Intervention de Guy Geoffroy

Réunion du 20 novembre 2012 à 16h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGuy Geoffroy, député, auteur du rapport d'information :

Le Parlement s'est déjà mis au travail sur la question de la prostitution, en particulier notre assemblée qui, en décembre dernier, a voté à l'unanimité une résolution réaffirmant la position abolitionniste de la France en matière de prostitution.

Les principes fondamentaux qui ont guidé la rédaction de ce rapport s'inscrivent résolument dans la continuité des engagements internationaux de la France.

On ne cesse de nous rappeler, avec beaucoup d'hypocrisie, que la prostitution est le plus vieux métier du monde, qu'elle est l'un des besoins ordinaires de toute civilisation, que certains besoins sexuels réputés irrépressibles sont tels que, sans la prostitution, les viols seraient courants et nos jeunes, filles et garçons, seraient en danger permanent, enfin qu'il convient que la société s'organise et laisse s'organiser le système prostitutionnel.

Toutes les questions que pose la prostitution ont trouvé réponse en 1949 dans la Convention internationale de l'ONU. En ratifiant cette convention en 1960, la France a choisi de mener une politique abolitionniste.

Notre rapport réaffirme la position abolitionniste de la France et explique à nos concitoyens ce qu'est la position abolitionniste. Cette position, qui est majoritaire sur le plan international, consiste à dire que la prostitution est nuisible au fonctionnement naturel d'une société et qu'il convient d'extirper une pratique réputée millénaire dont nous estimons qu'elle n'est pas incontournable.

Dans notre pays, le volume de la prostitution – entre 20 et 30 000 personnes – est dix fois inférieur à celui des pays voisins qui, sous prétexte de défendre certaines libertés ou d'assurer une sécurité sanitaire aux personnes prostituées, ont adopté une position réglementariste et légalisé l'exercice de la prostitution. Je doute que les Français qui ont besoin de recourir à la prostitution soient naturellement dix fois moins nombreux que les Espagnols, les Allemands ou les Hollandais…

À entendre certains, il existerait un gène de la prostitution – qui pourrait être bulgare, roumain, albanais, nigérian, chinois ou brésilien –, les personnes étrangères qui se prostituent dans notre pays ne seraient pas victimes de la traite des êtres humains et exerceraient librement le « métier » de prostituée. J'attends de ceux qui défendent cette thèse qu'ils m'en apportent la preuve.

Nous avons inscrit notre démarche dans la continuité des travaux du Parlement, en 2005 puis en 2010, sur les violences de genre, les violences intrafamiliales et les violences faites aux femmes. C'est après avoir fait voter la proposition de loi qui a abouti à la loi du 9 juillet 2010 que nous avons décidé, Danielle Bousquet et moi, de nous engager dans la lutte contre la prostitution, convaincus que celle-ci n'est pas l'exercice sublimé d'une liberté mais une souffrance et un drame humain.

Aucune des personnes prostituées que nous avons entendues ne nous a dit qu'il s'agissait d'un acte volontaire, qui correspondait à sa conception philosophique de la liberté.

Pour justifier notre démarche abolitionniste, nous sommes partis d'un postulat très simple, qui figure dans notre code civil, selon lequel le corps humain n'est pas un bien marchand et ne saurait se négocier.

Nous avons entendu bon nombre de lieux communs, dont le plus répandu est que la prostitution réduirait le nombre des viols. Cet argument n'est pas valide car il se trouve que le nombre des viols est dix fois supérieur dans les milieux prostitutionnels.

Les autorités espagnoles que nous avons rencontrées nous ont clairement indiqué que l'église espagnole était favorable à la prostitution au motif que celle-ci protège la famille. C'est certainement la tradition catholique qui explique que la prostitution soit dix fois plus développée en Espagne qu'en France. Nos interlocuteurs espagnols ont reconnu l'urgence de mettre fin à cette hypocrisie d'État qui consiste à laisser se prostituer dans les bordels infâmes de la Jonquera des personnes dont aucune n'est de nationalité espagnole.

La prostitution est une violence. Et que l'on ne vienne pas nous expliquer qu'elle respecte la liberté individuelle et protège la société contre un ensemble de fléaux. Ce n'est pas parce que la prostitution est le plus vieux métier du monde qu'elle doit continuer à exister. Nous avons longtemps considéré que la sphère publique n'avait pas à se mêler des violences intrafamiliales, mais le Parlement en a décidé autrement. Il y a encore dix ans, le viol entre époux n'existait pas. Aujourd'hui il est reconnu et, depuis la loi de 2005, il est devenu une circonstance aggravante. Aucune violence n'est inéluctable.

Pour abolir la prostitution, nous ne nous sommes pas limités, contrairement à ce que la presse a tenté de faire croire, à pénaliser le client – ce raccourci est intellectuellement malhonnête. Nous avons considéré qu'il fallait agir sur trois leviers.

Le premier consiste à mener une lutte acharnée contre la traite des êtres humains, sachant que la grande majorité des personnes prostituées en France le sont dans le cadre du crime organisé. Cette lutte doit être renforcée à l'échelle européenne. Nous avons noté l'intérêt, y compris dans les pays réglementaristes, que portent les policiers et les magistrats d'Europol et d'Eurojust à l'initiative du Parlement français. Tous estiment que la France, si elle va jusqu'au bout de sa démarche, pèsera de façon décisive sur les décisions que prendront les autres pays. Il est clair que la lutte contre la prostitution, qui est un considérable « réservoir à fric », va de pair avec la lutte contre le trafic d'armes et le trafic de stupéfiants. Nous avons rencontré des jeunes femmes qui se prostituaient dans un bordel de luxe : elles nous ont expliqué qu'elles avaient besoin de drogues dures pour tenir et supporter, car elles travaillaient de 17 heures à 5 heures du matin.

Le deuxième levier, qui engage la responsabilité des acteurs publics, à l'échelle nationale et locale, est l'accompagnement des personnes en situation de prostitution. Nous avons constaté une grande disparité entre les territoires en fonction de leur histoire, de leur culture et de l'existence de partenariats. La seule constante est que les associations, qu'elles soient abolitionnistes – le Cri, le Mouvement du Nid, la fondation Scelles – ou réglementaristes – comme Cabiria à Lyon – souffrent du caractère incertain des moyens mis à leur disposition. Il manque dans notre pays une prise en charge globale et cohérente de ces personnes, qu'il s'agisse de leur fournir un accompagnement sanitaire ou de les aider à sortir de la prostitution. Certes, les associations font un travail formidable, mais l'État doit mettre en place cette prise en charge, en partenariat avec les instances régionales, départementales et locales.

Le troisième levier consiste à responsabiliser le client de la prostitution. Les trafiquants ne feraient pas venir dans notre pays des milliers de personnes étrangères s'ils n'y avaient pas un intérêt financier majeur. Or 100 % des recettes de la prostitution proviennent des clients. Si les clients n'étaient pas aussi nombreux, la prostitution resterait une pratique artisanale et ne serait pas devenue un problème de société.

Nous avons été frappés au cours de nos déplacements par le caractère ordinaire des clients de la prostitution, dont les détraqués ne représentent qu'une part infime. Les clients sont souvent des « monsieur tout-le-monde » et dans leur immense majorité des hommes, que la personne prostituée soit une femme, un homme, un bisexuel ou un transsexuel. Le recours à la prostitution va de sa forme la plus traditionnelle, à savoir le petit détour en rentrant du travail, à toutes les demandes qui peuvent exister dans le domaine de la sexualité.

Le jour même de la publication de notre rapport, la presse écrivait : « Ces députés qui veulent punir les clients de la prostitution ». Les personnes prostituées que nous avons rencontrées ultérieurement nous ont indiqué que cette annonce avait entraîné une diminution de 20 à 30 % de leur clientèle.

La responsabilisation du client de la prostitution nous paraît incontournable car sans elle nous ne pourrions agir sur les deux autres leviers. Comment faire prendre conscience au client de la prostitution qu'il contribue à un système qui relève de la traite des êtres humains ?

Lors de notre visite au Mouvement du Nid, nous avons rencontré des personnes sorties de la prostitution qui nous ont livré des témoignages objectivement épouvantables. Parmi ces témoignages, j'ai à l'esprit celui d'un jeune homme d'une trentaine d'années qui est entré dans la prostitution à l'âge de 17 ans après avoir été exclu du domicile familial par sa mère, elle-même ancienne prostituée, à qui il venait de révéler son homosexualité. Ce jeune homme, qui gagne près de 8 000 euros par mois, somme qu'il dépense instantanément pour ne pas conserver de l'argent qui ne lui appartient pas, a évoqué devant nous la satisfaction de son premier client s'apercevant que le jeune homme était de la viande fraîche. Ainsi les personnes prostituées, si elles veulent conserver le même niveau de vie, doivent se livrer à de l'abattage puisque l'intérêt que leur porte un certain type de clients s'émousse de jour en jour. Cette réalité incontestable justifie que nous consacrions beaucoup d'énergie à la sensibilisation des clients.

Nous avons choisi de responsabiliser les clients à travers un ensemble de dispositions, dont des procédures judiciaires et des sanctions pénales. À cet égard, j'ai entendu dire que le modèle suédois, en place depuis dix ans, était un échec. Je le considère pour ma part comme une réussite.

Nous sommes d'autant plus fondés à parler de la responsabilisation du client que les pays réglementaristes se dirigent aussi dans cette voie. Ainsi les Hollandais – qui au passage nous ont expliqué que l'une des justifications de la prostitution provenait des rentrées fiscales qu'elle procurait – s'apprêtent à voter une loi visant à mettre en carte les personnes prostituées afin d'assurer leur suivi sanitaire. Nous leur avons naturellement demandé ce qu'il adviendrait d'une personne dont le contrôle sanitaire ne serait pas satisfaisant : ils ont répondu qu'elle conserverait sa carte – naturellement, le client n'en sera pas informé.

Nous leur avons également demandé ce qui se passerait au cas où des personnes prostituées ou des réseaux refuseraient d'entrer dans un système qui les oblige à payer des impôts. Pour éviter cela, les autorités hollandaises envisagent de pénaliser les clients des personnes prostituées qui ne seraient pas enregistrées ou exerceraient dans un établissement qui n'a pas qualité à le faire. Mais il leur faudra démontrer que le client savait pertinemment à qui il avait affaire.

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