Intervention de Geneviève Fioraso

Séance en hémicycle du 19 février 2015 à 9h35
Transformation de l'université des antilles et de la guyane en université des antilles — Présentation

Geneviève Fioraso, secrétaire d’état chargée de l’enseignement supérieur et de la recherche :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, je suis particulièrement heureuse de vous présenter ce matin le projet de loi ratifiant l’ordonnance no 2014-806 du 17 juillet 2014. Ce texte constitue en effet l’aboutissement d’un long cheminement, qui crée l’université des Antilles.

Avant d’exposer les aspects plus techniques et opératoires de ce projet de loi, permettez-moi de revenir sur l’histoire de l’enseignement supérieur dans les Antilles. La Martinique et la Guadeloupe ont une tradition universitaire ancienne et bien ancrée. Dès 1883, une école préparatoire de droit a été créée à Fort-de-France. Un institut d’études juridiques, politiques et économiques apparaît en 1948, rapidement complété par d’autres formations d’enseignement supérieur, en lettres, en sciences et en santé. Il faut toutefois attendre 1970 et la loi Edgar Faure pour qu’un centre universitaire multidisciplinaire, commun aux Antilles et à la Guyane, soit créé. Cet établissement devient une université de plein droit en 1982, ce qui met fin à son rattachement historique avec l’université de Bordeaux.

Tout au long de cette histoire, et particulièrement à partir des années 1970, les collectivités locales ont énormément investi pour accompagner cette montée en puissance de l’enseignement supérieur et de la recherche, conscientes qu’il s’agissait là d’un levier de développement dont ces territoires avaient bien besoin. Les campus martiniquais et guadeloupéens, modernes et bien équipés, sont le reflet de cet engagement. Toutefois, des difficultés de fonctionnement sont apparues à partir des années 1980. L’éloignement géographique, des désaccords sur la répartition des moyens et des compétences, ainsi que la difficulté d’acheminer jusqu’au pôle guyanais les moyens dévolus par l’État ont progressivement tendu les relations entre le pôle guyanais et les pôles antillais.

J’ajoute que le contexte économique et démographique de la Guyane – ainsi que sa géopolitique, d’ailleurs –, très différent de celui des Antilles, a contribué à aggraver ces difficultés. Dans ce contexte, les tensions ont culminé à l’automne 2013, avec le blocage complet du campus guyanais. La médiation que j’avais demandée pour sortir de ce conflit a abouti à un protocole d’accord, signé le 11 novembre 2013. Ce protocole prévoit diverses mesures, dont la principale est la création d’une université de Guyane de plein exercice, au plus tard pour la rentrée de 2016. Il est vrai que cette décision allait un peu à contre-courant de la politique générale de regroupement, mais je crois qu’il faut aussi savoir prendre ses responsabilités lorsqu’on est confronté à des situations de blocage qui peuvent être dommageables aux territoires concernés.

Je tiens ici à souligner que le Gouvernement a tenu ses engagements et qu’il est même allé plus vite que ce qui avait été prévu. En effet, le décret créant l’université de Guyane est paru le 30 juin 2014. Il a permis la création d’une université de plein exercice en Guyane au 1er janvier 2015. Je salue les efforts de toutes les équipes de l’Université des Antilles et de la Guyane – l’UAG – qui ont permis cette création dans un calendrier contraint : les équipes administratives, l’équipe de gouvernance, les équipes d’enseignants-chercheurs. Cette réussite n’aurait pas été possible sans la participation de tous les acteurs concernés, et notamment des pôles antillais de l’université, dont la coopération avec la nouvelle université de Guyane a été absolument exemplaire.

L’ordonnance qu’il vous est proposé de ratifier aujourd’hui s’inscrit dans la suite de ces événements et prend acte de la création de l’université de Guyane. Mais, comme vous avez pu le constater, elle va bien au-delà d’un simple changement de périmètre de l’université.

Le Gouvernement a souhaité, avec la participation active de la communauté universitaire et des élus locaux, que le cadre juridique qui s’appliquera à la nouvelle université des Antilles soit aussi adapté que possible aux enjeux et aux spécificités de ce territoire. L’ordonnance qui a été signée le 17 juillet 2014 par le Président de la République constitue un acte fort, qui réaffirme l’unité de l’université des Antilles, tout en conférant à ses pôles une très large autonomie. Elle est le résultat d’une longue concertation avec l’ensemble des acteurs concernés, y compris le comité technique de l’université, qui a approuvé le texte de cette ordonnance.

Plusieurs parties peuvent être distinguées dans ce texte. Tout d’abord, l’ordonnance applique à l’université des Antilles les innovations résultant de la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche du 22 juillet 2013. Il faut rappeler que c’est cette loi qui a prévu la possibilité, pour le Gouvernement, d’adapter par ordonnance les dispositions législatives relatives à l’université des Antilles et – à cette époque encore – de la Guyane. Ainsi, comme dans les autres universités, un conseil académique se substitue désormais aux anciens conseil scientifique et conseil des études et de la vie universitaire – CEVU.

Mais l’ordonnance va plus loin que cette simple transcription des principes de la loi sur l’enseignement supérieur et la recherche. Elle s’efforce aussi de tirer les conséquences juridiques de la création de l’université de Guyane et d’adapter l’organisation de l’université des Antilles aux spécificités et aux besoins régionaux. Afin de s’assurer du soutien des acteurs locaux, le Gouvernement a souhaité s’appuyer sur une large concertation avec l’ensemble des acteurs concernés : la communauté universitaire, bien sûr, mais aussi les collectivités territoriales, qui apportent depuis plusieurs décennies un soutien massif au développement de cette université. Le texte de l’ordonnance a ainsi résulté d’un accord politique autour de quelques grands principes d’organisation de l’université des Antilles.

Cet accord s’est traduit par les avis positifs des comités techniques de l’UAG, rendus en juin 2014 ; il a également été conforté par le soutien apporté par les collectivités. Enfin, une déclaration a été cosignée par les présidents des exécutifs régionaux et départementaux de la Martinique et de la Guadeloupe le 7 juillet 2014, MM. Serge Letchimy et Victorin Lurel, respectivement présidents des conseils régionaux de Martinique et de Guadeloupe, ainsi que Mme Josette Manin et M. Jacques Gillot, présidents des conseils généraux.

Cette déclaration, faite en pleine concertation avec le Gouvernement, a permis de reprendre et de développer les principes qui sous-tendent l’accord politique qui est à la base de l’ordonnance : la parité de représentation des pôles martiniquais et guadeloupéen au sein des instances dirigeantes de l’université ; l’élection du président de l’université pour un mandat non renouvelable de cinq ans – au lieu de quatre ans renouvelables pour les autres – afin d’aboutir à une alternance régulière de la présidence entre les représentants des deux pôles de l’université, selon des modalités acceptables par le Conseil constitutionnel ; l’élection, enfin, des vice-présidents de l’université par les conseils de pôle, afin de garantir l’autonomie des deux pôles dans le cadre d’une université dont l’organisation peut être décrite comme fédérale.

Il n’est pas inutile de revenir sur chacun de ces critères, dont l’ensemble conditionne le soutien que les acteurs locaux apportent à l’organisation de l’université, et qui vont permettre le climat pacifié dans lequel les jeunes pourront poursuivre leurs études et les chercheurs, mener leurs activités de recherche.

Le premier principe est celui de la parité de représentation des pôles régionaux dans les instances de l’université. Il reflète l’égal engagement des communautés de l’enseignement supérieur et de recherche de Martinique et de Guadeloupe dans leur université commune ; il se traduit par l’égalité du nombre des représentants de ces deux pôles au sein des différentes instances de l’université.

Deuxièmement, ce principe de parité est complété par un objectif d’alternance de la présidence. Pour cela, le mandat du président de l’université est porté à cinq ans, contre quatre dans les autres universités. En contrepartie, il n’est pas renouvelable. Cette règle vise à ce que la présidence soit exercée successivement par un représentant issu de chaque pôle. Je précise sur ce point qu’il n’était pas possible d’aller plus loin pour préciser les conditions de l’alternance. En effet, toute règle visant à rendre celle-ci obligatoire se serait heurtée au principe d’égalité devant le suffrage.

Troisièmement, l’élection des vice-présidents par les conseils de pôle traduit la large capacité d’organisation administrative et pédagogique dont dispose l’université. La reprise de ce principe dans l’ordonnance traduit l’identité de point de vue entre le Gouvernement et les acteurs locaux sur ce point essentiel et fondateur.

L’ordonnance n’avait pu, essentiellement pour des raisons de calendrier, intégrer certaines dispositions nécessaires pour parachever le statut de l’université. Elle devait notamment être complétée afin de prendre acte du changement de sa dénomination en devenant officiellement « université des Antilles ». Par ailleurs, la composition de son conseil d’administration devait être amendée pour tenir compte du retrait des membres guyanais.

Le débat intervenu au Sénat a permis de compléter utilement le texte initial en introduisant ces deux points et je veux en remercier les sénateurs. Toutefois, au cours des débats, les sénateurs ont également souhaité revenir sur les conditions d’élection des présidents de pôle initialement souhaitées par le Gouvernement et les élus des collectivités concernées. Alors que le texte du Gouvernement prévoyait que les présidents de pôles sont élus par les conseils de pôle, comme je l’ai indiqué précédemment, les sénateurs ont préféré que le président de l’université et ses vice-présidents soient élus simultanément dans le cadre d’un même « ticket ». Le détail de ces dispositions est prévu à l’article 1er, qui insère dans le code de l’éducation un article L. 781-3-1. Les sénateurs ont justifié ces dispositions par leur souci de préserver l’unité de l’université des Antilles.

Ce souci d’unité anime aussi le Gouvernement, et il est même fondateur des orientations qu’il a prises. Toutefois, il nous semble que le meilleur moyen d’y parvenir est de s’assurer que le texte qui sera voté fera l’objet d’un plein accord des acteurs locaux et d’une pleine appropriation. Il convient dès lors de rester aussi proche que possible des principes qui avaient fondé l’accord politique du 7 juillet 2014 et dont on retrouve la traduction dans l’ordonnance. C’est pourquoi j’avais exprimé devant le Sénat les fortes réserves du Gouvernement sur ces modifications relatives à la gouvernance de l’université. J’avais également indiqué que l’examen du texte devant votre assemblée permettrait au Gouvernement de soulever à nouveau ce point.

Je présenterai donc tout à l’heure, au nom du Gouvernement, un amendement visant à rétablir l’élection des vice-présidents par les conseils de pôle, ainsi que l’avait prévu le texte initial de l’ordonnance. Je présenterai également un second amendement visant à établir des règles transparentes et acceptées par tous, des règles vérifiables, de répartition des moyens entre les pôles, là encore dans un souci de pacification qui a fait défaut par le passé.

Le Gouvernement souhaite, vous l’aurez compris, que la ratification de l’ordonnance permette de poser des bases solides à l’organisation de l’université. La meilleure façon de le faire est de s’assurer que l’ensemble des acteurs sera en mesure de s’approprier et d’appliquer correctement, dans les meilleures conditions, le texte qui sera voté. Pour cela, il n’existe aucune meilleure garantie que celle donnée par le texte d’origine de l’ordonnance, qui réunit à la fois : la volonté du Gouvernement à l’écoute des besoins des territoires ; le soutien de la communauté universitaire, qui s’est prononcée positivement sur ce texte à travers les votes des comités techniques de l’ancienne UAG ; le soutien des élus locaux, qui ont exprimé clairement dans leur communication du 7 juillet dernier les bases de l’accord politique permettant à chacun de soutenir les règles d’organisation de la nouvelle université.

C’est pourquoi je tiens à vous remercier par avance pour le soutien que vous voudrez bien apporter au Gouvernement lors du vote de ce texte. Une université, la recherche, c’est le meilleur investissement que la nation puisse faire dans l’avenir des territoires et de leur jeunesse. Je ne doute pas que le texte que vous adopterez permettra de doter les Antilles d’une université qui soit à la hauteur des ambitions que nous avons tous collectivement pour ce territoire. Cela permettra aussi de l’ouvrir aux territoires caribéens qui entourent cette belle université et ce beau pôle de recherche des Antilles et de la Guyane.

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