Intervention de Jean-Marc Sauvé

Réunion du 21 novembre 2012 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d'état :

En ce qui concerne l'avenir du mécanisme, je ne voudrais pas que mes propos suscitent un malentendu. À mes yeux, il n'y a pas la moindre probabilité que le flux des QPC se tarisse. Simplement, au vu de l'évolution constatée au cours des derniers mois, on pourrait s'attendre à une forme de stabilisation à un niveau moins élevé qu'en 2010 et 2011. Il s'agit d'une hypothèse, en aucun cas d'une prédiction. Car, ainsi que cela a été rappelé, le nombre de saisines demeure très élevé devant toutes les cours constitutionnelles des États d'Europe – l'Allemagne, l'Italie, l'Espagne. Plusieurs grandes questions qui devaient être posées au cours des premiers mois d'application de la nouvelle procédure l'ayant été, ce qui est fait n'est plus à faire. En revanche, je suis persuadé que le stock de lois applicables n'a pas été entièrement passé au tamis du contrôle de constitutionnalité.

En matière fiscale, par exemple, le grand nombre de questions que nous avons reçues en 2010, et encore en 2011, a fourni au Conseil constitutionnel l'occasion d'arrêter plus précisément sa jurisprudence, ce qui a évité d'avoir à poser d'autres questions et explique le relatif assèchement constaté dans ce domaine. Je l'ai dit, un transfert s'est en revanche opéré du droit fiscal et du droit des collectivités territoriales vers le droit des agents publics, de l'urbanisme, de l'aménagement et de l'environnement. En somme, si l'on constate une certaine décélération, il n'y a pas de tarissement et il faut s'attendre à des effets de substitution. On constate également une tendance à passer de grandes questions à des questions plus précises et plus ponctuelles.

Monsieur Tourret, en ce qui concerne le doute qui justifie le renvoi, il faut que les juges interprètent fidèlement les textes. Pour qu'il y ait renvoi, il faut d'abord que la loi soit applicable au litige – règle que nous avons interprétée de manière non pas vétilleuse, mais souple et large. Il faut ensuite que la question soit nouvelle. Là encore, nous avons interprété cette notion de manière large, l'appliquant, par exemple, à des principes constitutionnels non encore reconnus. L'on aurait pu considérer que ces principes n'existaient pas, ce qui aurait conduit à écarter la question posée. Dès lors que le requérant invoquait un principe fondamental reconnu par les lois de la République, nous avons cependant voulu que le Conseil constitutionnel puisse être saisi, considérant que, dans le cas où il reconnaîtrait ce principe, la question serait nouvelle.

Plus précisément, enfin, il faut que « la question [soit] nouvelle ou présente un caractère sérieux ». Nous appliquons ce dernier critère de la même manière que le critère de renvoi préjudiciel aux cours européennes en application du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Nous ne l'interprétons pas, lui non plus, de manière très vétilleuse : nous procédons, je l'ai dit, à une forme de contrôle de l'évidence. Si la conformité à la Constitution est évidente, s'il n'y a évidemment aucun doute, nous ne renvoyons pas. Mais dès lors qu'il existe un doute, nous avons tendance à le considérer comme sérieux. En réponse à votre question, monsieur le député, il me semble donc – mais je parle sous le contrôle du président de la section du contentieux – que nous avons tendance à identifier le caractère raisonnable du doute à son caractère sérieux.

Faut-il déférer obligatoirement au Conseil constitutionnel toutes les lois qui viennent d'être votées ? Je ne le crois pas. Il faut que les autorités compétentes – le Premier ministre, les présidents des assemblées parlementaires, le président de la République – puissent saisir le Conseil sans y être tenues, de même que soixante députés ou soixante sénateurs. Pour ma part, je pensais que l'instauration de la QPC conduirait à un tarissement des saisines a priori. L'expérience a montré qu'il n'en était rien : c'est plutôt l'évolution contraire qui se dessine. Laissons-la donc suivre son cours. N'oublions pas que, lors du contrôle a priori, notamment lorsque le Conseil est saisi par le Premier ministre, les présidents des assemblées et le président de la République, il doit en principe se prononcer sur la totalité des articles de la loi. Dans le cas de lois particulièrement longues et complexes qu'il examine en urgence, un tel contrôle n'est pas possible. Il faut donc que le contrôle a priori subsiste, mais sur un fondement discrétionnaire, le contrôle a posteriori venant le compléter sur des points qu'il n'aurait pas permis de trancher.

En ce qui concerne l'application du principe constitutionnel de parité, si une QPC était posée à ce sujet à propos d'une législation existante, elle serait certainement renvoyée au Conseil constitutionnel. Si par ailleurs une demande d'avis était adressée au Conseil d'État, celui-ci s'efforcerait d'y répondre dans le cadre de ses compétences consultatives et prendrait ses responsabilités. Vous comprendrez bien que je ne saurais risquer une réponse qui serait d'autant plus malvenue de ma part qu'elle pourrait anticiper sur une délibération du Conseil d'État. Avec regret mais fermeté, monsieur le député, je m'abstiendrai donc à nouveau de répondre à cette question qui exige, je le répète, une réflexion approfondie.

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