Intervention de Catherine Procaccia

Réunion du 7 novembre 2012 à 18h00
Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques

Catherine Procaccia, sénateur :

– Nous avons intitulé notre rapport « Europe spatiale : L'heure des choix » car nous considérons que l'Europe de l'espace se trouve aujourd'hui à un tournant, comme il ne s'en présente que tous les 10 ou 20 ans. Les ministres en charge de l'espace des pays membres de l'Agence spatiale européenne doivent se réunir très prochainement - les 20 et 21 novembre - en Italie, pour prendre des décisions importantes dans un contexte économique et financier qui ne permet pas d'envisager un subventionnement massif du secteur spatial et oblige donc à des arbitrages.

L'Europe, qui dépense six fois moins que les États-Unis pour l'espace, a su, par le passé, faire les choix qui lui ont permis de devenir une grande puissance spatiale pour un coût maîtrisé. C'est aujourd'hui qu'elle doit prendre les décisions qui lui permettront de conserver son rang au cours de la prochaine décennie et au-delà, car une politique spatiale se pilote par nature dans le temps long.

Notre rapport aborde notamment la question de l'avenir du lanceur Ariane, qui a permis historiquement à l'Europe de devenir indépendante pour son accès à l'espace. Il serait erroné de penser qu'une fois acquise, cette indépendance est irréversible. Elle est un défi sans cesse renouvelé. Les Américains en ont fait l'expérience dans le domaine du vol habité, pour lequel ils dépendent aujourd'hui des Russes.

Mais si l'Europe se trouve à un tournant, ce n'est pas seulement à propos de ses lanceurs. Elle doit se prononcer sur de nombreux autres sujets. Il serait difficile d'examiner ici l'ensemble des secteurs économiques et de souveraineté ayant une composante spatiale.

C'est pourquoi nous souhaitons mettre l'accent sur les enjeux qui nous ont paru prioritaires, tels que la gouvernance de la politique spatiale en Europe, le soutien à la compétitivité, le traitement et la surveillance des débris spatiaux ou encore, l'« Espace pour la Terre ».

Je commencerai par les sujets de gouvernance. Il est entendu que la politique spatiale ne saurait être examinée dans un cadre strictement national. Mais il n'est pas possible, pour autant, d'identifier « une » politique spatiale européenne unique, dont découlerait l'ensemble des programmes mis en oeuvre sur le continent.

Il existe aujourd'hui au moins deux politiques spatiales européennes :

- Celle de l'Union européenne, que le traité de Lisbonne a dotée d'une compétence spatiale depuis 2009 ;

- Et celle de l'ESA, première institution à avoir incarné l'Europe de l'espace, à sa création en 1975.

L'ESA elle-même ne s'est pas construite sur une « table rase », mais s'est fondée sur l'expérience de ses États membres, en premier lieu la France, premier État européen à avoir développé une politique spatiale, dans le cadre d'une politique d'indépendance nationale. La politique spatiale comporte trop d'enjeux de souveraineté nationale pour ne pas reposer, en dernier ressort, sur la volonté des États, dans le cadre d'organisations telles que l'ESA et l'UE ou dans un cadre national ou multinational, comme c'est le cas pour l'Europe de la défense.

Enfin il ne saurait y avoir de politique spatiale européenne sans industrie spatiale européenne, seule garante in fine de l'autonomie de l'Europe.

Cette énumération des principaux acteurs de la politique spatiale européenne laisse déjà entrevoir les difficultés susceptibles d'en résulter…

Ce « mille-feuille » spatial européen peut être source de confusion dans les objectifs et de dispersion des moyens.

Dans ce contexte, nous formulons des propositions de nature à clarifier la gouvernance de la politique spatiale en France et en Europe :

- En France, il nous semble qu'il faudrait réintroduire l'espace dans l'intitulé d'un ministère chargé d'en valoriser l'utilité auprès du grand public : en effet, l'ambition spatiale est trop peu portée aux niveaux politiques et administratifs ; en conséquence, elle est peu partagée par l'ensemble des Français.

- Toujours en France, il serait souhaitable d'associer davantage le Parlement à la programmation spatiale. Nous avons été frappés, lors de notre déplacement aux États-Unis, par la place qu'y occupe le Congrès dans l'élaboration de la politique spatiale. La NASA est en effet en constante négociation avec les deux chambres pour la définition des objectifs et des budgets de sa politique. Le secteur spatial n'est certes qu'une illustration parmi d'autres des différences d'approches entre parlements français et américain. Il nous paraîtrait néanmoins légitime qu'en France, le Parlement puisse être saisi à intervalles réguliers de la politique spatiale française et de la vision défendue au niveau européen par notre pays.

- Lors de nos auditions, les industriels ont exprimé le sentiment de ne pas être associés comme ils le souhaiteraient aux décisions prises. Sur la question de l'avenir d'Ariane, le CNES et les industriels ont par exemple défendu des points de vue différents. Un dialogue pérenne doit être organisé, grâce à la création d'une structure de concertation État-industrie, présidée par une personnalité indépendante.

- Quant à la politique spatiale de l'Union européenne, c'est un processus en devenir, dont les objectifs et le cadre de gouvernance demeurent pour le moment flous. Le budget de l'Union finance le programme de navigation-localisation-synchronisation Galileo, qui doit aboutir d'ici 2015, ainsi que le lancement du programme de surveillance pour l'environnement et la sécurité GMES, mais sans garantie de pérennité au-delà de 2014.

Si elle veut exercer pleinement la compétence que lui a confiée le traité de Lisbonne, l'Union devra élaborer un véritable programme spatial plus exhaustif dans ses ambitions.

Elle devra également élaborer un cadre juridique pour la gouvernance de cette politique spatiale, en faisant de l'ESA son agence spatiale, sans que cela ne remette en cause par ailleurs le fonctionnement intergouvernemental de l'agence. L'Union doit aussi pouvoir faire appel aux compétences des agences nationales, sans nécessairement recourir à ses procédures de droit commun, du type appel d'offres. Pour la gestion des applications spatiales, elle doit privilégier le recours aux organisations existantes, par exemple Eumetsat pour ce qui concerne l'observation de la Terre (GMES).

Il s'agit, en tout état de cause, d'éviter que l'Union ne crée ses propres structures de gestion opérationnelle des programmes spatiaux, qui seraient redondantes par rapport aux compétences existant déjà sur le territoire européen.

Enfin, l'Union européenne doit reconnaître comme prioritaire l'application d'un principe de préférence européenne. Ce principe doit entraîner l'obligation de recourir à ses propres lanceurs. Ce n'est pas le cas actuellement, comme l'illustre le recours à un lanceur russe (Rockot) pour le lancement de certains satellites du programme GMES.

Quant à l'ESA, elle doit faire évoluer sa règle de « retour géographique », d'après laquelle plus un État contribue à un programme, plus son industrie reçoit de contrats pour la réalisation de ce programme. Suivant une logique inverse, une règle de « juste contribution » de chaque État, en fonction de l'implication de son industrie dans les projets, paraîtrait préférable.

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