décidé de supprimer certaines aides, pour les reprendre ensuite mais de manière mieux encadrée. Depuis le départ, je soutiens l'idée d'une coopération européenne en ce domaine : les aides ne peuvent fonctionner selon un système de guichet permettant à chaque État de plaider sa cause, au risque de déstabiliser le marché sans résoudre le problème posé.
Nous nous employons à obtenir la réouverture de marchés en Russie, et avons obtenu gain de cause, la semaine dernière, avec un accord de principe pour la réouverture du marché russe pour les porcs vivants, la graisse, les abats et les farines de porc, alors que la viande porcine fait face, on le sait, à de graves difficultés liées au prix. Je veux à cet égard saluer le travail de la direction de l'alimentation du ministère, qui entretient des liens de confiance avec son homologue russe.
Sur l'aspect financier, la France a obtenu la mobilisation des marges budgétaires à hauteur de 344 millions d'euros, s'opposant sur ce point à la Commission qui souhaitait une ponction du fonds de gestion des crises, ponction qui supposait de reconstituer le fonds via les aides allouées aux agriculteurs en 2015. Cette réserve, intacte encore cette année, de 400 millions d'euros, sera un atout non négligeable au vu de la situation de certains marchés.
Bien entendu, l'embargo russe dépend de l'évolution géopolitique – de nouvelles tensions sont malheureusement apparues ces derniers jours en Ukraine –, mais ce que nous avons obtenu en bilatéral est une bonne nouvelle, non seulement pour nous mais aussi pour les Russes, qui ont vu le prix de la viande s'envoler sans avoir les capacités de répondre en termes de production. D'autres opportunités se sont ouvertes pour la viande bovine en Chine, au Maghreb et en Turquie : nous y avons oeuvré en coopération avec l'interprofession, que je salue. Une filière d'exportation de broutards vers l'Algérie a ainsi été créée, assortie d'une filière d'engraissement et d'abattoirs en Algérie même : de telles solutions forment des écosystèmes pérennes qu'il faut promouvoir. Comme je m'en suis expliqué avec le Premier ministre algérien, j'ai fait le choix de développer cette filière d'engraissement via les exploitations existantes dans les plaines d'Annaba, au Nord-est de l'Algérie. La France, même si l'on n'en a guère parlé, a aussi fourni des vaccins contre la fièvre catarrhale qui sévissait dans ce pays, et mobilisé l'Union européenne pour qu'elle en fasse de même. Cette maladie, née en Tunisie, menaçait l'ensemble de la production bovine du Maghreb puisqu'elle allait atteindre les frontières du Maroc après s'être propagée en Algérie.
S'agissant des OGM, madame la présidente, l'objectif d'une interdiction totale en Europe est inaccessible compte tenu de l'opposition de certains pays, tels l'Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni voire l'Allemagne. Dans ces conditions, la nouvelle directive permet aux pays qui le souhaitent de fonder leur refus des OGM sur la base de critères objectifs, que ceux-ci visent la protection de l'environnement ou la qualité des productions. Nous pouvons ainsi nous prémunir juridiquement contre les décisions du Conseil d'État qui, saisi par les industriels, a annulé par deux fois les moratoires sur les OGM.
Quant à leur importation, les règles demeurent inchangées : elles ont constitué des lignes rouges dès l'ouverture de l'accord transatlantique. Je me suis d'ailleurs mobilisé pour qu'il en soit de même pour les indications géographiques protégées, dont nous refuserons toute remise en cause : si la ligne américaine des marques commerciales devait l'emporter sur la ligne française et européenne, les conséquences sur la structuration de notre agriculture seraient en effet considérables. C'est donc avec plaisir que mon ministère étudiera le rapport dont vous avez parlé, monsieur le président, et que j'assisterai, si la date le permet, à la réunion consacrée à ce thème dont je suis un défenseur constant et déterminé, et auquel je sensibilise toujours les responsables que je rencontre lors de mes déplacements à l'étranger : je l'ai fait, par exemple, avec le vice-Premier ministre chargé de l'agriculture lors du voyage du Président de la République en Chine, ainsi qu'avec le Premier ministre japonais. Nos conceptions sur le sujet sont très différentes, mais elles peuvent trouver un écho dans des pays de longue histoire comme la Chine ou le Japon. Bref, je m'emploie, dans cette bataille internationale, de défendre, contre la ligne anglo-saxonne du libre marché et des marques, la ligne française et désormais européenne des indications géographiques.