Intervention de Jérôme Fournel

Réunion du 20 novembre 2012 à 18h00
Délégation aux outre-mer

Jérôme Fournel, directeur général des douanes et des droits indirects :

L'octroi de mer est l'une des plus anciennes taxes du système fiscal français, et il est spécifique à quatre DOM. Cet impôt visait initialement à protéger les productions locales des importations. En 1993, il a été étendu aux produits locaux, mais il a fait l'objet de plusieurs réformes, dont la dernière en 2004 a créé des différentiels de taux en faveur de certains produits locaux.

Le montant des ressources procurées par l'octroi de mer est très important. En 2011, il s'élevait à 146 millions pour la Guyane, à 250 millions pour la Martinique et la Guadeloupe, et à 380 millions pour la Réunion. Le produit de l'octroi de mer est affecté principalement aux communes. Une part est attribuée aux régions. Il constitue donc une ressource essentielle des collectivités territoriales outre-mer.

Aujourd'hui, la question qui se pose aux autorités françaises est de savoir comment justifier la reconduction de ce dispositif à l'horizon 2014, échéance fixée par la Commission européenne.

Premièrement, du point de vue économique, deux questions se posent. D'abord, l'octroi de mer a-t-il rempli son rôle d'appui au développement économique en favorisant les productions locales et, en l'absence de celles-ci, en ne décourageant pas les importations de marchandises ? Ensuite, l'octroi de mer a-t-il un impact sur les prix et donc sur le pouvoir d'achat des populations domiennes ?

S'agissant du rôle de l'octroi de mer, l'étude demandée au cabinet Louis Lengrand & Associés (LL&A) par le ministère des Outre-mer prouve de façon pertinente que ce dispositif n'a pas desservi le développement économique local, bien au contraire. Elle montre en effet que l'octroi de mer a permis le développement des productions locales sans pour autant empêcher la progression des échanges avec l'extérieur. Autrement dit, la production locale n'est pas évincée par les importations, et celles-ci ne sont pas découragées, d'où l'absence de renchérissement des ressources et des intrants. De ce point de vue, l'octroi de mer est plutôt une réussite.

S'agissant de l'impact sur les prix, les chiffres montrent que ce dispositif ne déclenche pas une spirale inflationniste dans les départements d'outre-mer. Les tensions sur les prix qui peuvent exister dans certaines filières, comme les carburants, ne sont pas directement liées à l'octroi de mer, qui représente une toute petite part de la constitution des prix, notamment par rapport au coût de l'importation, même en cas de différentiels significatifs. Ce sont très souvent les structurations des circuits de distribution et les comportements de marge des différents acteurs – importateurs et distributeurs locaux ou étrangers – qui jouent un rôle. Certes, comme toute fiscalité, cette taxe a une incidence, mais elle n'a pas d'effet nocif sur les prix. Au final, le bilan est plutôt favorable.

Deuxièmement, du point de vue du fonctionnement de l'octroi de mer, deux sujets s'imposent. Le premier porte sur l'adaptation du dispositif dans la durée, en particulier sur la capacité à faire évoluer les listes de produits. Le second a trait au champ couvert par le dispositif, qui ne pèse que sur les marchandises, non sur les services, sachant que les entreprises qui sont en dessous des seuils n'entrent pas dans le dispositif et que d'autres ont l'obligation de s'identifier même si elles sont exonérées de l'octroi de mer, leur chiffre d'affaires étant inférieur à 550 000 euros.

S'agissant de l'adaptation de l'octroi de mer, les dispositifs issus de la réforme de 2004 permettent de faire évoluer les listes de produits, mais ils ont été très peu utilisés. Il faut reconnaître qu'ils sont assez complexes et qu'une mécanique plus simple pourrait être envisagée. Cet aspect est très important au regard de l'efficacité économique du dispositif : un secteur où naît une production locale devrait pouvoir bénéficier d'un différentiel de taux ; un autre qui souffre d'une pénurie de marchandises devrait obtenir un ajustement de l'octroi de mer pour favoriser l'importation de marchandises. En définitive, toutes les possibilités n'ont pas été utilisées pour ajuster le régime.

S'agissant du champ du dispositif, certaines entreprises, comme je viens de le dire, ont l'obligation de se déclarer, mais cette formalité administrative présente peu d'intérêt pour celles qui sont exonérées. Par conséquent, notre connaissance statistique est insuffisante dans la mesure où certaines entreprises ne se déclarent pas. Une solution serait que le seuil s'applique en termes à la fois d'exonération et de déclaration et, éventuellement, qu'il soit plus bas pour éviter des formalités aux entreprises ne dépassant pas ce seuil.

Troisièmement, du point de vue juridique et du fonctionnement interne de l'administration des douanes, un problème lié au principe de légalité se pose. En effet, dans certains cas, les délibérations des conseils régionaux sur la fixation des taux et des différentiels sont prises avec effet rétroactif, ce qui n'est pas légal. Dans d'autres, les dispositifs ne respectent pas les plafonds de taux et les différentiels. Il faut reconnaître que le dispositif est complexe. Une des difficultés tient au fait que l'émergence d'une nouvelle production, par exemple, modifie la situation par rapport à celle qui prévalait lors de la délibération initiale. En effet, les règles diffèrent selon l'existence ou non de productions locales. Ainsi, même si un conseil régional a pris une délibération en toute bonne foi, le différentiel de taux peut présenter in fine une fragilité juridique. Nous avons observé ce type de situation à de multiples reprises dans le passé. La douane joue un rôle d'assistance auprès des conseils régionaux, mais ne leur fournit peut-être pas suffisamment d'éléments en matière de contrôle de légalité.

Je précise que le marché unique antillais présente des particularités. En effet, selon que la marchandise entre en Guadeloupe ou en Martinique, les effets fiscaux ne sont pas forcément identiques puisque des comportements d'optimisation fiscale sont à l'oeuvre à l'intérieur de ce marché, via l'octroi de mer. Pour l'heure, il n'existe pas de mécanisme de convergence qui permette d'éviter ce type de comportements que l'Union européenne connaît bien.

Voilà pour les dysfonctionnements.

La Direction des douanes et des droits indirects envisage de se doter, à l'horizon 2013-2014, d'outils de gestion informatisés plus performants que ceux dont elle dispose actuellement pour l'octroi de mer. L'objectif est double : il s'agit d'améliorer la capacité de suivi de l'octroi de mer et la capacité d'identification de la ressource affectée aux collectivités d'outre-mer. Ce système informatique nous permettra de mieux répondre aux attentes de l'Union européenne et des élus.

J'en viens au bilan du dispositif, aux discussions entre les autorités françaises et l'Union européenne et aux options qui s'offrent à nous.

Globalement, l'octroi de mer n'a pas présenté de défaillances majeures au cours des dernières années. Certes, un certain nombre de collectivités jugent la recette de l'octroi de mer insuffisamment dynamique, mais elles peuvent faire des choix en matière de modulations des taux et d'accroissements de recettes.

Une remise en cause de l'octroi de mer est-elle possible ? Existe-t-il un risque majeur que la Commission européenne refuse la reconduction de ce dispositif ?

Je pense que si les autorités françaises parviennent à démontrer à la Commission européenne que l'octroi de mer remplit son rôle en permettant à la production locale de se développer sans décourager les importations – et le rapport du cabinet LL&A est clair sur ce point –, elles auront réussi à prouver la pertinence du dispositif en termes de développement économique. Certes, les failles que j'ai évoquées, qui ont trait à la légalité de certaines dispositions et au champ des entreprises, ne vont pas échapper à la Commission. Néanmoins, la France est capable de la rassurer en lui démontrant sa capacité à améliorer à l'avenir les règles de fonctionnement interne et, éventuellement, à ajuster les taux et à faire évoluer les listes de produits dans la durée.

Pour en avoir parlé avec des collègues de Bruxelles, je sais que l'octroi de mer ne revêt pas un caractère problématique pour la Commission dans la mesure où il est très spécifique, comme dans d'autres pays où il porte un nom différent, par exemple à Madère ou aux Canaries. La Commission a pris en compte ces situations particulières. Tant qu'elle peut les justifier sur le fond et faire en sorte qu'elles restent autonomes pour éviter tout effet de contagion notamment au plan communautaire, elle est souvent prête à franchir le pas de la reconduction, voire d'une forme de pérennisation. Tous ces éléments plaident en faveur d'une reconduction fort probable du dispositif.

Une des – rares – alternatives à l'octroi de mer serait une taxe sur la valeur ajoutée régionalisée, évoquée dans plusieurs rapports. Si l'objectif d'une telle taxe est d'accroître la recette, cela implique une assiette plus large. Cela suppose donc d'intégrer dans celle-ci des livraisons de biens ou de services qui n'y figurent pas aujourd'hui. Or, cette mesure aurait un impact immédiat sur le pouvoir d'achat des populations outre-mer.

Une telle taxe sur la valeur ajoutée régionalisée aurait-elle plus de chances d'être acceptée par la Commission européenne que l'octroi de mer ? La question est ouverte. Certes, une taxe sur la valeur ajoutée régionalisée est possible dans le cadre de notre droit national. Néanmoins, mes discussions avec les collègues de Bruxelles m'ont donné le sentiment que plus l'on s'oriente vers des dispositifs qui sont soumis à une réglementation communautaire transversale, plus il est difficile de justifier un régime particulier. En outre, un tel dispositif risquerait d'imposer des contraintes plus fortes que celles de l'octroi de mer, y compris en termes de choix des taux et des produits pour les autorités régionales.

En conclusion, l'octroi de mer, à condition d'être perfectionné, est un pari qui fait sens au regard de l'échéance de 2014.

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