Je n'ai pas pris pour une manifestation d'hostilité envers le gouvernement grec la déclaration de la BCE renvoyant au politique la responsabilité du politique. La nouvelle majorité grecque fait une demande légitime : ayant été élue, elle souhaite, comment elle en reçut mandat du peuple, rediscuter les engagements contractuels de son pays à l'égard de l'Union européenne dans le cadre que l'on connaît. Sur une question de cette importance, il aurait été compliqué que la BCE, outrepassant son rôle, se substituât au Conseil européen ; elle ne l'a pas fait.
Mais je suis assez préoccupé par l'absence de volonté de trouver un compromis. Dire que l'on veut à la fois respecter du peuple grec et le respect des engagements précédemment contractés par la Grèce me paraît incompatible : s'il s'était agi de tenir ces engagements, la Grèce aurait reconduit M. Samarás. Il est de la responsabilité de l'Union européenne de trouver une solution et de ne faire courir de risques ni à la Grèce ni à l'ensemble de la zone euro – on a déjà vu les convulsions causées à Chypre par la crise grecque. J'aimerais, monsieur le président, que notre Commission entende le ministre des Finances et des comptes publics nous dire quelle action mène la France ; le sujet est grave.
Par ailleurs, je trouve assez choquante la position de l'Allemagne, qui demande, au nom de considérations pseudo morales, l'application à la Grèce d'un principe qu'à juste titre on ne lui a pas appliqué. En 1953, l'ensemble des créanciers de l'Allemagne, dont la Grèce, ne se sont-ils pas réunis à Londres pour traiter, à la demande du gouvernement allemand, du rééchelonnement de ses 30 milliards de dollars de dette, que justifiait le risque de banqueroute ? Et cela, huit ans après la chute du régime nazi, qui avait mis l'Europe à feu et à sang, perpétré un génocide et causé plus de 50 millions de morts – tout autre chose, on en conviendra, que les malversations de quelques oligarques grecs. À l'époque, les créanciers de l'Allemagne sont convenus qu'il fallait, dans l'intérêt de l'Europe, préserver la stabilité démocratique du continent en donnant à l'économie allemande les moyens de décoller, sans répéter les erreurs du traité de Versailles. À cette fin, ils ont annulé unilatéralement la moitié de la dette de l'Allemagne et rééchelonné le solde sur un si long terme que son extinction complète n'a eu lieu qu'en 2010. C'est cette décision politique judicieuse de nos prédécesseurs qui a permis à l'économie germanique de redécoller. Nos amis allemands doivent s'en souvenir ne pas prétendre imposer à un pays une doxa dont ils n'ont pas voulu pour eux-mêmes. J'espère, monsieur le gouverneur, que vous direz au président de la Bundesbank l'inquiétude que suscite cette position.
Que pensez-vous par ailleurs du plan Juncker ? La BCE fait son travail en rétablissant les circuits de liquidité et en faisant ce qui est nécessaire pour que les banques prêtent aux entreprises. Mais l'on sait qu'une politique monétaire commune non assortie d'une politique budgétaire commune ne peut fonctionner. Or, de nombreux économistes, comme la Commission européenne, s'accordent pour souligner le problème de la relance de la demande. Pendant les Trente Glorieuses, aux plus belles heures du keynésianisme, on s'interrogeait pour savoir si un point de dépense publique créerait 1,3 ou 1,4 point de croissance du PIB ; aujourd'hui, M. Juncker invente le facteur 15 ! Jugez-vous crédible que l'injection de 21 milliards d'euros d'argent frais entraîne 320 milliards d'euros d'investissements ?